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vraisemblance; mais aussi, afin que, s'il est manifeste que ces raisons n'ont de fondement que dans votre seule méchanceté, je sois autorisé à me plaindre de l'atrocité de votre calomnie devant Dieu et devant les hommes.

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Voici l'unique fondement de toutes vos preuves: «Si les paroles, dites-vous, étoient tou«jours un témoignage suffisant de vertu, et qu'on « pût y ajouter foi sans aucune crainte, Réné << Descartes seroit très-éloigné de donner lieu au « plus léger soupçon d'athéisme ». Mais, d'un côté, il est des personnages qui empruntent quelquefois le langage des honnêtes gens, et qui sont cependant (comme vous le savez fort bien) de très-méchans hypocrites: d'un autre côté, il paroît par mes écrits que je suis très-éloigné de donner lieu au plus foible soupçon d'athéisme : de-là vous voulez qu'on infère que je suis un athée, en supposant toujours que je suis un hypocrite. Mais le dernier point, vous ne l'avez pas prouvé, vous n'avez pas même entrepris de le prouver; à moins que vous ne regardiez comme une preuve la longue comparaison que vous faites entre moi et Vanini, qui, remarquez-vous, a été brûlé publiquement à Toulouse, non pas seulement parce qu'il étoit athée, mais parce qu'il étoit apôtre de l'athéisme. Et voici toute votre comparaison : Vanini écrivoit contre les athées, lui qui étoit le plus grand des athées: Descartes en fait autant.

Vanini se vantoit de combattre les athées avec des armes d'une telle force, que les plus opini⬠tres ne pouvoient leur opposer aucune résistance: Descartes en fait de même. Vanini s'efforçoit de décréditer, d'écarter les argumens anciens et ordinaires en faveur de l'existence de Dieu, pour y substituer ses propres argumens: c'est aussi l'objet de tous les efforts de Descartes. Enfin, les argumens que Vanini opposoit aux athées comme invincibles, quand on les examinoit de près, étoient bientôt reconnus pour n'avoir absolument aucune force on peut en dire tout autant des argumens de Descartes.

Vous concluez de-là: on ne fait donc aucun tort à Réné Descartes, quand on le compare à Vanini, le défenseur le plus subtil de l'athéisme; puisqu'il se sert des mêmes artifices, pour ériger, dans l'esprit des ignorans, un trône à l'athéisme.

Pourroit-on ne point admirer ici l'absurdité et l'impudeur de vos conclusions. Car, quand les quatre points de vos imputations seroient vrais, c'est-à-dire, quand il seroit vrai que j'ai combattu les athées dans mes écrits, et que j'ai prétendu que les argumens dont je me suis servi contre eux, sont les meilleurs de tous (deux points que je reconnois hautement comme très-véritables ); quand il seroit vrai encore que je rejette les argumens qu'on a produits de tout temps, et qu'on

emploie encore journellement contre les athées, et que ceux que je tâche de leur substituer sont sans aucune force (deux points que je soutiens être très-faux); on ne seroit pas cependant en droit d'en conclure ni que je suis convaincu, ni même que je suis suspect d'athéisme.

Effectivement, si quelqu'un entreprend de réfuter les athées, et que les preuves qu'il fait valoir contre eux, ne soient pas concluantes, il y aura bien lieu, j'en conviens, de lui reprocher son incapacité, mais non pas de l'accuser aussitôt d'athéisme. Il y a plus; la réfutation des athées n'étant point une opération facile, ainsi que vous le témoignez dans votre dernier livre de l'athéisme, tous ceux qui essayeront de les réfuter, et qui n'y réussiront point, ne devront point aussitôt et par cela seul être censés des ignorans, Grégoire de Valence, théologien très-habile et trèscélèbre, n'a-t-il pas combattu tous les argumens que saint Thomas a mis en œuvre pour prouver l'existence de Dieu, et montrer qu'ils n'étoient pas concluans. D'autres théologiens graves et pieux n'ont-ils pas usé de la même liberté. On 'pourroit donc, en suivant votre méthode, dire de saint Thomas, le personnage assurément le plus éloigné qui fut jamais de tout soupçon d'athéisme, que ses argumens contre les athées, examinés attentivement, ont paru sans force, et en conséquence établir, entre ce saint docteur et

Vanini, la même comparaison que vous avez établie entre Vanini et moi : et si mon respect pour saint Thomas le permettoit, j'oserois le dire, cette comparaison seroit moins absurde, parce qu'après tout mes argumens n'ont point été encore réfutés comme l'ont été ceux de ce saint docteur..

Mais cependant, pour montrer que mes propres argumens sont dénués de toute force, elumbia et ficulnea, vous produisez enfin deux raisons admirables: la première, c'est que vous l'avez montré en passant, obiter, dans la troisième section de votre livre. Vous avez raison de dire en passant; car j'ai prouvé un peu plus haut qu'il n'y avoit rien de plus foible et de plus absurde que ce que vous avez avancé dans cette circonstance. La seconde raison, c'est que vous prétendez que, dans l'Epître que j'ai placée à la tête de mes Méditations, j'insinue moi-même que mes argumens n'ont aucune force; et vous êtes assez inconsidéré pour rapporter vous-même, au même lieu, cet endroit de mon Epître, où je déclare expressément que mes argumens égalent ou surpassent même en certitude et en évidence les démonstrations des géomètres; ce qui n'est pas assurément insinuer que je les crois sans force. J'ajoute, il est vrai, que j'appréhende qu'ils ne soient pas assez bien compris par un assez grand nombre de personnes, ainsi qu'il arrive aux démonstrations d'Archi

mède, que très-peu de personnes comprennent; et suivant votre manière absurde de raisonner vous en inférez qu'ils ne peuvent point servir à la réfutation des athées.

Mais si mes argumens ne peuvent pas être entendus par tout le monde, ils seront au moins utiles à ceux qui les entendront; et de plus, ceux qui sont incapables de suivre des démonstrations, ayant coutume de s'en rapporter, sur leur vérité, à l'autorité de ceux qu'ils reconnoissent avoir une plus haute capacité qu'eux dans ces matières, je ne doute pas qu'au bout d'un certain temps, malgré les efforts de votre jalousie et de votre haine, mes argumens n'aient la puissance de convertir ceux même qui n'auroient pas assez de pénétration pour les entendre; parce qu'ils sauront enfin que ceux qui les entendent bien, c'est-à-dire les hommes les plus spirituels et les plus savans, les regardent comme des démonstrations rigoureuses, et que les attaques que vous et beaucoup d'autres leur ont livrées, n'ont pu en ébranler la certitude. C'est ainsi qu'il n'est personne aujourd'hui qui révoque en doute les points qu'a démontrés Archimède, quoique, sur plusieurs milliers d'hommes, à peine en est-il un seul qui entende ses démon

strations.

Vous connoissiez déjà très-bien ce que je viens de dire, puisque l'Epître que vous citez, et par conséquent que vous avez lue, le renferme dans

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