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préhender que les vérités découvertes en philosophie, fussent contraires à celles de la foi. Or

« admirons maintenant en la nature. Or, comme il est cer<< tain que les choses se conservent naturellement par le même «< moyen qui les a produites, il étoit nécessaire, pour éprou

ver si les lois qu'il suppose que la nature suit pour se con« server sont véritables, qu'il examinât si ces mêmes lois «<eussent pu la disposer comme elle est. Et trouvant que, << selon l'histoire de Moyse même, quoique le soleil ait été « formé depuis la terre, c'est néanmoins par le soleil que << Dieu conserve la terre comme elle est maintenant, puisque «sa chaleur est cause de toutes les productions et de tous les «< changemens qui arrivent en elle; il falloit que M. Descartes <«< montrât que ce même soleil auroit pu la mettre en l'état où <<nous la voyons, si Dieu ne l'y avoit mise en un instant par sa toute-puissance..

« A la vérité, la manière dont M. Descartes décrit que le « soleil a disposé la terre, est successive; ce qu'il avoue, ainsi « que je l'ai déjà remarqué, être peu convenable à Dieu quand « il produit. Mais enfin, comme ce que Dieu fait en conser<< vant le monde, est successif, et qu'il le doit être, afin que «< chaque chose ait une certaine durée, il a été à propos que « notre philosophe examinât si les principes qu'il établissoit, « pour rendre raison de la durée de tous les êtres naturels, << auroient pu les produire par succession de temps : ce qu'il « a exécuté avec une justesse qui me paroît incomparable. « Ainsi, M. Descartes n'a rien fait en cela qui soit contraire << au dessein de Moyse.

<< Ce prophète savoit que c'est par le soleil que Dieu con« serve la terre et les êtres naturels, du moins ceux qui sont « les plus proches de nous. Mais de peur qu'on ne crût que «< cet astre fût la cause de tout, Moyse a voulu précisément " que l'on sût que la lumière, qui est celle de toutes les créa

j'avance hardiment que notre religion ne nous enseigne rien qui ne puisse s'expliquer aussi facilement, et même avec plus de facilité, suivant mes principes, que suivant ceux qui sont communément reçus; et il me semble en avoir déjà donně une assez belle preuve vers la fin de ma réponse aux quatrièmes objections, sur une question où l'on a ordinairement plus de peine à faire accorder la philosophie avec la théologie (la transubstan

«tures qui dépend le plus du soleil, a été faite avant lui : et « cela étoit nécessaire, pour marquer à ceux qui sauroient «ces merveilles, que Dieu les a toutes opérées par sa seule vo« lonté, et que, s'il les conserve maintenant avec une espèce « de dépendance entr'elles, néanmoins elles ne se doivent ni « l'être ni la conservation les unes aux autres, mais à Dieu « seul.

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« De son côté, M. Descartes, qui avoit à expliquer cette « correspondance que Dieu a mise entre les êtres naturels, «<et qui devoit rendre raison, par le soleil, de tout ce qui se «<fait dans la partie du monde qui nous est la plus connue << ne pouvoit mieux nous faire entendre combien le soleil est « bien disposé par la première puissance à entretenir l'état « naturel de tout ce que nous voyons, qu'en montrant que, << suivant cette même disposition, le soleil auroit pu mettre, << par succession de temps, notre monde en l'état où il est, « s'il n'avoit été plus à propos de former toutes les créatures « dans un ordre contraire à celui qu'exigeoit la dépendance

qui est maintenant entr'elles, et de former chacun des êtres « d'une manière qui fit connoître que, comme l'auteur du <« monde n'avoit eu besoin de rien pour tout faire, il n'avoit « pas besoin de temps pour produire aucune des choses que << nous admirons ».

tiation). Je serois encore prêt à faire la même chose sur toutes les autres questions, s'il en étoit besoin....

Voëtius, théologien protestant, prétend, il est vrai, que de ma philosophie suivent quelques opinions contraires à la vraie théologie : c'est une accusation entièrement fausse et injurieuse. Je ne veux point me servir ici de cette exception, que je ne tiens point sa théologie pour vraie et orthodoxe je n'ai jamais méprisé personne pour n'être pas de même sentiment que moi, principalement touchant les choses de la foi, parce que je sais que la foi est un don de Dieu; au contraire, je chéris et honore plusieurs théologiens et prédicateurs qui professent la même religion que lui. Mais puisque je ne traite dans ma philosophie que des choses qui sont connues clairement par la lumière naturelle, elles ne sauroient être contraires à la théologie de personne, à moins que cette théologie ne fût ellemême manifestement opposée à la lumière de la raison ce que je sais que personne n'avouera de la théologie dont il fait profession.

V.

DE L'ETERNITÉ DES PEINES.

(Tom. Ier., Lett. CX.)

On m'a proposé de traiter la question si la bonté de Dieu lui permet de condamner les hom

mes à des peines éternelles. Cette question est du ressort de la théologie, et je me suis abstenu de répondre; non pas que les raisons des libertins en ceci aient quelque force, car elles me semblent frivoles et ridicules, mais parce que je tiens que c'est faire tort aux vérités qui dépendent de la foi, et qui ne peuvent être prouvées par une démonstration naturelle, que de les vouloir affermir par des raisons humaines, et probables seulement (1).

VI.

DESCARTES se justifie de l'accusation de pélagianisme, et d'avoir écrit contre les voeux.

(Tom. II, Lett. VI; tom. III, Lett. VII.)

J'ai cherché dans saint Augustin les erreurs de Pélage, pour savoir sur quoi peuvent se fonder ceux qui disent que je suis de son opinion; mais j'admire comment ceux qui ont envie de médire,

(1) Nous regrettons que Descartes n'ait pas voulu traiter cette question dans la même lettre. Il dit un mot sur la perfection de l'univers, qui jette un grand jour sur l'optimisme de Leibnitz et de Malebranche. « Dieu mène tout à sa perfec«<tion, c'est-à-dire, tout collectivè, non pas chaque chose en <«< particulier; car cela même, que les choses particulières périssent, et que d'autres renaissent en leur place, est une « des principales perfections de l'univers ».

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s'avisent d'en chercher des prétextes si peu véritables, et tirés de si loin. Pélage a dit qu'on pouvoit faire de bonnes oeuvres et mériter la vie éternelle sans la grâce, ce qui a été condamné par l'Église; et moi je dis qu'on peut connoître par la raison naturelle que Dieu existe. Mais je ne dis pas pour cela que cette connoissance naturelle mérite de soi, et sans la grâce, la gloire surnaturelle que nous attendons dans le ciel : car au contraire il est évident que cette gloire étant surnaturelle, il faut des forces plus que naturelles pour la mériter; et je n'ai rien dit, touchant la connoissance de Dieu, que tous les théologiens ne disent aussi. Mais il faut remarquer que ce qui se connoît par la raison naturelle, comme qu'il est tout bon, tout puissant, tout véritable, etc., peut bien servir à préparer les infidèles à recevoir la foi, mais non pas suffire pour leur faire gagner le ciel; car pour cela il faut croire en Jésus-Christ et aux autres choses révélées, ce qui dépend de la grâce.

Il en est qui s'offensent mal à propos de ce que j'ai dit que les voeux sont faits pour remédier à la foiblesse humaine; car outre que j'ai très-expressément excepté, dans mon Discours sur la Méthode, tout ce qui touche la religion, je voudrois qu'ils m'apprissent à quoi les voeux seroient bons, si les hommes étoient immuables et sans foiblesse. Et quoique ce soit une vertu,

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