Page images
PDF
EPUB

racheté de ce même sang un très-grand nombre d'autres hommes, ainsi je ne vois point que le mystère de l'Incarnation, et tous les autres avantages que Dieu a faits à l'homme, empêchent qu'il n'en puisse avoir fait une infinité d'autres très-grands, à une infinité d'autres créatures. Et quoique je n'infère point de cela qu'il y ait des créatures intelligentes dans les étoiles, ou ailleurs, je ne vois pas aussi qu'il y ait aucune raison, par laquelle on puisse prouver qu'il n'y en a point; mais je Jaisse toujours indécises les questions qui sont de cette sorte, plutôt que d'en rien nier ou assurer.

Il me semble qu'il ne reste plus ici d'autre difficulté, sinon qu'après avoir cru long-temps que l'hoinme a de grands avantages sur les autres créatures, il semble qu'on les perde tous, lorsqu'on vient sur cette matière à changer d'opinion. Mais je distingue entre ceux de nos biens qui peuvent devenir moindres, de ce que d'autres en possèdent de semblables, et ceux que cela ne peut rendre moindres. Un homme qui n'a que mille pistoles seroit fort riche, s'il n'y avoit point d'autres personnes au monde qui en eussent autant, et le même seroit fort pauvre, s'il n'y avoit personne qui n'en eût beaucoup davantage : de plus, toutes les qualités louables donnent d'autant plus de gloire à ceux qui les ont, qu'elles se rencontrent en moins de personnes; d'où il arrive qu'on a coutume de porter envie à la gloire et aux richesses d'autrui.

[ocr errors]

Mais la vertu, la science, la santé, et généralement tous les autres biens étant considérés en euxmêmes, sans être rapportés à la gloire, ne sont en aucune manière moindres en nous, de ce qu'ils se trouvent aussi en beaucoup d'autres; nous n'avons donc aucun sujet d'être chagrins qu'ils soient en plusieurs. Or les biens qui peuvent être en toutes les créatures intelligentes d'un monde indéfini, sont de ce nombre, ils ne rendent point moindres ceux que nous possédons. Au contraire, lorsque nous aimons Dieu, et que par lui nous nous joignons de volonté avec toutes les choses qu'il a créées, plus nous les concevons grandes, nobles, parfaites, et plus nous nous estimons nous mêmes, parce que nous nous regardons alors. comme des parties d'un tout plus accompli, et que nous avons plus de sujet de louer Dieu, à raison de l'immensité de ses oeuvres.

Lorsque l'Ecriture sainte parle en divers endroits de la multitude innombrable des anges, elle confirme entièrement cette opinion: car nous croyons que les moindres anges sont incomparablement plus parfaits que les hommes. Les astronomes, qui, en mesurant la grandeur des étoiles, les trouvent beaucoup plus grandes que la terre, la confirment aussi; car si, de l'étendue indéfinie du monde, on infère qu'il doit y avoir des habitans ailleurs qu'en la terre, on le peut inférer aussi de l'étendue que tous les astronomes lui attribuent,

n'y en ayant aucun qui ne juge que la terre est plus petite à l'égard de tout le ciel, que n'est un grain de sable à l'égard d'une montagne.

XIX.

DIFFERENCE entre la connoissance de Dieu naturelle, et la connoissance intuitive: possibilité de cette dernière connoissance.

(Tom. III, Lett. CXXIV.)

La connoissance que nous aurons de Dieu, dans l'état de béatitude éternelle, est distinguée de celle que nous en avons maintenant, en ce qu'elle sera intuitive. Ces deux connoissances diffèrent, non pas dans le plus ou le moins de choses connues, mais dans la façon de connoître.

La connoissance intuitive est une illustration de l'esprit, par laquelle il voit dans la lumière de Dieu les choses qu'il plaît à Dieu de lui découvrir, par une impression directe de la clarté divine sur notre entendement, qui en cela n'est point considéré comme agent, mais seulement comme recevant les rayons de la divinité. Or toutes les connoissances que nous pouvons avoir de Dieu sans miracle, en cette vie, descendent du raisonnement et du progrès de notre discours qui les déduit des principes de la foi, qui est obscure, ou bien elles viennent des idées et des notions naturelles qui

sonten nous, qui, quelque claires qu'elles soient, ne sont que grossières et confuses sur un si haut sujet; de sorte que ce que nous avons ou acquérons de connoissance par le chemin que tient notre raison, a premièrement les ténèbres des principes dont il est tiré, et de plus l'incertitude que nous éprouvons en tous nos raisonnemens.

Comparez maintenant ces deux connoissances, et voyez si cette perception trouble et douteuse, qui nous coûte beaucoup de travail, et dont encore ne jouissons-nous que par momens après que nous l'avons acquise, est semblable à une lumière pure, constante, claire, certaine, facile et toujours présente.

Or que notre esprit, lorsqu'il sera détaché du corps, ou que ce corps étant glorifié ne lui fera plus d'empêchement, ne puisse recevoir de telles illustrations et de telles connoissances directes, en pouvez-vous douter, puisque dans ce corps même les sens lui en donnent, à l'égard des choses corporelles et sensibles, et que notre ame en tient déjà quelques-unes de la bonté de son créateur, sans lesquelles il ne seroit pas capable de raisonner? J'avoue qu'elles sont un peu obscurcies par le mélange du corps; mais encore nous donnentelles une connoissance première, gratuite, certaine, et que nous touchons de l'esprit, avec plus de confiance que nous n'en donnons au rapport de nos yeux ne m'avouerez-vous pas que vous

êtes moins assuré de la présence des objets que vous voyez, que de la vérité de cette proposition, je pense donc je suis? Or cette connoissance n'est point un ouvrage de votre raisonnement, ni une instruction que vos maîtres vous aient donnée; votre esprit la voit, la sent et la touche; et quoique votre imagination, qui se mêle importunément dans vos pensées, en diminue la clarté en voulant la revêtir de ses figures, elle vous est pourtant une preuve de la capacité de nos ames à recevoir de Dieu une connoissance intuitive.

XX.

SENTIMENT de Descartes sur l'unité et la concorde dans l'ordre de la religion.

(Ex Epist. ad Voetium, pag. 8.)

Dans un libelle publié contre moi, Voëtius se plaint de ce que quelques théologiens consument toute leur orthodoxie et leur piété dans un zèle immodéré de la concorde, immoderato concordiæ zelo orthodoxiam ac pietatem consumere; comme si désirer vivement l'union et la concorde étoit un crime capital et ordinaire aux théologiens. Pour moi, j'ai toujours cru que le zèle étoit la plus grande des vertus, une vertu véritablement chrétienne. Bienheureux les pacifiques, est-il dit dans l'Evangile : M. Voëtius, puisque vous sus

« PreviousContinue »