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citez perpétuellement des querelles, vous ne serez donc jamais heureux.

XXI.

DIFFÉRENCE entre les innovations en philosophie et les innovations en religion.

(Ex Epist. ad Voetium, pag. 13.)

La philosophie dont je m'occupe, n'est rien de plus que la connoissance des vérités qu'on peut découvrir par la lumière naturelle, et qui peuvent servir à l'usage de la vie. Il n'est donc point d'étude en elle-même plus honnête, plus avantageuse, plus digne de l'homme. La philosophie vulgaire, qu'on a jusqu'ici enseignée dans les académies et les écoles, n'est qu'un certain assemblage d'opinions douteutes pour la plus grande partie, comme le prouvent les disputes interminables qui retentissent dans les écoles, et de plus inutiles, ainsi que l'a déjà montré une longue expérience; car quel est l'homme qui ait jamais tiré quelque parti, pour son usage, de la matière première, des formes substantielles, des qualités occultes.

Il n'est donc point du tout raisonnable que ceux qui ont appris ces opinions, qu'eux-mêmes jugent n'avoir aucune certitude, conçoivent de la haine pour ceux qui s'efforcent d'en inventer qui aient un fondement plus solide.

Véritablement, en matière de religion, toute innovation est digne de haine, parce que chaque homme étant persuadé que la religion qu'il professe est émanée de Dieu, doit en conséquence croire que tous les changemens, qu'on prétendroit y introduire, sont autant d'attentats contre la divinité. Mais dans la philosophie, qu'on avoue généralement n'être point encore assez connue, et qui est susceptible de grandes améliorations, il n'est au contraire rien de plus louable que d'innover.

XXII.

DESCARTES explique comment les espèces ou accidens du pain et du vin subsistent dans l'Eucharistie après la consécration: il rejette, sur ce point, l'opinion qui étoit généralement reçue dans les écoles; il juge la sienne plus favorable à la doctrine orthodoxe, et croit qu'elle prévaudra dans les écoles.

(Médir. Rép. aux quatrièmes object., p. 292.) M. Arnauld avoit fait observer à Descartes que ses principes, sur l'essence de la matière et sur la nature des qualités sensibles, alarmeroient les théologiens, et leur paroîtroient ne pouvoir se concilier avec le dogme de l'église catholique sur l'Eucharistie. Nous tenons pour article de foi, disoit M. Arnauld, que la substance du pain étant ótée du pain eucharistique, les seuls accidens y demeu

rent. Or M. Descartes n'admet point d'accidens réels, mais seulement des modes qui ne sauroient étre conçus sans quelque substance en laquelle ils résident, ni par conséquent aussi exister sans elle.

M. Arnauld ajoutoit : « Je ne doute pas que M. Des<< cartes, dont la piété nous est connue, n'examine et ne « pèse diligemment les choses, et qu'il ne juge bien qu'il <«<lui faut soigneusement prendre garde, qu'en tâchant de <<< soutenir la cause de Dieu contre l'impiété des libertins, <«< il ne semble leur avoir mis des armes en main, pour <«< combattre une foi que l'autorité de Dieu, qu'il défend, « a fondée, et au moyen de laquelle il espère parvenir à «< cette vie immortelle qu'il a entrepris de persuader aux <<< hommes >>.

Effectivement, l'étendue, la figure, la couleur, l'odeur, et toutes les autres qualités sensibles du pain, que les théologiens appellent les accidens, subsistent dans l'Eucharistie, après même que la substance du pain n'y existe plus; et les théologiens pensoient communément qu'ils subsistoient par eux-mêmes sans aucun sujet auquel ils inhérassent; c'est ce qu'ils appeloient des accidens absolus. Descartes étoit persuadé que cette doctrine des accidens réels ou absolus étoit absurde: il croyoit en même temps que toute la difficulté, qu'oppose le témoignage de nos sens au dogme de l'Eucharistie, s'évanouissoit dans les principes de sa philosophie; parce que, d'un côté, tous ces accidens, ces qualités sensibles avoient leur fondement dans la superficie des corps ou émanoient d'elle, et que, de l'autre, cette superficie, telle qu'il l'entendoit, n'appartenoit point à la substance du pain, et qu'elle pouvoit par conséquent, après même que la substance du pain

ne

ne subsistoit plus, subsister encore elle-même par la puissance de Dieu, et donner lieu aux mêmes apparences ou aux mêmes sensations qu'on éprouvoit auparavant. Nous allons dans un moment entendre Descartes proposer plus amplement et plus nettement son systême.

