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des choses obscures, cependant cela s'entend seulement de sa matière, non point de la raison formelle pour laquelle nous croyons; au contraire, cette raison formelle consiste en une certaine lumière intérieure, dont Dieu nous ayant surnaturellement éclairés, nous avons une confiance certaine que les choses qui nous sont proposées à croire ont été révélées par lui, et qu'il est entièrement impossible qu'il soit menteur et qu'il nous trompe; ce qui est plus assuré que toute autre lumière naturelle, et souvent même plus évident, à cause de la lumière de la grâce.

Et certes, les Turcs et les autres infidèles, lors¬ qu'ils n'embrassent point la religion chrétienne, ne péchent pas pour ne vouloir point ajouter foi aux choses obscures, comme étant obscures; mais ils péchent, ou parce qu'ils résistent à la grâce divine qui les avertit intérieurement, ou parce que, péchant en d'autres points, ils se rendent indignes de cette grâce; et je dirai hardiment qu'un infidèle qui, destitué de toute grâce surnaturelle, et ignorant tout-à-fait que les choses que nous autres chrétiens croyons ont été révélées de Dieu, néanmoins attiré par quelques faux raisonnemens, se porteroit à croire ces mêmes choses qui lui seroient obscures, ne seroit pas pour cela fidèle, mais plutôt il pécheroit, en ce qu'il ne se serviroit pas comme il faut de sa raison.

Et je ne pense pas que jamais aucun théologien

orthodoxe ait eu d'autres sentimens touchant cela; et ceux aussi qui liront mes Méditations, n'auront pas sujet de croire que je n'aie point reconnu cette lumière surnaturelle, puisque dans la quatrième, où j'ai soigneusement recherché la cause de l'erreur ou fausseté, j'ai dit, en paroles, expresses, qu'elle dispose l'intérieur de notre pensée à vouloir, et que néanmoins elle ne diminue point la liberté.

III.

OFFICE de la raison à l'égard de diverses vérités révélées.

(Tom. Ier., Lett. XCIX.)

Il est des choses qui ne sont crues que par la foi, comme sont celles qui regardent le mystère de l'Incarnation, de la Trinité, et semblables. Il en est d'autres qui, quoiqu'elles appartiennent à la foi, peuvent néanmoins être discutées et prouvées par la raison naturelle, entre lesquelles les théologiens ont coutume de mettre l'existence de Dieu, et la distinction de l'ame humaine d'avec le corps. Enfin, il en est d'autres qui n'appartiennent en aucune façon à la foi, mais qui sont seulement soumises à la recherche du raisonnement humain, comme la quadrature du cercle, la pierre

philosophale, et autres semblables. Et comme ceux-là abusent des paroles de la sainte Ecriture, qui, par quelque mauvaise explication qu'ils leur donnent, croient en pouvoir déduire ces dernières; de même aussi ceux-là dérogent à son autorité, qui entreprennent de démontrer les premières par des argumens tirés de la seule philosophie. Cependant tous les théologiens soutiennent que que l'on peut entreprendre de montrer que celles-là même ne répugnent point à la lumière de la raison, et c'est en cela qu'ils mettent leur principale étude; mais pour les secondes, ils estiment qu'elles ne répugnent point à la lumière /naturelle même, et ils exhortent et encouragent les philosophes à faire tous leurs efforts pour tâcher de les démontrer par des moyens humains, c'est-à-dire, tirés des seules lumières de la raison. Mais je n'ai encore vu personne qui assurât qu'il ne répugne point à la nature des choses qu'une chose soit autrement que la sainte Ecriture nous enseigne qu'elle est, à moins qu'il ne voulût montrer indirectement qu'il ajoute peu de foi à cette Ecriture; car, comme nous avons été premièrement hommes avant d'être faits chrétiens, il n'est pas croyable que quelqu'un embrasse sérieusement et tout de bon des opinions qu'il juge contraires à la raison qui le fait homme, pour s'attacher à la foi par laquelle il est chrétien.

IV.

CONFORMITÉ de la philosophie de Descartes, avec

la foi.

(T. II, Lett. LXXXIII. MÉDIT. Lett. au P. Dinet, p. 577, 597.)

La principale raison qui fait que vos confrères (il écrit à un jésuite) rejettent fort soigneusement toutes sortes de nouveautés en matière de philosophie, est la crainte qu'ils ont qu'elles ne causent aussi quelque changement en la théologie; mais je veux ici particulièrement vous avertir qu'il n'y a rien du tout à craindre de ce côté-là pour les miennes, et que j'ai sujet de rendre grâces à Dieu de ce que les opinions qui m'ont semblé les plus vraies dans la physique, par la considération des causes naturelles, ont toujours été celles qui s'accordent le mieux de toutes avec les mystères de la religion, comme j'espère le faire voir clairement dans les occasions (1).

(1) Descartes n'est entré dans aucun de ces ouvrages en preuve de cette conformité: mais M. de Cordemoy y a suppléé abondamment. Cet illustre savant, choisi par M. Bossuet pour concourir avec lui, sous le titre de lecteur, à l'éducation de M. le Dauphin, a écrit au célèbre P. Cossart, Jésuite, une très-longue lettre, dont l'objet est de montrer que ce que Descartes a écrit du systéme du monde, et de l'ame des bêtes, semble être tiré du premier chapitre de la Genèse. Nous

Une vérité ne peut jamais être contraire à une vérité. Ce seroit donc une espèce d'impiété d'ap

invitons nos lecteurs à lire cette lettre vraiment intéressante; elle leur offrira plusieurs traits également honorables et au grand génie et à la profonde religion de Descartes. Il paroît dans toute sa conduite, dit M. de Cordemoy, qu'il n'auroit pas voulu ,` pour toute la science du monde, et pour toute la gloire qui en peut revenir, courir le hasard, je ne dis pas d'un anatheme, mais de la moindre censure. (Œuvres de Cordem., p. 101.)

On pourroit objecter à Descartes, « què la formation dut « monde, dans son systême, différoit en quelques points de « la formation du monde dans le récit de Moyse. Moyse fait <«< créer la terre, les eaux, les parties célestes, puis la lumière « et le reste; en sorte que, quand le soleil a été formé, la « terre étoit déjà enrichie de fruits et parée de fleurs; au lieu « que M. Descartes fait le soleil, cause non-seulement des « fruits et des fleurs, mais encore de l'assemblage de plusieurs parties assez intérieures de la terre. Il ne la fait même for«< mer que long-temps après le soleil, quoique l'Ecriture « marque qu'elle a été formée auparavant ».

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Voici la manière intéressante dont M. de Cordemoy répond à cette objection :

« Il faut prendre garde à deux choses. La première, que « M.Descartes lui-même a dit que son hypothèse étoit fausse, << en ce qu'il suppose que la formation de chacun de ces êtres « s'est faite successivement, et qu'il assure que cette manière <«< étant peu convenable à Dieu, il faut croire que sa toute<«< puissance a mis chaque chose dans l'état le plus parfait où « elle pouvoit être, dès le premier moment de sa production.

« La seconde, que M. Descartes n'a dû, comme philo<< sophe, expliquer que la raison pour laquelle les choses se «< conservent comme elles sont, et les effets différens que nous

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