Page images
PDF
EPUB

1o. Je me souviens que le cardinal de Cusa et plusieurs autres docteurs ont supposé le monde infini (1), sans qu'ils aient jamais été repris de l'Eglise

(1) Le systême de Descartes, sur le plein et les tourbillons, semble exiger que le monde soit infini, ou qu'il n'y ait point de tourbillons qu'on puisse regarder comme les derniers de tous: car ces derniers tourbillons n'étant comprimés par aucun autre, se dissiperoient nécessairement, et la dissipation des derniers entraîneroit successivement et bientôt celle de tous les autres.

Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que le système du vide et de l'attraction exige aussi l'infinité du monde. M. Halley le croyoit ainsi. « M. Halley, dit M. de Mairan, dans l'éloge « de ce savant, admettoit l'espace réel et sans bornes, l'at<< traction mutuelle des corps, et en conséquence il croyoit «<les étoiles en nombre infini, parce que si elles n'étoient << balancées de toutes parts et à l'infini par des tendances réci<< proques, elles se réuniroient toutes incessamment dans un

centre commun ».

M. de Fontenelle a très-bien vu aussi que, dans le systême de Newton, le vide et l'attraction entraînoient l'infinité da monde ou des étoiles. « L'attraction, dit-il, (Théorie des « tourbillons, pag. 212) qui se lie si bien, à ce qu'on croit, « avec le vide, et qui est mutuelle entre tous les corps, agi <«<roit perpétuellement sur eux pour les rapprocher les uns des « autres, quelque dispersés qu'ils fussent d'abord, et elle " agiroit sans avoir aucun obstacle à surmonter, puisque « l'espace ou le vide n'a aucune force ni attractive ni répul«sive. Les vides semés originairement, si on veut, entre << tous les corps, disparoîtroient donc en plus ou moins de << temps, et il ne resteroit plus qu'un grand vide total au-delà « de tous les corps violemment appliqués les uns contre les << autres »

pour ce sujet; au contraire, on croit que c'est honorer Dieu, que de faire concevoir ses oeuvres fort grandes; et mon opinion est moins difficile à recevoir que la leur, parce que je ne dis pas que le monde soit infini, mais indéfini seulement. En quoi il y a une différence assez remarquable: car pour dire qu'une chose est infinie, on doit avoir quelque raison qui la fasse connoître telle, ce qu'on ne peut avoir que de Dieu seul; mais pour dire qu'elle est indéfinie, il suffit de n'avoir point de raison par laquelle on puisse prouver qu'elle ait des bornes. Or il me semble qu'on ne peut prouver, ni même concevoir qu'il y ait des bornes en la matière dont le monde est composé. Car en examinant la nature de cette matière, je trouve qu'elle ne consiste en autre chose, qu'en ce qu'elle a de l'étendue en longueur, largeur et profondeur; de façon que tout ce qui a ces trois dimensions est une partie de cette matière; et il ne peut y avoir aucun espace entièrement vide, c'est-à-dire, qui ne contienne aucune matière, parce que nous ne saurions concevoir un tel espace, que nous ne concevions en lui ces trois dimensions, et par conséquent de la matière. Or, en supposant le monde fini, on imagine au-delà de ses bornes quelques espaces qui ont leurs trois dimensions, et ainsi qui ne sont pas purement imaginaires, comme les philosophes les nomment, mais qui contiennent en soi de la matière; laquelle ne pou

vant être ailleurs que dans le monde, fait voir que le monde s'étend au-delà des bornes qu'on avoit voulu lui attribuer. N'ayant donc aucune raison pour prouver, et même ne pouvant concevoir que le monde ait des bornes, je le nomme indéfini; mais je ne puis nier, pour cela, qu'il n'en ait peut-être quelques-unes qui sont connues de Dieu, quoiqu'elles me soient incompréhensibles; c'est pourquoi je ne dis pas absolument qu'il est infini.

2o. Lorsque son étendue est considérée en cette sorte, si on la compare avec sa durée, il me semble qu'elle donne seulement occasion de penser qu'il n'y a point de temps imaginable, avant la création du monde, auquel Dieu n'eût pu le créer s'il eût voulu, et qu'on n'a point sujet, pour cela, de conclure qu'il l'a véritablement créé avant un temps indéfini; à cause que l'existence actuelle ou véritable, que le monde a eue depuis cinq ou six mille ans, n'est pas nécessairement jointe avec l'existence possible ou imaginaire qu'il a pu avoir auparavant; ainsi que l'existence actuelle des espaces qu'on conçoit autour d'un globe (c'est-àdire, du monde supposé comme fini) est jointe avec l'existence actuelle de ce même globe. Outre cela, si de l'étendue indéfinie du monde on pouvoit inférer l'éternité de sa durée, à l'égard du temps passé, on la pourroit encore mieux inférer de l'éternité de la durée qu'il doit avoir à l'avenir:

car la foi nous enseigne que, quoique la terre et les cieux périront, c'est-à-dire changeront de face, cependant le monde, c'est-à-dire la matière dont ils sont composés, ne périra jamais; comme il paroît de ce qu'elle promet une vie éternelle à nos corps après la résurrection, et par conséquent aussi au monde dans lequel ils seront; mais de cette durée infinie, que le monde doit avoir à l'avenir, on n'infère point qu'il ait été ci-devant de toute éternité; parce que tous les momens de sa durée sont indépendans les uns des autres.

XVIII,

DANS quel sens est-il vrai que tout l'univers a été. fait pour l'homme? et quand il auroit été fait pour d'autres fins, l'homme en devroit-il moins aimer Dieu ?

[ocr errors]

(Tom. Ier., Lett. XXXVI.)

Les prérogatives que la religion attribue à l'homme semblent difficiles à croire, si l'étendue de l'univers est indéfinie, comme je le suppose; et cela mérite quelque explication. Nous pouvons bien dire que toutes les choses créées sont faites pour nous, en tant que nous en pouvons tirer quelque usage, mais je ne sacle point néanmoins, que nous soyons obligés de croire que l'homme soit la fin de la création. Quand il est dit dans.

l'Ecriture, omnia propter ipsum facta sunt, cela est dit de Dieu seul, qui est effectivement la cause finale, aussi bien que la cause efficiente de l'univers pour les créatures, comme elles servent réciproquement les unes aux autres, chacune peut s'attribuer cet avantage, que toutes celles qui lui servent sont faites pour elle. Il est vrai que les six jours de la création sont tellement décrits en la Genèse, qu'il semble que l'homme en soit le principal sujet; mais on peut dire que cette histoire de la Genèse ayant été écrite pour l'homme, ce sont principalement les choses qui le regardent que le Saint-Esprit y a voulu spécifier, et qu'il n'y est parlé d'aucunes, qu'en tant qu'elles se rapportent à l'homme. Quand les prédicateurs nous incitent à l'amour de Dieu, ils ont coutume de nous représenter les divers usages que nous tirons des autres créatures, et disent que Dieu les a faites pour nous; et ils ne nous font point alors considérer les autres fins, pour lesquelles on peut aussi dire qu'il les a faites, parce que cela ne sert point à leur sujet; de là, nous sommes fort enclins à croire qu'il ne les a faites que pour nous.

Mais les prédicateurs vont plus loin; car ils disent que chaque homme en particulier est redevable à Jésus-Christ de tout le sang qu'il a répandu sur la croix, tout comme s'il n'étoit mort que pour un seul; en quoi ils disent bien la vérité; mais comme cela n'empêche pas qu'il n'ait

« PreviousContinue »