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III.

DESCARTES répond à une objection du P. Mersenne contre cette démonstration.

(MEDIT. Rép. aux secondes object., pag. 150.)

Le P. Mersenne me demande: Que savez-vous si ce n'est point un corps qui, par ses divers mouvemens, fait cette action que nous appelons du nom de pensée: car, quoique vous croyiez avoir rejeté toute sorte de corps, vous avez pu vous tromper en cela que vous ne vous êtes pas rejeté vous-même, qui peut-être êtes un corps.... Pourquoi tout le systême de votre corps, ou quelques-unes de ses parties, par exemple celles du cerveau, ne pourroient-elles pas concourir à former ces sortes de mouvemens que nous appelons des pensées? Je suis, dites-vous, une chose qui pense mais que savez-vous si vous n'êtes pas aussi un mouvement corporel ou un corps en mouvement?

:

Je réponds 1°. qu'à la suite de la démonstration, que j'ai donnée de la distinction réelle entre le corps et l'esprit, il suffit d'ajouter: Tout ce qui peut penser est esprit, ou s'appelle esprit : mais puisque le corps et l'esprit sont réellement distincts, nul corps n'est esprit : donc nul corps ne peut penser.

Et certes, je ne vois rién en cela que vous puissiez nier; car nieriez-vous qu'il suffit que nous concevions clairement une chose sans une autre, pour savoir qu'elles sont réellement distinctes? Donnez-nous donc quelque signe plus certain de la distinction réelle, si cependant on en peut donner quelqu'un. Car, que direz-vous? sera-ce que ces choses-là sont réellement distinctes, dont chacune peut exister sans l'autre? Mais, encore une fois, je vous demanderai d'où vous connoissez qu'une chose peut exister sans une autre? car, afin que ce soit un signe de distinction, il est nécessaire qu'il soit connu.

Peut-être direz-vous que les sens vous le font connoître, parce que vous voyez une chose en l'absence de l'autre, ou que vous la touchez, etc. Mais la foi des sens est plus incertaine que celle de l'entendement. Souvenez-vous que nous avons prouvé, à la fin de la seconde Méditation, que les corps mêmes ne sont pas proprement connus par les sens, mais par le seul entendement.....

Je réponds 2°. que s'il y en a qui nient qu'ils aient des idées distinctes de l'esprit et du corps, je ne puis autre chose que les prier de considérer assez attentivement les choses qui sont contenues dans la seconde Méditation, et de remarquer que l'opinion qu'ils ont, que les parties du cerveau concourent avec l'esprit pour former nos pensées, n'est fondée sur aucune raison positive, mais seu

lement sur ce qu'ils n'ont jamais expérimenté d'avoir été sans corps, et qu'assez souvent ils ont été troublés par lui dans leurs opérations; et c'est comme si quelqu'un, de ce que, dès son enfance, il auroit eu des fers aux pieds, estimoit que ces fers fissent une partie de son corps, et qu'ils lui fussent nécessaires pour

marcher..

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Il y a une grande différence entre l'esprit et le corps, en ce que le corps, de sa nature, est toujours divisible, et que l'esprit est entièrement indivisible. En effet, quand je le considère, c'est-àdire quand je me considère moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense, je ne puis distinguer en moi aucunes parties, mais je connois et conçois fort clairement que je suis une chose absolument une et entière. Et quoique tout l'esprit semble être uni à tout le corps, cependant lorsqu'un pied, ou un bras, ou quelque autre partie vient à en être séparée, je connois fort bien que rien pour cela n'a été retranché de mon esprit; et les facultés de vouloir, de sentir, de concevoir, etc., ne peuvent pas non plus être dites proprement ses parties: car c'est le même esprit

qui s'emploie tout entier à vouloir, et tout entier à sentir et à concevoir, etc. Mais c'est tout le contraire dans les choses corporelles ou étendues; car je n'en puis imaginer aucune, quelque petite qu'elle soit, que je ne mette aisément en pièces par ma pensée, ou que mon esprit ne divise fort facilement en plusieurs parties, et par conséquent que je ne connoisse être divisible: ce qui suffiroit pour m'apprendre que l'esprit ou l'ame de l'homme est entièrement différente du corps, si je ne l'avois déjà d'ailleurs assez appris.

V.

COMMENT Descartes s'est confirmé dans la connoissance de la vérité précédente.

(MEDIT. Rép. aux sixièmes object., p. 546.)

Lorsque j'eus la première fois conclu, en conséquence des raisons qui sont contenues dans mes Méditations, que l'esprit humain est réellement distingué du corps, et qu'il est même plus aisé à connoître que lui...., je confesse que cependant je ne fus pas pour cela pleinement persuadé, et qu'il m'arriva presque la même chose qu'aux astronomes, qui, après avoir été convaincus par de puissantes raisons, que le soleil est plusieurs fois plus grand que toute la terre, ne sauroient pourtant s'empêcher de juger qu'il est plus petit, lorsqu'ils

viennent à le regarder. Mais après que j'eus passé plus avant, et qu'appuyé sur les mêmes principes, j'eus porté ma considération sur les choses physiques ou naturelles, examinant premièrement les notions ou les idées que je trouvois en moi de chaque chose, puis les distinguant soigneusement les unes des autres, pour faire que mes jugemens eussent un entier rapport avec elles, je reconnus qu'il n'y avoit rien qui appartînt à la nature ou à l'essence du corps, sinon qu'il est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur, capable de plusieurs figures et de divers mouvemens, et que ses figures et ses mouvemens n'étoient autre chose que des modes, qui ne peuvent jamais être sans lui: mais que les couleurs, les odeurs, les saveurs, et autres choses semblables, n'étoient rien que des sentimens, qui n'ont aucune existence hors de ma pensée, et qui ne sont pas moins différens des corps, que la douleur diffère de la figure ou du mouvement de la flèche qui la cause; et enfin que la pesanteur, la dureté, la vertu d'échauffer, d'attirer, de purger, et toutes les autres qualités que nous remarquons dans les corps, consistent seuleinent dans le mouvement ou dans sa privation, et dans la configuration et arrangement des parties.

Toutes ces opinions étant fort différentes de celles que j'avois eues auparavant touchant les mêmes choses, je commençai ensuite à considérer

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