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science de son art, de la bonté de son instru

ment.....

Quelle que soit l'union de l'esprit et du corps, j'ai souvent fait voir, dans mes Méditations, que l'esprit peut agir indépendamment du cerveau; car il est certain qu'il est de nul usage lorsqu'il s'agit de former des actes d'une pure intellection, mais seulement quand il est question de sentir ou d'imaginer quelque chose; et quoique, lorsque le sentiment ou l'imagination est fortement agitée, (comme il arrive quand le cerveau est troublé) l'esprit ne puisse pas facilement s'appliquer à concevoir d'autres choses, nous expérimentons néanmoins que, lorsque notre imagination n'est pas si fortement émue, nous ne laissons pas souvent de concevoir quelque chose d'entièrement différent de ce que nous imaginons; comme lorsque, au milieu de nos songes, nous apercevons que nous rêvons: car alors nos rêves sont bien un effet de notre imagination, mais il n'appartient qu'à l'entendement seul de nous faire apercevoir de nos rêveries. (Pag. 454, 460.) (1).

(1) Descartes termine ainsi sa réponse aux objections de Gassendi, qui, dans l'ordre suivi dans les Méditations, sont les cinquièmes: Jusqu'ici l'esprit s'est entretenu avec la chair, etc. Pour entendre cette phrase, il faut savoir que Gassendi, dans le cours de ses objections, adressant la parole à Descartes, l'appelle souvent, ó esprit. Descartes,

VIII.

METHODE qu'a suivie Descartes pour prouver

l'immortalité de l'ame.

(Abrégé des Méditations.)

Pour prouver l'immortalité de l'ame, j'ai cru

qui ne trouvoit pas apparemment la plaisanterie fort bonne, lui répond, 6 chair.

Il paroît, par la Lettre LV du second tome (pag. 298), que Gassendi avoit été un peu affecté de la réponse de Descartes. « Il me semble, dit Descartes au P. Mersenne, que « M. Gassendi seroit fort injuste s'il s'offensoit de la réponse « que je lui ai faite car j'ai eu soin de ne lui rendre : que la << pareille, tant à ses complimens qu'à ses attaques, nonob<< stant que j'ai toujours ouï dire que le premier coup en vaut « deux; en sorte que, bien que je lui eusse rendu le double, « je ne l'aurois pas justement payé. Mais peut-être il est tou«< ché de mes réponses, parce qu'il y reconnoît la vérité; et « moi je ne l'ai point été de ses objections, par une raison << toute contraire ».

Dans le vrai, quoique Descartes et Gassendi débutent dans leurs écrits avec beaucoup d'honnêteté, et les terminent de même, on y aperçoit cependant un fond d'aigreur réciproque. Et il est encore très-vrai que Gassendi paroît combattre les argumens dé Descartes avec une sorte d'animosité; qu'il emploie, à faire valoir les objections des athées et des matérialistes, toute la subtilité et toute la force de son esprit, et que jamais là cause de ceux-ci n'a été plus vigoureusement défendue.

M. Arnauld, qui avoit, immédiatement avant Gassendi,

devoir suivre un ordre semblable à celui dont se servent les géomètres, qui est d'avancer première

proposé ses objections à Descartes, s'en étoit bien aperçu, et en étoit mécontent, jusqu'au point de suspecter la religion de ce philosophe. Il s'en explique plus d'une fois dans ses écrits, et particulièrement dans sa Lettre CCCCLXVIII, à M. du Vaucel: « Ce que je vous ai marqué de la doctrine de M. Descartes, << me paroît fort solide. Ceux qui ont contesté ce qu'il a dit de << la distinction de l'ame et du corps, étoient entêtés de la phi«losophie d'Epicure, et n'avoient guère de religion. Je sais « bien ce que je vous dis ».

Il existe une vie de Gassendi, imprimée à Paris en 1731, et dont il paroît, par le privilége, que l'auteur est un M. de la Warde. Le P. Bougerel y a joint une espèce d'approbation, dans laquelle il cherche à justifier Gassendi de l'imputation qui lui est faite par M. Arnauld; et il remarque avec sagesse que, dans sa Philosophie, ouvrage postérieur aux instances, Gassendi a prouvé, de la manière la plus claire et la plus précise, l'immortalité de l'ame.

Dans une lettre critique et historique, adressée à l'auteur de la vie de Gassendi, on assure (p. 66) que M. Gassendi ne faisoit aucun cas de ses instances; qu'il a avoué plusieurs fois à François Henri, que cette production étoit de tous ses écrits le plus foible et le plus médiocre. « En effet, dit-il, s'il eût « été moins doux et moins complaisant, elle n'auroit jamais a vu le jour, Mais ses amis le contraignirent à l'envoyer <«< Descartes, et le violentèrent encore plus pour la faire im« primer ».

Nous ignorons quel est ce M. François Henri, dont parle l'auteur de la lettre. Il paroît avoir écrit en latin des Mémoires sur Gassendi, que cite l'auteur de cette lettre.

ment toutes les choses dont dépend la proposition qu'on cherche, avant d'en rien conclure.

Or, la première et principale chose qui est requise pour bien connoître l'immortalité de l'ame, est de former une conception de l'ame claire et nette, et entièrement distincte de toutes les conceptions que l'on peut avoir du corps; c'est ce qui a été fait dans ma seconde Méditation. Il est nécessaire outre cela de savoir que toutes les choses que nous concevons clairement et distinctement sont vraies, de la façon que nous les concevons: ce qui n'a pu être prouvé avant la quatrième Méditation. De plus, il faut avoir une conception distincte de la nature corporelle, et cette conception se forme, partie dans la seconde, et partie dans la cinquième et sixième Méditations. Enfin on doit conclure de tout cela que les choses que l'on conçoit clairement et distinctement être des substances diverses, ainsi que l'on conçoit l'esprit et le corps, sont en effet des substances réellement distinctes les unes des autres; et c'est ce que l'on conclut dans la sixième Méditation. Ce qui se confirme en ce que nous ne concevons aucun corps qué comme divisible; au lieu que l'esprit ou l'ame de l'homme ne peut se concevoir que comme indivible. En effet, nous ne saurions concevoir la moitié d'aucune ame, comme nous pouvons concévoir la moitié du plus petit de tous les corps: par-là, on reconnoît que leurs natures ne sont pas

seulement diverses, mais qu'elles sont même, en quelque façon, contraires. Or cela suffit pour montrer assez clairement que de la corruption du corps ne s'ensuit pas la mort de l'ame, et ainsi pour donner aux hommes l'espérance d'une seconde vie après la mort.

2o. On ne conteste point que généralement toutes les substances, c'est-à-dire toutes les choses qui ne peuvent exister sans être créées de Dieu, sont de leur nature incorruptibles, et ne peuvent jamais cesser d'être, si Dieu lui-même, en leur refusant son concours, ne les réduit au néant, et que le corps pris en général est une substance, et par conséquent ne périt point: mais le corps humain, en tant qu'il diffère des autres corps, n'est composé que d'une certaine configuration de membres, et d'autres semblables accidens, tandis que l'ame humaine n'est point ainsi composée d'accidens, mais est une pure substance; car, quoique tous ses accidens se changent; quoique, par exemple, elle conçoive de certaines choses, qu'elle en veuille d'autres, et qu'elle en sente d'autres, etc., l'ame pourtant ne devient point autre; au lieu que le corps humain devient une autre chose, de cela seul que la figure de quelques-unes de ses parties se trouve changée; d'où il s'ensuit que le corps humain peut bien facilement périr, mais que l'esprit ou l'ame de l'homme (ce que je ne distingue point) est immortel de sa nature.

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