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que vous avez témoignée dès le commencement de la maladie de feu madame de Z. me feroit craindre que son décès ne vous fût tout-à-fait insupportable; mais, ne doutant point que vous ne vous gouverniez entièrement selon la raison, je me persuade qu'il vous est beaucoup plus aisé de vous consoler, et de reprendre votre tranquillité d'esprit accoutumée, maintenant qu'il n'y a plus de remède, que lorsque vous aviez encore occasion de craindre et d'espérer. Car il est certain que l'espérance étant totalement ôtée, le désir cesse, ou du moins se relâche et perd sa force; et quand on n'a que peu ou point de désir de recouvrer ce qu'on a perdu, le regret n'en peut être fort sensible.

Il est vrai que les esprits foibles ne goûtent point du tout cette raison, et que, sans savoir euxmêmes ce qu'ils s'imaginent, ils s'imaginent que tout ce qui a autrefois été, peut encore être, et que Dieu est comme obligé de faire pour l'amour d'eux tout ce qu'ils veulent: mais une ame forte et généreuse, comme la vôtre, sachant la condition de notre nature, se soumet toujours à la nécessité de sa loi; et quoique ce ne soit pas sans quelque peine, j'estime si fort l'amitié, que je crois que tout ce que l'on souffre à son occasion est agréable, en sorte que ceux mêmes qui vont à la mort pour le bien des personnes qu'ils affectionnent, me semblent heureux jusqu'au dernier moment

de leur vie. Et quoique j'appréhendasse pour votre santé, pendant que vous perdiez le manger et le repos pour servir vous-même votre malade, j'eusse pensé commettre un sacrilège, si j'eusse tâché à vous détourner d'un office si pieux et si doux. Mais maintenant que votre deuil ne lui pouvant plus être utile, ne sauroit aussi être aussi juste qu'auparavant, ni par conséquent accompagné de cette joie et satisfaction intérieure qui suit les actions vertueuses, et fait que les sages se trouvent heureux en toutes les rencontres de la fortune, si je pensois que votre raison ne le pût vaincre, j'irois importunément vous trouver, et je tâcherois par toute sorte de moyens de vous distraire, parce que je ne sache point d'autre remède pour un tel mal.

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Je ne mets pas ici en ligne de compte la perte que vous avez faite, en tant qu'elle vous regarde, et que vous êtes privé d'une compagne que vous chérissiez extrêmement; car il me semble que les maux, qui nous touchent nous-mêmes, ne sont point comparables à ceux qui touchent nos amis; et au lieu que c'est une vertu d'avoir pitié des moindres afflictions qu'ont les autres, c'est une espèce de lâcheté de s'affliger pour aucune des disgrâces que la fortune peut nous envoyer...... Je vous supplie d'excuser la liberté que je prends de mettre ici mes sentimens en philosophe.

XVI.

SENTIMENS et conduite convenables dans la perle d'un parent ou d'un ami.

(Tom. Ier., Lett. CVII.)

Je viens d'apprendre la triste nouvelle de votre affliction, (il écrit à un de ses amis dont le nom n'est pas connu) et quoique je ne me promette pas de rien mettre en cette lettre, qui ait une grande force pour adoucir votre douleur, je ne puis cependant m'abstenir d'y travailler, pour vous témoigner au moins que j'y participe. Je ne suis pas de ceux qui estiment que les larmes et la tristesse n'appartiennent qu'aux femmes, et que, pour paroître homme de coeur, on doive s'efforcer de montrer toujours un visage tranquille. J'ai senti depuis peu la perte de deux personnes qui m'étoient très-proches, et j'ai éprouvé que ceux qui vouloient me défendre la tristesse l'irritoient, au lieu que j'étois soulagé par la complaisance de ceux que je voyois touchés de mon déplaisir. Ainsi je m'assure que vous me souffrirez mieux, si je ne m'oppose point à vos larmes, que si j'entreprenois de vous détourner d'un sentiment que je crois juste. Mais il doit néanmoins y avoir quelque mesure; et comme ce seroit être barbare que de ne se point affliger du tout lorsqu'on en a du E e

sujet, aussi seroit-ce être trop lâche de s'aban→ donner entièrement au déplaisir, et ce seroit faire fort mal son compte que de ne travailler pas, de tout son pouvoir, à se délivrer d'une passion si incommode. La profession des armes, dans laquelle vous êtes nourri, accoutume les hommes à voir mourir inopinément leurs meilleurs amis, et il n'y a rien au monde de si fàcheux, que la coutume ne rende supportable. Il y a, ce me semble, beaucoup de rapport entre la perte d'une main et d'un frère; vous avez ci-devant souffert la première sans que j'aie jamais remarqué que vous en fussiez affligé, pourquoi le seriez-vous davantage de la seconde? Si c'est pour votre propre intérêt, il est certain que vous pouvez mieux la réparer que l'autre, en ce que l'acquisition d'un fidèle ami peut autant valoir que l'amitié d'un bon frère; et si c'est pour l'intérêt de celui que vous regrettez, comme sans doute votre générosité ne vous permet pas d'être touché d'autre chose, vous savez que ni la raison ni la religion ne font craindre du mal après cette vie, à ceux qui ont vécu en gens d'honneur, mais qu'au contraire l'une et l'autre leur promet des joies et des récompenses. Enfin, Monsieur, toutes nos afflictions, quelles qu'elles soient, ne dépendent que fort peu des raisons auxquelles nous les attribuons, mais seulement de l'émotion et du trouble intérieur que la nature excite en nousmêmes; car lorsque cette émotion est appaisée,

quoique toutes les raisons, que nous avions auparavant, demeurent les mêmes, nous ne nous sentons plus affligés. Or je ne veux point vous conseiller d'employer toutes les forces de votre constance, pour arrêter tout d'un coup l'agitation intérieure que vous sentez; ce seroit peut-être un remède plus fâcheux que la maladie; mais je ne vous conseille pas aussi d'attendre que le temps seul vous guérisse, et beaucoup moins d'entretenir et prolonger votre mal par vos pensées : je vous prie seulement de tâcher peu à peu de l'adoucir, en ne regardant ce qui vous est arrivé que du biais qui peut vous le faire paroître plus supportable, et en vous dissipant le plus que vous pourrez par d'autres occupations. Je sais bien que je ne vous apprends ici rien de nouveau; mais on ne doit pas mépriser les bons remèdes parce qu'ils sont vulgaires; et m'étant servi de celui-ci avec fruit, j'ai cru être obligé de vous l'écrire.

XVII.

ETENDUE indéfinie du monde : on ne peut pas en conclure sa durée infinie.

(Tome Ier., Lett. XXXVI.)

J'admire la force des objections que la reine (Christine) a faites sur la grandeur que j'attribue au monde; je vais m'efforcer d'y satisfaire.

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