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<< ou du moins un sceptique, proteste perpétuelle<< ment qu'il ne se mêle point de théologie et d'af <«<faires ecclésiastiques, et cependant que, laissant « à l'écart les philosophes et les médecins, il tourne, << sous prétexte de philosophie, toutes ses attaques << contre les théologiens, s'immisce dans ce qu'il y << a de plus important et de plus sacré dans la théo<< logie et le gouvernement ecclésiastique, et s'ef<< force de jeter le trouble dans les églises et les «< académies: conduite dont ceux qui connoissent « le génie des Belges, voient bien qu'il ne peut <«< résulter que la division entre les principaux << membres de la république, et le renversement de << la république elle-même ». C'est ainsi que vous concluez les paralipomènes de votre préface.

Mais toutes ces plaintes, ces alarmes, sont si ridicules et si destituées de fondement, qu'elles ne trouveroient pas de créance, même auprès des paysans du village dont vous avez été le ministre. A plus forte raison ne peuvent-elles faire aucune impression sur les habitans d'une ville, comme la vôtre, qui abonde, autant qu'aucune autre ville des Pays-bas, en personnages éclairés et savans.

Car, premièrement, quand vous ne seriez pas le propre auteur du livre de la Philosophie cartėsienne, quand il seroit vrai, comme le pensent quelques habiles critiques, que vous en avez fourni seulement les matériaux, et quand j'aurois eu tort encore, en jugeant d'après les pensées plutôt que d'après les paroles, de supposer, comme j'ai fait

jusqu'à présent, que le livre étoit de vous, ne seroit-ce pas assez qu'il eût été entrepris pour vous plaire, et composé sous votre direction, pour que vous ne soyez pas moins coupable, que si vous seul y aviez mis les mains?

Quand vous m'accusez ensuite d'une curiosité excessive dans une académie, une république et une église étrangère, quel est tout le fondement de cette accusation? C'est que j'ai osé examiner un jugement rendu contre moi sous le nom de votre académie; c'est que je vous ai traduit en public, comme en étant, sinon l'unique, du moins le principal auteur; (et j'étois en droit d'en agir ainsi, puisque ce jugement a été rendu pendant votre rectorat et sous votre présidence) c'est enfin que j'ai rappelé un petit nombre de vos défauts, dans la vue qu'on n'ajoute pas si facilement foi à vos calomnies. Mais, qui ne voit ici la méchanceté la plus inconséquente? Quoi! vous voulez qu'il vous soit permis de me diffamer dans des écrits publics, moi, sur qui vous n'avez jamais eu aucune espèce de droit; et vous m'accusez d'une fierté insupportable, parce que je ne souffre pas cet inique procédé dans un profond silence! Certainement encore, vous faites injure à votre académie, à votre république et à votre église, en supposant que vos défauts particuliers en font partie, et même la partie la plus secrète ou la plus sainte. C'est un crime de curiosité semblable au mien, que vous reprochiez autrefois à M. Desmarets, parce qu'il

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avoit eu la témérité d'examiner vos thèses bénites : et vous, dans le même temps, n'étiez vous pas aussi trop curieux dans une république étrangère, lorsque, dans les mêmes thèses, vous accusiez d'idolâtrie les principaux habitans de Bois-le-Duc?

Il seroit bien étonnant que vous puissiez persuader aux magistrats de votre ville, que la puissance d'un professeur de théologie, dans votre nouvelle académie, doit être telle qu'il puisse, arbitrairement et sans raison, condamner, par des jugemens publics, telles personnes qu'il lui plaira, et que les personnes ainsi condamnées ne pourront pas seulement ouvrir la bouche pour se plaindre, sans être censées aussitôt s'immiscer témérairement dans les secrets de la théologie et du gouvernement ecclésiastique, et jeter le trouble dans l'académie et les églises.

les

C'est inutilement que vous osez me reprocher d'être un étranger et un papiste. Je n'ai pas besoin, pour confondre ce reproche, d'observer que traités du roi mon maître avec les Etats-généraux renferment des clauses en vertu desquelles je jouirois des mêmes droits que les naturels du pays, quand même j'y aborderois aujourd'hui pour la première fois je n'ai pas encore besoin de remarquer que j'habite ces contrées depuis un si grand nombre d'années, que j'y suis si connu des plus honnêtes gens, que, quand même j'appartiendrois, par ma naissance, à un pays ennemi, on ne pourroit plus me regarder dans le vôtre

comme

comme un étranger. Il n'est pas non plus nécessaire de rappeler la liberté de religion qui nous est accordée dans la république: il me suffit de pouvoir affirmer que votre livre est plein de mensonges si criminels, d'injures si grossières, de calomnies si atroces, qu'un ennemi ne pourroit les employer à l'égard d'un ennemi, ni un fidèle à l'égard des infidèles, sans faire connoître, parlà même, qu'il est un méchant homme. J'ajoute que j'ai toujours remarqué tant d'honnêteté dans les hommes de votre nation; que j'ai reçu, de tous ceux avec qui j'ai vécu ou j'ai eu quelque rap port particulier, tant de témoignages d'amitié; que j'ai reconnu tous les autres si obligeans, si éloignés de cette grossière et odieuse liberté qui permet d'insulter ceux même que nous ne connoissons pas, et qui ne nous ont donné aucun sujet d'offense, que je ne doute pas qu'ils n'aient bien plus d'éloignement de vous, qui êtes pourtant leur compatriote, qu'ils ne peuvent en avoir d'un étranger quelconque. Enfin, l'esprit des Belges m'est assez connu, pour pouvoir assurer que ceux d'entr'eux qui remplissent les magistratures, peuvent bien, il est vrai, différer souvent, à l'exemple de Dieu, la punition des méchans; mais que si l'audace de ceux-ci est portée au point qu'ils croient devoir la réprimer, alors aucune vaine défense ne pourroit les éblouir, ni arrêter le cours de la justice.

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Et vous qui avez si dangereusement compromis l'honneur de votre profession et de votre religion, en publiant des livres absolument vides de raison et de charité, et pleins seulement de calomnies, craignez qu'ils ne jugent nécessaire, pour l'honneur de la religion, de ne point laisser de si grands excès impunis (1)..

(1) Après avoir lu cette défense de Descartes, on est sans doute étonné, peut-être même un peu scandalisé de la chaleur et de la véhémence avec laquelle il poursuit son adversaire il faut cependant en conclure seulement que DesCartes étoit affecté, jusqu'au suprême degré, de l'accusation d'athéisme intentée contre lui par Voëtius, accusation qu'il regardoit comme la plus odieuse et la plus infamante de toutes. Mais on auroit tort de conclure que le ressentiment qu'il en avoit conçu, contre ce ministre protestant, étoit implacable; car voici ce qu'en 1645 il écrivoit au sieur Tobie Dandré. On voit, dans ce fragment de lettre, une maxime bien digne du bon esprit et du bon cœur de Descartes : « De ́ « quelque naturel que soit Schookius, (ce Schookius étoit un «< professeur de Groningue, qui avoit prêté son nom et sa

plume à Voëtius contre Descartes) je suis tout-à-fait per« suadé que vous ne désapprouverez pas que j'offre de me ré«< concilier avec lui. Il n'y a rien de plus doux dans la vie que « la paix; et il faut se souvenir que la haine du plus petit « animal, ne fût-il qu'une fourmi, est capable de nuire quel« quefois, mais qu'elle ne sauroit être utile à rien. Je ne re<< fuserois pas même l'amitié de Voëtius, si je croyois qu'il >> me l'offrît de bonne foi ». (Baillet, pag. 261.)

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