Il étoit si persuadé de la supériorité de son explication, sur celle des théologiens scolastiques, qu'il ne craignoit pas de dire que le temps viendroit où l'opinion, qui admet des accidens réels, seroit rejetée par les théologiens, et la sienne reçue en sa place comme certaine et indubitable. Sa prédiction s'est accomplie en très-grande partie du moins la plupart des théologiens orthodoxes paroissent aujourd'hui avoir adopté son opinion, et s'en servent avantageusement pour lever une des plus fortes difficultés qu'oppose la raison au dogme eucharistique.

Ce qu'il y a de certain, et qui est en même temps décisif pour mettre cette opinion à l'abri de toute censure, c'est que M. Arnauld, un juge si habile et si exact dans tout ce qui a rapport à l'Eucharistie, témoigna être satisfait des réponses que Descartes avoit faites à ses objections, n'insista pas davantage, et fut, jusqu'à la fin de ses jours, un de ses plus zélés défenseurs.

Il ne sera pas inutile d'observer que M. Pélisson, dans les dernières années de sa vie, s'étoit beaucoup occupé de défendre et d'éclaircir le dogme de la transsubstantiation. Trois jours avant sa mort, il entretenoit encore M. Bossuet de son travail, et lui déclaroit qu'il espéroit pousser, jusqu'à la démonstration, l'ouvrage qu'il avoit entrepris. (Tom. X, n. éd., p. 104 et 105.) Ce grand évêque témoigna souhaiter vivement qu'on cherchât, dans les papiers de son ami défunt, tout ce qu'il auroit écrit sur cette matière, et

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qu'on le donnât au public. Ses souhaits furent accomplis: une année après la mort de M. Pélisson, en 1694, parut sous le nom de cet auteur célèbre, et avec l'approbation de M. Bossuet la plus absolue, un traité sur l'Eucharistie, qui, quoique incomplet, est vraiment admirable. On n'y trouve point, il est vrai, tout ce que M. Pélisson sembloit avoir promis sur la transsubstantiation proprement dite: peut-être n'avoit-il pas eu le temps de le mettre par écrit : mais il y traite la difficulté qu'on tiroit, contre le dogme du témoignage des sens, et il l'a levée d'une manière qui semble avoir quelque rapport avec celle qu'a proposée Descartes; ou du moins celle de Descartes peut en être regardée comme le développement.

༥ Ce n'est pas nous (catholiques), dit M. Pélisson, « p. 107, qui avons imaginé cette distinction de substance << et d'accidens; c'est Platon, c'est Aristote, qui n'avoient « aucune part à nos disputes.... Ils ont compris qu'en ce « qu'on appelle pain, il y a quelque chose d'invisible et « d'impalpable, qui ne tombe par lui-même sous aucun << de nos sens, et qu'ils appellent substance; quelque chose « att contraire de visible et de palpable, qui revêt et envi<< ronne cette substance, et qui tombe sous les sens, et <«< ils le nomment accidens. Otez, disent-ils, l'un après <«<l'autre toutes les qualités ou accidens dont cet être «< invisible et impalpable du pain est revêtu, vous ne lui << ôtez rien de son être, et c'est toujours du pain. Si vous «< ôtez, au contraire, de ce tout qu'on appelle pain, cet «< être invisible et impalpable que les qualités ou acci<< dens vous font connoître, vous lui ôteriez et le nom et « l'être de pain.

« Voici donc à quoi se réduit nettement ce qui nous

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