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SIMPLICITÉ DE L'AME.

I.

DISTINCTION DE L'AME ET DU CORPS.

(MEDIT. VI, p. 81. Principes de la Philos., p. 7.)

TOUTES les choses que je conçois clairement et distinctement, peuvent être produites par Dieu telles que je les conçois; il suffit donc que je puisse. concevoir clairement et distinctement une chose sans une autre, pour être certain que l'une est dis-, tincte ou différente de l'autre, parce qu'elles peuventêtre mises séparément, au moins par la toutepuissance de Dieu; et il n'importe par quelle puissance cette séparation se fasse, pour être obligé à les juger différentes et par conséquent, de cela même que je connois avec certitude que j'existe, et que cependant je ne remarque point que rien n'appartient nécessairement à ma nature ou à mon essence, sinon que je suis une chose qui pense, je conclus fort bien que mon essence consiste en cela seul que je suis une chose qui pense, ou une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser. Et quoique peut-être, ou plutôt certainement, j'aie un corps auquel je suis très-étroitement conjoint; néanmoins parce que

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d'un côté j'ai une claire et distincte idée de moimême, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue, et que d'un autre j'ai une idée distincte du corps, en tant qu'il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que moi, c'est-à-dire mon ame, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu'elle peut être ou exister sans lui.

Cette vérité sera encore plus constante, si nous prouvons que la connoissance que nous avons de notre pensée, précède celle que nous avons du corps, qu'elle est incomparablement plus évidente, et telle que, quoiqué le corps ne fût point, nous aurions raison de conclure qu'elle ne laisseroit pas d'être tout ce qu'elle estors pour le prouver, nous remarquerons qu'il est manifeste, par une lumière qui est naturellement dans nos ames, que le néant n'a aucunes qualités ni propriétés qui lui soient affec tées, et qu'où nous en apercevons quelques-unes, il doit se trouver nécessairement une chose ou substance dont elles dépendent: cette même lumière nous montre aussi que nous connoissons1 d'autant mieux une chose ou substance, que nous remarquons en elle plus de propriétés. Or il est certain que nous en remarquons beaucoup plus en notre pensée, qu'en aucune autre chose, paree qu'il n'y a rien qui nous excite à connoître quelque chose que ce soit, qui ne nous porte encore

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plus certainement à connoître notre pensée. Par exemple, si je me persuade qu'il y a une terre, à cause que je la touche ou que je la vois, de cela même, par une raison encore plus forte, je dois être persuadé que ma pensée est ou existe; parce qu'il peut se faire que je pense toucher la terre, quoiqu'il n'y ait peut-être aucune terre au monde, et qu'il n'est pas possible que moi, c'est-à-dire mon ame, ne soit rien pendant qu'elle a cette pensée. Nous pouvons conclure de même de toutes les autres choses qui nous viennent en la pensée, c'est-à-dire que nous, qui les pensons, existons, quoiqu'elles soient peut-être fausses, ou qu'elles n'aient aucune existence.

Ceux qui n'ont pas philosophé par ordre ont eu d'autres opinions sur ce sujet, parce qu'ils n'ont jamais distingué assez soigneusement leur ame, ou ce qui pense, d'avec le corps, ou ce qui est étendu en longueur, largeur et profondeur. Car, quoiqu'ils ne fissent point difficulté de croire qu'ils étoient dans le monde, et qu'ils en eussent une assurance plus grande que d'aucune autre chose; néanmoins, comme ils n'ont pas pris garde que par eux, lorsqu'il étoit question d'une certitude métaphysique, ils devoient entendre seulement leur pensée; et qu'au contraire ils ont mieux aimé croire que c'étoit leur corps qu'ils voyoient de leurs yeux, qu'ils touchoient de leurs mains, et auquel ils attribuoient mal à propos la faculté

de sentir; ils n'ont pas connu distinctement la

nature de leur ame (1).

II.

CONFIRMATION DE LA MÊME VÉRITÉ.

(Princ. de la Philos., p. 4.)

Dans le doute universel que je conseille d'entreprendre une fois dans la vie, pour parvenir à la connoissance certaine de la vérité, nous supposerons facilement qu'il n'y a point de Dieu, ni de ciel, ni de terre, et que nous n'avons point de corps; mais nous ne saurions supposer de même que nous ne sommes point, pendant que nous doutons de la vérité de toutes ces choses; car nous avons tant de répugnance à concevoir que ce qui pense n'existe pas véritablement au même temps qu'il pense, que, nonobstant toutes les plus extravagantes suppositions, nous ne saurions nous empêcher de croire que cette conclusion, je pense, donc je suis, ne soit vraie, et par conséquent la

(1) Quand on aura lu ce qu'a écrit Descartes, pour prouver la simplicité de l'ame, ou sa distinction d'avec le corps, nous invitons à lire la préface du traité de l'Homme de Descartes, dont M. Clerselier est l'auteur; ils verront les preuves de Descartes présentées sous un nouveau jour, qui porte l'évidence jusqu'au fond de l'ame.

première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre.

Il me semble aussi que ce biais est certainement le meilleur que nous puissions choisir pour connoître la nature de l'ame, et qu'elle est une substance entièrement distincte du corps; car, en examinant ce que nous sommes, nous qui pensons maintenant qu'il n'y a rien hors de notre pensée qui soit véritablement, ou qui existe, nous connoissons manifestement que, pour être, nous n'avons pas besoin d'étendue, de figure, d'être en aucun lieu, ni d'aucune autre telle chose qu'on peut attribuer au corps, et que nous sommes par cela seul que nous pensons : et par conséquent, que la notion que nous avons de notre ame ou de notre pensée, précède celle que nous avons du corps, et qu'elle est plus certaine, vu que nous doutons encore qu'il y ait au monde aucun corps, et que nous savons certainement que nous pen

sons.

Par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes; c'est pourquoi non-seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser.

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