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nature du temps ou de la durée de notre vie; car étant telle que ses parties ne dépendent point les unes des autres et n'existent jamais ensemble, de ce que nous sommes maintenant, il ne s'ensuit pas nécessairement que nous soyons un moment après, si quelque cause, à savoir la même qui nous a produits, ne continue à nous produire, c'est-à-dire, ne nous conserve; et nous connoissons aisément qu'il n'y a point de force en nous par laquelle nous puissions subsister ou nous conserver un seul moment, et que celui qui a tant de puissance qu'il nous fait subsister hors de lui, et qui nous conserve, doit se conserver lui-même, ou plutôt n'a besoin d'être conservé par qui que ce soit, et enfin qu'il est Dieu.

Nous venons de voir, et nous avions déjà fait remar→ quer dans la Vie de Descartes, qu'il étoit obligé d'interrompre ses méditations sur l'existence et les attributs de Dieu, entraîné par les profonds sentimens d'adoration, d'admiration, d'amour, qu'excitoit en lui la contemplation de la nature divine : nous avons bien à regretter qu'il n'ait point exprimé ces sentimens; sans doute ils nous auroient paru dignes de la grandeur et de la beauté de son ame. Mais M. de Fénélon, qui adopte pleinement les preuves de l'existence de Dieu, découvertes par Descartes, et qui les a développées d'une manière admirable, a éprouvé le même besoin que Descartes; comme lui, il s'est vu forcé, en terminant ses preuves, de se livrer aux mêmes sentimens d'adoration, d'admiration et

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d'amour qu'elles excitoient dans ce grand philosophe : heureusement pour nous il les a exprimées, et c'est un grand dédommagement de ce que Descartes ne nous a pas fait connoître. Ce philosophe pouvoit-il avoir un plus habile suppléant, et un plus digne interprète que Fénélon?

Voilà donc enfin le premier rayon de vérité qui luit à mes yeux. Mais quelle vérité! celle du premier être. O vérité plus précieuse elle seule que toutes les autres ensemble que je puis découvrir! vérité qui me tient lieu de toutes les autres ! Non, je n'ignore plus rien, puisque je connois ce qui est tout, et que tout ce qui n'est pas lui, n'est rien. O vérité universelle, infinie, immuable! c'est donc vous-même que je connois; c'est vous qui m'avez fait, et qui m'avez fait par vous-même. Je serois comme si je n'étois pas, si je ne vous connoissois point. Pourquoi vous ai-je si longtemps ignorée? Tout ce que j'ai cru voir sans vous n'étoit point véritable; car rien ne peut avoir aucun degré de vérité que par vous seule, ô vérité première ! Je n'ai vu jusqu'ici que des ombres; ma vie entière n'a été qu'un songe. J'avoue que je connois jusques à présent peu de vérités; mais ce n'est pas la multitude que je cherche. O vérité précieuse! ô vérité féconde! ô vérité unique! en vous seule je trouve tout, et ma curiosité s'épuise; de vous sortent tous les êtres comme

de leur source; en vous je trouve la cause immédiate de tout votre puissance, qui est sans bornes, m'absorbe tout entier dans sa contemplation. Je tiens la clef de tous les mystères de la nature, dès que je découvre son auteur. O merveille qui m'explique toutes les autres! vous êtes incompréhensible, mais vous me faites tout comprendre; vous êtes incompréhensible, et je m'en réjouis. Votre infini m'étonne et m'accable; c'est ma consolation: je suis ravi que vous soyez si grand que je ne puisse vous voir tout entier; c'est à cet infini que je vous reconnois pour l'être qui m'a tiré du néant. Mon esprit succombe sous tant de majesté; heureux de baisser les yeux, ne pouvant soutenir par mes regards l'éclat de votre gloire. (Traité de l'existence de Dieu, IIe. part., chap. 11.)

V I.

ECLAIRCISSEMENT sur quelques doutes proposés contre l'argument tiré de l'idée de Dieu qui est

en nous.

(MÉDIT. Rép. aux princip. instances, p. 505.)

On m'oppose, 1°. que tout le monde n'expérimente pas en soi l'idée de Dieu; 2°. que si j'avois cette idée je la comprendrois; 3°. que plusieurs ont lu mes raisons, et n'en sont pas persuadés.

Je dis donc 1o. si on prend le mot d'idée de la façon que j'ai dit très-expressément que je le prenois,

sans s'excuser par l'équivoque de ceux qui le restreignent aux images des choses matérielles qui se forment dans l'imagination, on ne sauroit nier qu'on a quelque idée de Dieu, à moins qu'on ne dise qu'on n'entend pas ce que signifient ces mots: la chose la plus parfaite que nous puissions concevoir; car c'est ce que tous les hommes appellent Dieu. Et c'est passer à d'étranges extrémités pour vouloir faire des objections, que d'en venir à dire qu'on n'entend pas ce que signifient les mots qui sont les plus ordinaires dans la bouche des hommes cutre que c'est la confession la plus impie qu'on puisse faire, que de dire de soi-même, au sens que j'ai pris le mot d'idée, qu'on n'en a aucune de Dieu; car ce n'est pas seulement dire qu'on ne le connoît point par la raison naturelle, mais aussi que ni par la foi, ni par aucun autre moyen, on ne sauroit rien savoir de lui; parce que si on n'a aucune idée, c'est-à-dire, aucune perception qui réponde à la signification de ce mot Dieu, on a beau dire qu'on croit que Dieu est, c'est le même que si on disoit qu'on croit que rien est, et ainsi on demeure dans l'abîme de l'impiété et dans l'extrémité de l'ignorance.

2o. Ce qu'ils ajoutent, que si j'avois cette idée, je la comprendrois, est dit sans fondement; car, puisque le mot de comprendre signifie quelque limitation, un esprit fini ne sauroit comprendre Dieu, qui est infini; mais cela n'empêche pas

qu'il ne l'aperçoive, ainsi qu'on peut bien toucher une montagne, quoiqu'on ne la puisse pas embrasser.

5. On m'objecte que plusieurs ont lu mes preuves sans en être persuadés; mais cela peut être aisément réfuté, en observant qu'il y en a quelques autres qui les ont comprises, et en ont été satisfaits: car on doit plus croire à un seul qui dit, sans intention de mentir, qu'il a vu ou compris quelque chose, qu'on ne doit faire à mille autres qui la nient, par cela seul qu'ils ne l'ont pu voir ou comprendre. C'est ainsi que, dans la dé̟couverte des antipodes, on a plutôt cru au rapport de quelques matelots qui ont fait le tour de la terre, qu'à des milliers de philosophes qui n'ont pas cru qu'elle fût ronde.

VII.

La démonstration de l'existence de Dieu, tirée de son idée, éclaircie et confirmée.

(MÉDIT. Rép. aux secondes object., p. 153.)

Pour faire connoître plus clairement que l'idée de Dieu ne pourroit être en nous, si un souverain être n'existoit pas, il ne s'agit que d'accoutumer l'esprit à donner créance à certaines premières notions qui sont très-évidentes, plutôt qu'à des opinions obscures et fausses, mais qu'un long usage a profondément gravées dans nos esprits.

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