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XXIII.

SYSTEME de Descartes pour expliquer la transsubstantiation dans l'Eucharistie, exposé dans deux lettres au P. Mesland, jésuite, qui n'ont point encore été imprimées.

Descartes, toujours plein de zèle pour la défense de la foi de l'église catholique, imagina, pour faire disparoître toutes les prétendues impossibilités qu'implique le dogme de la transsubstantiation, si on en croit les protestans, un systême plus hardi et plus complet que le précédent; systême très-ingénieux, il est vrai, mais qui cependant a été moins favorablement reçu par les catholiques.

Ce systême est renfermé dans deux lettres écrites au P. Mesland, jésuite. Ces lettres ont été sous les yeux de M. Baillet; il en cite même un fragment dans la Vie de Descartes; mais il n'y en a inséré aucune, quoique le P. d'Avrigny, dans ses Mémoires pour l'histoire ecclésiastique sous l'année 1701, assure le contraire. M. Cler-` selier, éditeur des Lettres de Descartes, ne les a point fait entrer dans sa collection, soit qu'il n'en ait point eu de connoissance, soit qu'il ait appréhendé qu'elles ne fournissent des armes aux ennemis de Descartes. M. Bossuet, instruit que M. Pourchot, célèbre professeur de philosophie dans l'université de Paris, étoit possesseur de ces lettres, désira en avoir la communication. Son opinion ne leur fut pas favorable; il les jugea, après la lecture, inconciliables avec le dogme de l'Eglise, et dit que Descartes, qui, dit-il, a toujours craint d'être noté par

l'Eglise, et qu'on voit prendre sur cela des précautions dont quelques-unes alloient jusqu'à l'excès, avoit bien senti qu'il falloit les supprimer, et ne les a pas publiées. Mais il est seulement vrai que Descartes, dans sa première lettre, exige du P. Mesland que, « s'il communique son « systême à d'autres, ce soit sans lui en attribuer l'in<«<vention, et même qu'il ne le communique à personne, << s'il juge qu'il ne soit pas entièrement conforme à ce « qui a été déterminé par l'Eglise ».

Nous avons tiré les anecdotes précédentes de deux lettres de M. Bossuet, l'une du 24, l'autre du 30 mars 1701, imprimées dans le X, volume de la nouvelle édition de ses Œuvres, p. 391. Il en est, dans le même volume, une, autre du 6 avril de la même année, adressée à M. Bossuet, par M. Vuitasse, dans laquelle ce fameux professeur de Sorbonne déclare n'avoir point enseigné le systême consigné dans les lettres de Descartes, ainsi que le bruit s'en étoit répandu. Il fait cette déclaration à l'occasion de M. Cailly, professeur de philosophie dans l'université de Caen, qui avoit publié un ouvrage sous le titre de Durand commenté, dans lequel étoit adopté et soutenu le sentiment de Descartes, ouvrage qui, le 30 mars de la même, année, avoit été censuré par l'évêque de Bayeux.

Les deux lettres de Descartes, oubliées depuis près de cent ans, et qu'on croyoit perdues, sont tombées entre nos mains. Nous croyons qu'il n'y a aucun inconvénient à les rendre aujourd'hui publiques; nous n'apercevons même que de l'avantage dans cette publication. Si l'opinion de Descartes, telle qu'il l'énonce, prise à la lettre, sans modifications et sans additions, ne s'accorde pas avec le dogme orthodoxe, elle n'est pourtant pas dange

reuse. Nous vivons dans un temps où c'est moins contre l'hétérodoxie que contre l'impiété qu'il faut se tenir en garde; et jamais la simple exposition d'un systême imaginé, quoique sans succès, pour la défense d'un dogme catholique, ne peut produire de mauvais effet, surtout si l'on fait remarquer en même temps ce qu'il a de défectueux. D'ailleurs, ce systême a déjà été exposé dans vingt ouvrages de théologie ou de philosophie; il l'a été particulièrement dans le Cours de philosophie de M. Pourchot, qui a pu le faire plus fidèlement que les autres, puisqu'il avoit en sa main les lettres mêmes de Descartes. Nous souscrivons pleinement au jugement qu'en a porté M. Bossuet: nous croyons que ce systême, tel qu'il est proposé dans les lettres de Descartes, sans addition et sans explication ultérieures, ne se concilie point avec la doctrine catholique, surtout depuis la décision du concile de Trente sur la transsubstantiation. La preuve en est' assez évidente. Dans ce systême, le pain, sans aucun changement réel et physique, devient le corps de JésusChrist, par la consécration et par l'union qu'il plaît à Dieu de mettre entre l'ame de Jésus-Christ et ce qui s'appeloit pain auparavant. Comment seroit-il vrai, dans ce systême, comment pourroit-on dire que la substance que nous recevons, dans l'Eucharistie, est véritablement un corps humain; que, de plus, c'est le même corps qui est né de la sainte Vierge, le même qui a été livré et crucifié pour nous?

