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VII.

RÉPONSES de Descartes aux objections de Gassendi contre la simplicité de l'ame.

(MÉDIT. Rép. aux cinquièmes objections.)

M. Gassendi me demande de quel corps j'entends parler, quand je prouve qu'il y a une distinction entre l'ame de l'homme et son corps : si c'est du corps grossier composé de membres, ou du corps plus subtil et plus délié répandu dans le corps épais et massif, ou résidant seulement dans quelques-unes de ses parties, qui est peut-être moi-même.

A quoi je réponds que mon dessein a été d'exclure de mon essence toute espèce de corps, quelque petit et subtil qu'il puisse être, et que mes preuves se rapportent au corps subtil et imperceptible, aussi bien qu'à celui qui est plus grossier et palpable. (Page 493.)

Il demande comment j'estime que l'idée du corps, qui est étendu, peut être reçue en moi, c'est-à-dire dans une substance qui n'est point étendue. Car, ou cette idée, dit-il, procède du corps, et pour lors il est certain qu'elle est corporelle, et qu'elle a ses parties les unes hors des autres, et par conséquent qu'elle est étendue, ou bien elle vient d'ailleurs, et se fait sentir par une

autre voie; cependant, parce qu'il est toujours nécessaire qu'elle réprésente le corps qui est étendu, il faut aussi qu'elle ait des parties, et ainsi qu'elle soit étendue : autrement, si elle n'a point de parties, comment en pourra-t-elle réprésenter? si elle n'a point d'étendue, comment pourrat-elle représenter une chose qui en a? si elle est sans figure, comment fera-t-elle sentir une chose figurée? si elle n'a point de situation, comment nous fera-t-elle concevoir une chose qui a des parties les unes hautes, les autres basses, les unes à droite, les autres à gauche, les unes devant, les autres derrière, les unes courbées, les autres droites? si elle est sans variété, comment représentera-t-elle la variété des couleurs, etc. Donc l'idée du corps n'est pas tout-à-fait sans étendue: mais si elle en a, et que vous n'en ayez point, comment est-ce que vous la pourrez recevoir ? comment pourrez-vous vous l'ajuster et appliquer? comment vous en servirez-vous? et comment enfin la sentirez-vous peu à peu s'effacer et s'évanouir? (Pag. 433.)

Je réponds (p. 494) que la conception ou intellection des choses, soit corporelles, soit spirituelles, se fait sans aucune image ou espèce corporelle; que quand j'ai prouvé que l'esprit n'étoit pas étendu, je n'ai point prétendu expliquer par-là quel il étoit, et faire connoître sa nature.....; (p. 495) que, quoique l'esprit soit uni à tout le

corps,

il ne sentoit pas qu'il soit étendu par tout le corps, parce que le propre de l'esprit n'est pas d'être étendu, mais de penser; enfin, qu'il n'est pas nécessaire que l'esprit soit de l'ordre et de la nature du corps, pour avoir la force ou la vertu de mouvoir le corps. (Pag. 496.)

Vous me faites plusieurs observations sur l'union de l'ame avec le corps, qui tendent à prouver qu'elle est étendue ce sont des doutes qui vous paroissent suivre de mes conclusions, mais qui, dans le vrai, ne vous viennent dans l'esprit que parce que vous voulez soumettre à l'examen de l'imagination, des choses qui, de leur nature, ne sont point sujettes à sa juridiction. Ainsi, quand vous voulez comparer ici le mélange qui se fait du corps et de l'esprit, avec celui de deux corps mêlés ensemble, il me suffit de répondre qu'on ne doit faire entre ces choses aucune comparaison, parce qu'elles sont de deux genres totalement différens; et qu'il ne faut pas s'imaginer que l'esprit ait des parties, quoiqu'il conçoive des parties dans le corps: car qui vous a appris que tout ce que l'esprit conçoit, doive être réellement en lui? Certainement, si cela étoit, lorsqu'il conçoit la grandeur de l'univers, il auroit aussi en lui cette grandeur; et ainsi il ne seroit pas seulement étendu, mais il seroit même plus grand que tout le monde... Dans les instances que vous avez faites contre mes réponses, vous m'objectez surtout que, quoique

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je ne trouve pas d'étendue dans ma pensée, il ne s'ensuit pas qu'elle ne soit point étendue, parce que ma pensée n'est pas la règle de la vérité des choses; qu'il se peut faire que la distinction que je trouve par ma pensée, entre la pensée et le corps, soit fausse. (Pag. 503.) Mais il faut particulièrement ici remarquer l'équivoque qui est en ces mots, ma pensée n'est pas la règle de la vérité des choses: car si vous voulez dire que ma pensée ne doit pas être la règle des autres, pour les obliger à croire une chose à cause que je la pense vraie, j'en suis entièrement d'accord. Loin d'avoir jamais voulu obliger personne à suivre mon autorité, au contraire, j'ai averti en divers lieux qu'on ne se devoit laisser persuader que par la seule évidence des raisons. De plus, si on prend indifféremment le mot de pensée pour toute sorte d'opération de l'ame, il est certain qu'on peut avoir plusieurs pensées, dont on ne doit rien inférer touchant la vérité des choses qui sont hors de nous; mais aussi cela ne vient point à propos en cet endroit, où il n'est question que des pensées qui sont des perceptions claires et distinctes, et des jugemens que chacun doit faire à part soi, ensuite de ces perceptions. C'est pourquoi je dis que la pensée d'un chacun, c'est-à-dire la perception ou connoissance qu'il a d'une chose, doit être pour lui la règle de la vérité de cette chose; c'est-à-dire que tous les jugemens qu'il en fait, doivent être con

formes à cette perception, pour être bons; même touchant les vérités de la foi, nous devons apercevoir quelque raison qui nous persuade qu'elles ont été révélées de Dieu, avant que de nous terminer à les croire; et quoique les ignorans fassent bien de suivre le jugement des plus capables touchant les choses difficiles à connoître, il faut néanmoins que ce soit leur perception qui leur enseigne qu'ils sont ignorans, et que ceux dont ils veulent suivre les jugemens ne le sont peutêtre pas autant; autrement, ils feroient mal de les suivre, et ils agiroient plutôt en automates, ou en bêtes, qu'en hommes, (Pag. 504.)

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J'oubliois de remarquer que vous avancez hardiment, et sans aucune preuve, que l'esprit croît et s'affoiblit avec le corps; mais de ce que l'esprit n'agit pas si parfaitement dans le corps d'un enfant que dans celui d'un homme parfait, et de ce que souvent ses actions peuvent être empêchées par le vin et par d'autres choses corporelles, il s'ensuit seulement que, tandis qu'il est uni au corps, il s'en sert comme d'un instrument pour faire ces sortes d'opérations qui l'occupent ordinairement, mais non pas que le corps le rende plus ou moins parfait qu'il est en soi : et la conséquence que vous tirez de là n'est pas meilleure, que si, de ce qu'un artisan ne travaille pas bien, toutes les fois qu'il se sert d'un mauvais outil, vous infériez qu'il emprunte son adresse, et la

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