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même; c'est-à-dire, que lorsque je fais réflexion sur moi, non-seulement je connois que je suis une chose imparfaite, incomplète, et dépendante d'autrui, qui tend et qui aspire sans cesse à quelque chose de meilleur et de plus grand que je ne suis, mais je connois aussi en même temps que celui dont je dépends possède en soi toutes ces grandes choses auxquelles j'aspire, et dont je trouve en moi les idées, non pas indéfiniment et seulement en puissance, mais qu'il en jouit en effet, actuellement, et infiniment; et ainsi qu'il est Dieu. Et toute la force de l'argument, dont j'ai ici usé pour prouver l'existence de Dieu, consiste en ce que je reconnois qu'il ne seroit pas possible que ma nature fût telle qu'elle est, c'est-à-dire, que j'eusse en moi l'idée d'un Dieu, si Dieu n'existoit véritablement; ce même Dieu, dis-je, duquel l'idée est en moi, c'est-à-dire, qui possède toutes ces hautes perfections, dont notre esprit peut bien avoir quelque légère idée, sans pourtant les pouvoir comprendre, qui n'est sujet à aucuns défauts, et qui n'a rien de toutes les choses qui dénotent quelque imperfection.

D'où il est assez évident qu'il ne peut être trompeur, puisque la lumière naturelle nous enseigne que la tromperie dépend nécessairement de quelque défaut.

Mais avant que j'examine cela plus soigneusement, et que je passe à la considération des autres

vérités que l'on en peut recueillir, il me semble très à propos de m'arrêter quelque temps à la contemplation de ce Dieu tout parfait, de peser tout à loisir ses merveilleux attributs, de considérer, d'admirer, et d'adorer l'incomparable beauté de cette immense lumière, au moins autant que la force de mon esprit, qui en demeure en quelque sorte ébloui, pourra me le permettre. Car, comme la foi nous apprend que la souveraine félicité de l'autre vie ne consiste que dans cette contemplation de la majesté divine, ainsi expérimentons-nous, dès à présent, qu'une semblable méditation, quoique incomparablement moins parfaite, nous fait jouir du plus grand contentement que nous soyons capables de ressentir en cette vie (1).

V.

*

DEMONSTRATION tirée de l'idée que nous avons en général d'un être souverainement parfait, présentée différemment et plus brièvement par Descartes.

(Principes de Philos., pag. 11.) ; Lorsque nous faisons réflexion sur les diverses

(1) Bel exemple que donne Descartes à tous les chrétiens, et particulièrement aux théologiens: exemple qui prouve que ce grand philosophe n'étoit point étranger à la vie spirituelle contemplative. Nous avons déjà fait remarquer ce trait dans sa vie; mais on ne sauroit trop y insister.

idées qui sont en nous, il est aisé d'apercevoir qu'il n'y a pas beaucoup de différence entr'elles, en tant que nous les considérons simplement comme les dépendances de notre ame ou de notre pensée, mais qu'il y en a beaucoup en tant que l'une représente une chose et l'autre une autre, et même que leur cause doit être d'autant plus parfaite, que ce qu'elles représentent de leur objet a plus de perfection. Car, de même que lorsqu'on nous dit que quelqu'un a l'idée d'une machine où il y a beaucoup d'art, nous avons raison de nous informer comment il a pu avoir cette idée, c'est-à-dire, s'il a vu quelque part une telle machine faite par un autre, ou s'il a appris la science des mécaniques, ou s'il est avantagé d'une telle vivacité d'esprit, que de lui-même il ait pu l'inventer sans avoir rien vu de semblable ailleurs; parce que tout l'art qui est représenté dans l'idée qu'a cet homme, ainsi que dans un tableau, doit être en sa première et principale cause, non pas seulement par imitation, mais en effet de la même sorte ou d'une façon encore plus éminente qu'il n'est représenté.

De même, puisque nous trouvons en nous l'idée d'un Dieu ou d'un être tout parfait, nous pouvons rechercher la cause qui fait que cette idée est en nous. Mais après avoir considéré avec attention combien sont immenses les perfections qu'elle nous représente, nous sommes contraints d'avouer

que nous ne saurions la tenir que d'un être trèsparfait, c'est-à-dire d'un Dieu qui est véritablement ou qui existe; parce qu'il est non-seulement manifeste, par la lumière naturelle, que le néant ne peut être auteur de quoi que ce soit, et que le plus parfait ne sauroit être une suite et une dépendance du moins parfait, mais aussi parce que nous voyons, par le moyen de cette même lumière, qu'il est impossible que nous ayons l'idée ou l'image de quoi que ce soit, s'il n'y a, en nous ou ailleurs, un original qui comprenne en effet toutes les perfections qui nous sont ainsi représentées, Mais comme nous savons que nous sommes sujets à beaucoup de défauts, et que nous ne possédons pas ces souveraines perfections dont nous avons l'idée, nous devons conclure qu'elles sont dans quelque nature qui est différente de la nôtre, et en effet très-parfaite, c'est-à-dire qui est Dieu, ou du moins qu'elles ont été autrefois en cette chose; et il suit de ce qu'elles étoient infinies, qu'elles y sont encore.

Je ne vois point en cela de difficulté pour ceux qui ont accoutumé leur esprit à la contemplation de la divinité, et qui ont pris garde à ses perfections infinies: car quoique nous ne les comprenions pas, parce que la nature de l'infini est telle que des pensées finies ne le sauroient comprendre, nous les concevons néanmoins plus clairement et plus distinctement que les choses matérielles;

parce qu'étant plus simples et n'étant point limitées, ce que nous en concevons est beaucoup moins confus. Aussi il n'y a point de spéculation qui puisse plus aider à perfectionner notre entendement, et qui soit plus importante que celleci; d'autant plus que la considération d'un objet qui n'a point de bornes en ses perfections, nous comble de satisfaction et de confiance.

Mais tout le monde n'y prend pas garde comme il faut ; et nous savons assez, lorsque nous avons une idée de quelque machine où il y a beau coup d'art, la façon dont nous l'avons eue; mais nous ne saurions nous souvenir de même quand l'idée que nous avons d'un Dieu nous a été communiquée de Dieu, à cause qu'elle a toujours été en nous. Il faut donc que nous fassions encore cette revue, et que nous recherchions quel est l'auteur de notre amé ou de notre pensée, qui a en soi l'idée des perfections infinies qui sont en Dieu, parce qu'il est évident que ce qui connoît quelque chose de plus parfait que soi, ne s'est point donné l'être la raison en est que, par le même moyen, il se seroit donné toutes les perfections dont il auroit cu connoissance; et par conséquent, qu'il ne sauroit subsister par aucun autre que par celui qui possède en effet toutes ces perfections, c'est-à-dire qui est Dieu.

Je ne crois pas qu'on doute de la vérité de cette démonstration, pourvu qu'on prenne garde à la

nature

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