J'ai dit plus haut que c'est surtout depuis que le concile de Trente a formellement déclaré que la substance du pain ne demeuroit plus dans l'Eucharistie, après la consécration, qu'il seroit bien difficile de concilier le sys

tême de Descartes avec ce qui est aujourd'hui de foi catholique car si on prend la peine de voir dans le Traité de l'Eucharistie, de M. de Marca, imprimé à la fin de ses Œuvres posthumes, ce qu'ont écrit sur cette matière, avant le concile de Trente, saint Jean de Damas, Paschase, Lanfranc, Guitmond, auteurs très-orthodoxes sur l'Eucharistie, on remarquera qu'il n'y a, entre leur opinion et celle de Descartes, presque d'autre différence que la forme ingénieuse et philosophique que Descartes donne à la sienne.

J'ai dit encore qu'il étoit avantageux de publier les lettres de Descartes; c'est qu'indépendamment de ce qu'il importe de ne rien laisser périr de ce qui appartient à un si grand philosophe, ces lettres servent 1°. à montrer le zèle qu'avoit Descartes pour la défense de la foi catholique; 2o. il en résulte que, quelque pénétrant qu'il fût dans tout ce qui tient à la métaphysique et à la physique, et quelque application qu'il eût donné aux matières de l'Eucharistie, il n'avoit cependant point aperçu, dans le dogme de la transsubstantiation, ces impossibilités, ces absurdités que les incrédules les plus ignorans préten→ dent apercevoir du premier coup d'oeil; 3. l'idée de Descartes est au fond très-ingénieuse. Si, telle qu'il l'a proposée, elle est insuffisante pour lever les difficultés que présente la transsubstantiation, il n'est pas décidé qu'avec des développemens, des modifications, des additions, elle ne pût dans la suite remplir plus heureusement et plus efficacement le but que s'est proposé Des

cartes.

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Déjà une des plus fortes objections contre le systême de Descartes, savoir que le corps de Notre-Seigneur,

dans

dans l'Eucharistie, est un corps humain, un corps par conséquent pourvu de tous ses organes, ce qu'on ne peut pas dire du pain demeurant substance de pain; cette objection, dis-je, s'évanouit entièrement par le développement qu'a donné, ou, si l'on veut, par la réforme qu'a faite M. Varignon au systême de son maître. Suivant lui, toutes les parties sensibles de l'hostie sont réellement changées en autant de corps organiques, lesquels, nonobstant leur petitesse, sont autant de corps humains, et forment tous le même corps, en tant qu'ils sont unis à une seule ame; d'où il résulte que le corps de JésusChrist que l'on reçoit, n'est point un corps de pain, mais une vraie chair douée d'organes. Nous aurions bien désiré que l'objet principal que nous avons en vue dans notre ouvrage, et dont nous ne devons pas trop nous écarter, nous eût permis de placer ici le petit écrit de ce célèbre géomètre (1), qui répand un si grand jour sur cette matière, et fait totalement disparoître, du systême de Descartes, le point qui contribuoit le plus à le rendre inconciliable avec la doctrine orthodoxe.

(1) Nous ne pouvons pas revenir de notre étonnement, quand nous voyons M. d'Alembert, dans les notes qui suivent l'Eloge de Bossuet, plaisanter sur cet écrit de M. Varignon, qui a paru à d'autres géomètres, aussi éclairés et plus désintéressés que lui, un chefd'œuvre de sagacité, et le traiter de pieuse extravagance d'un dévot mathématicien. Nous appelons de ce jugement à tous les lecteurs qui prendront la peine de lire cet écrit de Varignon, ou même l'espèce d'extrait qu'en donne M. d'Alembert. Leur étonnement augmentera, s'ils veulent bien faire attention que, pour avoir l'occasion de débiter cette invective, M. d'Alembert a supposé une phrase de Bossuet : car on défie de citer l'ouvrage de Bossuet où cette phrase se rencontre. (Eloges de d'Alembert, tom. II, pag. 261.)

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