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tient d'en connoître, veuillent bien considérer que je n'ai jamais eu auparavant aucune espèce d'affaire ni de démêlé avec ce personnage; et quoique vous soyez très-courroucé contre moi et qu'il vous appelle son maître, que ce titre cependant ne lui donne aucune action contre moi, et l'autorise encore moins à me charger des injures les plus atroces; qu'ainsi ils n'ont aucun besoin de rechercher si je lui ai donné ou non quelque sujet légitime d'en agir avec moi de la sorte. Je désire encore qu'ils considèrent que je ne me plains point de ce que le professeur attaque mes opinions sur la philosophie. Il peut, je le lui permets, les traiter toutes de fausses, de ridicules, d'absurdes; encore une fois, je ne m'en plains pas: les opinions n'intéressent pas les mœurs, et n'ont de rapport qu'à l'esprit, dont vous voulez bien cependant convenir que je ne suis pas entièrement dépourvu. Ces magistrats peuvent encore ne point prendre en considération tous les autres outrages dont il me charge.

Il en est un seul dont je demande qu'ils informent. L'auteur du libelle assure en propres termes, dans la page 15 de sa préface, et dans tout le pénultième chapitre de son ouvrage, que j'enseigne finement et très-secrètement l'athéisme; et il s'efforce de le prouver par des raisons qu'il a méchamment controuvées dans ce dessein. Toute l'information porteroit donc sur les deux parties de l'ouvrage que j'ai citées; et les magistrats peu

vent se dispenser de lire les autres. Il ne sera point nécessaire non plus qu'ils entendent des témoins, si les raisons que l'auteur a alléguées sont assez fortes pour prouver que je suis un athée, ou que j'enseigne l'athéisme, ou même seulement que j'aie jamais donné quelque occasion de me soupçonner avec fondement de l'un ou de l'autre. Je vais plus loin encore, et s'il peut prouver quelqu'un de ces points par des raisons nouvelles, et qu'il n'auroit point produites dans son livre, il n'est pas douteux que je mérite d'être puni trèssévèrement; et je ne demande ni pardon ni grâce: mais s'il n'a point à produire de raisons plus décisives que celles qu'il a déjà alléguées, comme je suis très-assuré qu'il n'en produira pas; et si, de tout son ouvrage, on ne peut rien conclure, sinon qu'il m'a très - impudemment et très-atrocement calomnié, (et j'ai confiance que tous les juges équitables le reconnoîtront sans aucune peine) je les conjure très - instamment de statuer une bonne fois si les calomnies ne seront jamais punies dans ces contrées; car celle dont il s'agit est si atroce, si inexcusable et si publique, que, si elle demeuroit impunie, on seroit censé, par-là même, donner un libre cours à toutes les autres.

Je sais que les habitans de ces provinces jouissent d'une grande liberté; mais je me persuade que cette liberté a pour terme la sûreté des bons, et non pas l'impunité des méchans. Or les bons peuvent-ils jamais être en sûreté, partout où l'on

accordera aux méchans la faculté de leur nuire? Ce qui constitue encore principalement la liberté dans une république, n'est-ce pas l'égalité des droits pour tous ses membres, et l'incorruptibilité de la justice avec laquelle les injures faites par un individu à un autre individu quelconque, sont punies, je ne dis pas avec dureté et cruauté, mais avec soin, et toutes les fois que le bon ordre l'exige. On peut quelquefois, j'en conviens, ne point sévir contre des calomnies peu graves et peu répandues mais aucune calomnie ne peut être plus grave et plus manifeste que celle dont je me plains. Car, je ne crains pas de le dire, tuer son pere, incendier sa patrie ou la trahir, sont des crimes moins gravés que celui d'enseigner adroitement l'athéisme. Et il faut observer que vous ne soutenez pas précisément que je suis un athée, dans la crainte qu'il ne parût peut-être dans mon fait plus d'ignorance que de méchanceté; mais vous soutenez que je travaille adroitement et secrètement à faire couler l'athéisme dans le cœur des hommes en quoi vous m'accusez de la plus méchante et la plus odieuse trahison.Car, trahir Dieu, c'est un crime plus exécrable que trahir sa patrie ou ses parens; et pour mieux persuader à vos lecteurs que je suis coupable de ce crime, vous répétez, à chaque page de votre livre, que je suis un personnage rasé, un fourbe, un menteur, un imposteur. Si ces qualifications me conviennent véritablement, et si vous pouvez prouver

que vous ou quelque autre m'ayez jamais surpris avançant quelque mensonge, ou usant de la fraude la plus légère, je consens que votre professeur de Groningue soit déchargé de toute accusation, et que je subisse moi-même le châtiment dont je prétendois qu'il étoit digne. Mais s'il est vrai que, par la plus noire méchanceté, vous ayez chargé de tant de qualifications odieuses l'homme du monde qui les mérite le moins, et si vous ne l'en avez chargé que dans la vue de persuader qu'il est un apôtre caché de l'athéisme, je demande s'il est une nation sur la terre, où un délit semblable puisse demeurer impuni, surtout, si peu content d'insinuer votre calomnie à l'oreille d'une ou deux personnes, vous l'avez répandue dans toute la terre.

Il arriva, il y a trois ans, que, lorsqu'on publia contre moi un libelle, imprimé à La Haye, sans nom d'auteur, et si méprisable que, quoique le vôtre lui soit bien supérieur en méchanceté, il ne lui est cependant qu'égal en platitudes et en inepties, il arriva, dis-je, que beaucoup de personnes en France, en Angleterre et ailleurs, s'empressèrent de le connoître; et après l'avoir lu, furent aussi surprises qu'indignées que, dans une nation aussi polie que la vôtre, on pût souffrir tant de grossièretés et d'absurdités. Mais que diront les inêmes personnes, quand elles verront, dans votre ouvrage, réunie à l'absurdité des raisonnemens et à l'indignité des injures, l'atrocité des calomnies?

que diront-elles, quand elles sauront que l'ouvrage porte en tête le nom d'un professeur de philosophie dans une de vos académies, et que vous qui êtes professeur de théologie dans une autre académie, vous qui voulez qu'on vous croie la gloire et l'ornement des églises belgiques, en êtes le principal et véritable auteur? Elles ne croiront certainement pas que vous êtes stipendié par l'Etat pour composer de tels livres, et pour instruire la jeunesse qui vous est confiée à mentir avec tant d'impudeur, outrager avec tant d'indignité, calomnier avec tant de méchanceté et de licence, et pour diffamer, par un tel emploi de votre temps, les universités de votre patrie parmi les nations étrangères.

Si les magistrats, devant qui doit répondre votre professeur de Groningue, veulent bien considérer tout ce que je viens de leur exposer, je crois qu'il sera hors d'état, dans sa défense, de rien alléguer qui soit capable de l'excuser à leurs yeux.

Quant à vous, il est facile de voir quel sera votre plan de défense: vous nierez tout hardiment; vous désavouerez le livre de la Philosophie cartésienne, et vous en promettrez peut-être un autre sous ce titre : Du tombeau de la férocité de Descartes, et de son excessive et inouie curiosité dans une académie, une république et une église étrangère. Vous ajouterez sans doute, « que les << gens sages trouvent fort mauvais qu'un étranger « réfugié dans ce pays, faisant au dehors profes«sion de papisme, et n'étant au fond qu'un athée,

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