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néant, qu'il ne me le seroit d'acquérir les lumières et les connoissances de plusieurs choses quej'ignore, et qui ne sont que des accidens de cette substance. Et certainement si je m'étois donné ce plus que je viens de dire, c'est-à-dire, si j'étois moi-même l'auteur de mon être, je ne me serois pas au moins refusé les choses qui peuvent s'acquérir avec plus de facilité, comme sont une infinité de connoissances dont ma nature se trouve dénuée; je ne me serois pas même refusé aucune des choses que je vois être contenues dans l'idée de Dieu, parce qu'il n'y en a aucune qui me semble plus difficile à faire ou à acquérir.

Et quoique je puisse supposer que peut-être j'ai toujours été comme je suis maintenant, je ne saurois pas pour cela éviter la force de ce raisonnement, et je ne laisse pas de connoître qu'il est nécessaire que Dieu soit l'auteur de mon existence; car tout le temps de ma vie peut être divisé en une infinité de parties, chacune desquelles ne dépend en aucune façon des autres; et ainsi, de ce qu'un peu auparavant j'ai été, il ne s'ensuit pas que je doive maintenant être, si ce n'est qu'en ce moment quelque cause me produise et me crée, pour ainsi dire, derechef, c'est-à-dire me conserve. En effet, c'est une chose bien claire et bien évidente (à tous ceux qui considéreront avec attention la nature du temps) qu'une substance, pour être conservée dans tous les momens qu'elle

dure, a besoin du même pouvoir et de la même action qui seroit nécessaire pour la produire et la créer tout de nouveau, si elle n'étoit point encore; en sorte que c'est une chose que la lumière naturelle nous fait voir clairement, que la conservation et la création ne diffèrent qu'à l'égard de notre façon de penser, et non point en effet.

Il faut donc seulement ici que je m'interroge et me consulte moi-même, pour voir si j'ai en moi quelque pouvoir et quelque vertu, au moyen de laquelle je puisse faire que moi, qui suis maintenant, je sois encore un moment après; car puisque je ne suis rien qu'une chose qui pense, (ou du moins puisqu'il ne s'agit encore jusqu'ici précisément que de cette partie là de moi-même) si une telle puissance résidoit en moi, certes, je devrois pour le moins le penser et en avoir connoissance; mais je n'en ressens aucune dans moi, et par-là je connois évidemment que je dépends de quelque être différent de moi.

Mais 5°. peut-être que cet être là, duquel je dépends, n'est pas Dieu, et que je suis produit ou par mes parens, ou par quelques autres causes moins parfaites que lui? Mais cela ne peut être; car c'est une chose très-évidente qu'il doit y avoir pour le moins autant de réalité dans la cause que dans son effet; et par conséquent, puisque je suis une chose qui pense, et qui ai en moi quelque idée de Dieu, quelle que soit enfin la cause de

mon être, il faut nécessairement avouer que cette cause est aussi une chose qui pense, et qu'elle a en soi l'idée de toutes les perfections que j'attribue

à Dieu.

L'on peut encore rechercher si cette cause tient son origine et son existence d'elle-même, ou de quelque autre chose: car si elle la tient d'ellemême, il s'ensuit, par les raisons que j'ai ci-devant alléguées, que cette cause est Dieu; puisque ayant la vertu d'être et d'exister par soi, elle doit aussi sans doute avoir la puissance de posséder actuellement toutes les perfections dont elle a en soi les idées, c'est-à-dire, toutes celles que je conçois être en Dieu. Que si elle tient son existence de quelque autre cause que d'elle-même, on demandera encore, par la même raison, de cette seconde cause, si elle est par soi, ou par autrui, jusqu'à ce que de degrés en degrés on parvienne enfin à une dernière cause, qui se trouvera être Dieu; et il est très-manifeste qu'en cela il ne peut y avoir de progrès à l'infini, vu qu'il ne s'agit pas tant ici de la cause qui m'a produit autrefois, que de celle qui me conserve présentement.

4°. On ne peut pas feindre aussi que peut-être plusieurs causes ont ensemble concouru en partie à ma production, et que de l'une j'ai reçu l'idée d'une des perfections que j'attribue à Dieu, et, d'une autre, l'idée de quelque autre, en sorte que toutes ces perfections se trouvent bien, à la vérité,

quelque part dans l'univers, mais ne se rencontrent pas toutes jointes et assemblées dans une seule qui soit Dieu; car, au contraire, l'unité, la simplicité, ou l'inséparabilité de toutes les choses qui sont en Dieu, est une des principales perfections que je conçois être en lui. Et certes, l'idée de cette unité de toutes les perfections de Dieu, n'a pu être mise en moi par aucune cause, de qui je n'aie point aussi reçu les idées de toutes les autres perfections; car elle n'a pu faire que je les comprisse toutes jointes ensemble et inséparables, sans avoir fait en sorte en même temps que je susse ce qu'elles étoient, et que je les connusse toutes en quelque façon.

Enfin , pour ce qui regarde les parens dont il semble que je tire ma naissance, quoique tout ce que j'en ai jamais pu croire soit véritable, cela ne fait pourtant pas que ce soit cux qui me conservent, ni même qui m'aient fait et produit, en tant que je suis une chose qui pense, n'y ayant aucun rapport entre l'action corporelle, par laquelle j'ai coutume de croire qu'ils m'ont engendré, et la production d'une telle substance: mais ce en quoi ils ont tout au plus contribué à ma naissance, est qu'ils ont mis quelques dispositions dans cette matière, dans laquelle j'ai jugé jusqu'ici que moi, c'est-à-dire mon esprit, lequel seul je prends maintenant pour moi-même, est renfermé; et par conséquent il ne peut y avoir ici à leur

égard aucune difficulté mais il faut nécessairement conclure que de cela seul que j'existe, et que l'idée d'un être souverainement parfait (c'est-àdire de Dieu) est en moi, l'existence de Dieu est très-évidemment démontrée.

Il me reste seulement à examiner de quelle façon j'ai acquis cette idée: car je ne l'ai pas reçue par les sens, et jamais elle ne s'est offerte à moi contre mon attente, ainsi que font d'ordinaire les idées des choses sensibles, lorsque ces choses se présentent, ou semblent se présenter aux organes extérieurs des sens. Elle n'est pas aussi une pure production ou fiction de mon esprit ; car il n'est pas en mon pouvoir d'y diminuer ni d'y ajouter aucune chose et par conséquent il ne reste plus autre chose à dire, sinon que cette idée est née et produite avec moi dès-lors que j'ai été créé, ainsi que l'est l'idée de moi-même.

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Et, dans le vrai, on ne doit pas trouver étrange que Dieu, en me créant, ait mis en moi cette idée, pour être comme la marque de l'ouvrier empreinte sur son ouvrage ; et il n'est pas aussi nécessaire que cette marque soit quelque chose de différent de cet ouvrage même mais de cela seul que Dieu m'a créé, il est fort croyable qu'il m'a, en quelque façon, produit à son image et ressemblance, et que je conçois cette ressemblance (dans laquelle l'idée de Dieu se trouve contenue) par la même faculté par laquelle je me conçois moi

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