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au corps de Christ, qui ne pense que ce corps de Christ est précisément contenu sous la même superficie sous laquelle le pain seroit contenu s'il étoit présent; quoique néanmoins il ne soit pas là comme proprement dans un lieu; mais sacramentellement, et de cette manière d'exister, laquelle quoique nous ne puissions qu'à peine exprimer par paroles, après néanmoins que notre esprit. "est éclairé des lumières de la foi, nous pouvons concevoir comme possible à Dieu, et laquelle nous sommes obligés de croire très-fermement. Toutes lesquelles choses me semblent être si commodément expliquées par mes principes, que nonseulement je ne crains pas d'avoir rien dit ici qui puisse offenser nos théologiens, qu'au contraire j'espère qu'ils me sauront gré de ce que les opinions que je propose dans la physique sont telles, qu'elles. s'accordent beaucoup mieux avec la théologie, que celles qu'on y propose d'ordinaire. Car, dans le vrai, l'Eglise n'a jamais enseigné (au moins que je sache) que les espèces du pain et du vin, qui demeurent au sacrement de l'Eucharistie, soient des accidens réels, qui subsistent miraculeusement tout seuls, après que la substance, à laquelle ils étoient attachés, a été ôtée.

Mais parce que peut-être les premiers théologiens, qui ont entrepris d'expliquer cette question par les raisons de la philosophie naturelle, se per suadoient si fortement que ces accidens, qui tou

chent nos sens, étoient quelque chose de réel, différent de la substance, qu'ils ne pensoient pas seulement que jamais on en pût douter, ils avoient supposé sans aucune raison valable, et sans y avoir bien pensé, que les espèces du pain étoient des accidens réels de cette nature; ensuite de quoi ils ont mis toute leur étude à expliquer comment ces accidens peuvent subsister sans sujet : en quoi ils ont trouvé tant de difficultés, que cela seul leur devoit faire juger qu'ils s'étoient détournés du droit chemin; ainsi que font les voyageurs, quand quelque sentier les a conduits à des lieux pleins d'épines et inaccessibles. Car, premièrement, ils semblent se contredire (au moins ceux qui tiennent que les objets ne meuvent nos sens que par le moyen du contact) lorsqu'ils supposent qu'il faut encore quelque autre chose dans les objets, pour mouvoir les sens, que leurs superficies diversement disposées d'ailleurs, c'est une chose qui de soi est évidente, que la superficie seule suffit pour le contact; et s'il y en a qui ne veulent pas tomber d'accord que nous ne sentons rien sans contact, ils ne peuvent rien dire touchant la façon dont les sens sont mûs par leurs objets, qui ait aucune apparence de vérité. Outre cela l'esprit humain ne peut pas concevoir que les accidens du pain soient réels, et que néanmoins ils existent sans sa substance, à moins qu'il ne les conçoive à la façon des substances: en sorte qu'il semble qu'il

y ait de la contradiction, que toute la substance du pain soit changée, ainsi que le croit l'Eglise, et que cependant il demeure quelque chose de réel qui étoit auparavant dans le pain; parce qu'on ne peut pas concevoir qu'il demeure rien de réel que ce qui subsiste; et, encore qu'on nomme cela un accident, on le conçoit néanmoins comme une substance. Et c'est en effet la même chose que si on disoit qu'à la vérité toute la substance du pain est changée, mais que néanmoins cette partie de sa substance, qu'on nomme accident réel, demeure: dans lesquelles paroles s'il n'y a point de contradiction, certainement dans le concept il en paroît beaucoup. Et il semble que ce soit principalement pour ce sujet, que quelques-uns se sont éloignés en ceci de la créance de l'église romaine. Mais qui pourra nier que, lorsqu'il est permis, et que nulle raison, ni théologique, ni même philosophique, ne nous oblige à embrasser une opinion plutôt qu'une autre, il ne faille principalement choisir celles qui ne peuvent donner occasion ni prétexte à personne de s'éloigner des vérités de la foi? Or, que l'opinion qui admet des accidens réels ne s'accommode pas aux raisons de la théologie, je pense que cela se voit ici assez clairement; et qu'elle soit tout-à-fait contraire à celles de la philosophie, j'espère dans peu le démontrer évidemment dans un traité des Principes, que j'ai dessein de publier, et d'y expliquer comment la couleur, la saveur,

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Ja pesanteur, et toutes les autres qualités qui touchent nos sens, dépendent seulement en cela de la superficie extérieure des corps.

Au reste, on ne peut pas supposer que les accidens soient réels, sans qu'au miracle de la transsubstantiation, lequel seul peut être inféré des paroles de la consécration, on n'en ajoute sans nécessité un nouveau et incompréhensible, par ·lequel ces accidens réels existent tellement sans la substance du pain, que cependant ils ne soient pas eux-mêmes faits des substances: ce qui ne répugne pas seulement à la raison humaine, mais même à l'axiome des théologiens, qui disent que les paroles de la consécration n'opèrent rien que ce qu'elles signifient, et qui ne veulent pas attribuer à miracle les choses qui peuvent être expliquées par raison, naturelle. Toutes ces difficutés sont entièrement levées par l'explication que je donne à ces choses. Car, tant s'en faut que, selon l'explication que j'y donne, il soit besoin de quelque miracle pour conserver les accidens après que la substance du pain est ôtée, qu'au contraire, sans un nouveau miracle, (à savoir par lequel les dimensions fussent changées) ils ne peuvent pas être ôtés. Et les histoires nous apprennent que est quelquefois arrivé, lorsqu'au lieu du pain consacré, il a paru de la chair, ou un petit enfant entre les mains du prêtre : car jamais on n'a cru que cela soit arrivé par une cessation de miracle,

cela

mais on a toujours attribué cet effet à un miracle nouveau. De plus, il n'y a rien en cela d'incompréhensible ou de difficile, que Dieu, créateur de toutes choses, puisse changer une substance en une autre, et que cette dernière substance demeure précisément sous la même superficie, sous qui la première étoit contenue. On ne peut aussi rien dire de plus conforme à la raison, ni qui soit plus communément reçu par les philosophes, que nonseulement tout sentiment, mais généralement toute action d'un corps sur un autre, se fait par le contact, et que ce contact peut être en la seule superficie d'où il suit évidemment que la même superficie doit toujours agir ou pâtir de la même façon, quelque changement qui arrive en la substance qu'elle couvre.

C'est pourquoi, s'il m'est permis de dire la vérité sans envie, j'ose espérer que le temps viendra où cette opinion, qui admet des accidens réels, sera rejetée par les théologiens comme peu sûre en la foi, répugnante à la raison, et entièrement incompréhensible, et que la mienne sera reçue en sa place, comme certaine et indubitable.

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