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comprenons pas, et que nous ne voyons point que nous devions comprendre. Ainsi donc il faut penser que les vérités éternelles dépendent seulement de la volonté de Dieu, qui, comme un souverain législateur, les a ordonnées et établies de toute éternité.

Descartes n'a jamais varié sur ce point. En 1650, il écrivoit au P. Mersenne : (Tom. I, Lett. CXII.) « Par « les vérités éternelles je dis itérativement: Sunt tantùm « veræ aut possibiles, quia Deus illas veras aut possibiles « cognoscit, non autem contrà veras à Deo cognosci, «quasi independenter ab illo sint veræ. Et si les hommes << entendoient bien le sens de leurs paroles, ils ne pour<< roient jamais dire sans blasphême, que la vérité de << quelque chose précédé la connoissance que Dieu en a: « car en Dieu vouloir et connoître est une même chose; << de sorte que ex hoc ipso quod aliquid velit, ideo cogno«scit, et ideo tantùm talis res est vera. Il ne faut donc «pas dire que si Deus non esset, nihilominus istæ veri«tates essent vero; car l'existence de Dieu est la pre« mière et la plus éternelle de toutes les vérités qui peuvent «être, et la seule d'où procèdent toutes les autres. Mais « ce qui fait qu'il est aisé en ceci de se méprendre, c'est «que la plupart des hommes ne considèrent pas Dieu <«< comme un être infini et incompréhensible, et qui est <«<le seul auteur dont toutes choses dépendent, etc. ».

Un ou deux ans avant sa mort, Descartes écrivoit à M. Arnauld: « Pour moi, il me semble qu'on ne doit <«< jamais dire d'aucune chose qu'elle est impossible à Dieu ; car tout ce qui est vrai et bon étant dépendant de sa

«< toute-puissance, je n'ose pas même dire que Dieu ne << peut faire une montagne sans vallée, ou qu'un et deux >> ne fassent pas trois; mais je dis seulement que Dieu m'a << donné un esprit de telle nature, que je ne saurois con<< cevoir une montagne sans vallée, ou que l'agrégé d'un << et deux ne fasse pas trois, etc.; et je dis seulement que <<< telles choses impliquent contradiction en ma concep«<tion ». (Tom. II, Lett. VI.)

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Cette opinion de Descartes, et qui, quelque peu fondée qu'on la suppose, montre toujours le sentiment profond qu'il avoit de la toute-puissance de Dieu, a déplu à beaucoup d'auteurs; mais elle n'a pas déplu à Bayle: ce fameux critique étoit même assez disposé à l'adopter. Dans la continuation de ses Pensées sur la comète, §. 114, il parle d'une controverse qui s'étoit élevée entre les philosophes chinois et les missionnaires catholiques, et il croit que l'opinion de Descartes, si les missionnaires l'avoient mise en avant, auroit pu terminer la controverse à leur avantage.

« Je crois, dit-il, que si les missionnaires veulent en<< trer en lice, armés de toutes pièces, et sans crainte << qu'on leur trouve le défaut de la cuirasse, et être invul<< nérables depuis les pieds jusqu'au sommet de la tête, le << meilleur pour eux sera de dire, comme M. Descartes et <«< une partie de ses sectateurs, que Dieu est la cause libre << des vérités et des essences, et qu'il pourra faire un cercle « oarré quand il lui plaira. Ce dogme étonneroit les Chi<«<nois et les feroit taire; ils auroient besoin de temps « pour se préparer à la réplique,

<«< Mais est-il certain, ce dogme-là, me demanderez<«< yous? Je vous répondrai qu'en le connoissant si propre

<< à prévenir les rétorsions des stratoniciens, j'ai fait tout << ce que j'ai pu pour le bien comprendre, et pour trouver << la solution des difficultés qui l'environnent. Je vous con<«< fesse ingénument que je n'en suis pas venu encore tout<< à-fait à bout; cela ne me décourage point : je m'imagine, comme ont fait d'autres philosophes en semblable <«< cas, que le temps développera ce beau paradoxe... Ce <<< sentiment seroit très commode pour prévenir de grandes << difficultés, et nommément pour rendre nulles les rétor<< sions des stratoniciens anciens et modernes. Ils ne pour<< roient plus nous dire que nous admettons dans la nature «< certaines bornes immuables qui ne dépendent point du «< libre arbitre de Dieu, et une parfaite régularité qui « n'est dirigée par aucune connoissance. S'il y a des pro«positions d'une éternelle vérité qui sont telles de leur «< nature, et non point par l'institution de Dieu; si elles <«< ne sont point véritables par un décret libre de sa vo« lonté, mais si au contraire il les a reconnues nécessaire<< ment véritables, parce que telle étoit leur nature; voilà « une espèce de fatum auquel il est assujetti, voilà une << nécessité naturelle absolument insurmontable. Il résulte « encore de là que l'entendement divin, dans l'infinité de <«< ses idées, a rencontré toujours du premier coup leur «< conformité parfaite avec leurs objets, sans qu'aucune << connoissance le dirigeât : car il y auroit contradiction << qu'aucune cause exemplaire eût servi de plan aux actes << de l'entendement de Dieu.... Toutes ces difficultés s'éva<< nouissent, dès que l'on suppose que les essences des «< créatures et les vérités philosophiques ont été fixées par << des actes de la volonté de Dieu »>.

XXXII.

DEFENSE de Descartes contre l'accusation d'athéisme intentée contre lui, par Gisbert Voëtius, et adressée à ce ministre protestant par Descartes lui-même.

:

(Ex Epist. ad Voetium, parte ultimâ, pag. 78.)

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Vous prétendez que j'enseigne et que je propage l'athéisme: vous ajoutez, il est vrai, que si je le fais par ignorance, je suis digne de pitié, mais que si c'est par méchanceté, je mérite d'être puni. Cependant, vous ne voulez pas qu'on doute que ce ne soit effectivement par méchanceté que je le fais et pour le persuader, il n'est pas de moyen que vous ne tentiez, ni d'artifice que vous ne mettiez en œuvre. Après avoir disserté longtemps à ce sujet, vous concluez sérieusement que je m'efforce d'élever dans les esprits des ignorans un trône à l'athéisme; et je vois, par les rapports qui m'ont été faits de vos discours, et par la lecture de vos opuscules sur l'athéisme, qu'il y a déjà bien des années que vous vous attachez à répandre contre moi ces bruits injurieux. Il semble même que, dans la composition de votre dernier ouvrage, vous n'avez point eu d'autre but que de les accréditer, et de persuader aux hommes qu'ils ne sont que trop bien fondés; car,

à la page 13 de votre préface, vous vous engagez à montrer, dans le reste de votre traité, que, par des voies artificieuses et très-couvertes, j'insinue dans les esprits le venin de l'atheisme. De plus, vous supposez que j'ai des disciples: et toute votre première section est employée à faire connoître des lois infiniment ridicules et absurdes, que, sans la plus petite apparence de vérité et avec la plus incroyable audace, vous prétendez que je leur fais observer. Enfin, vous me mettez de temps en temps en parallèle avec les plus méchans et les plus odieux des athées, des imposteurs, de tous les perturbateurs de l'Eglise et de l'Etat qu'on a cru ne pouvoir pas punir pas des supplices trop affreux: et vous finissez par conclure, qu'à leur exemple j'enseigne et je propage l'athéisme.

Assurément, s'il en étoit ainsi, je serois coupable du crime le plus atroce, d'un crime qu'on ne peut tolérer dans aucune république, quelque libre qu'on la suppose. Il est donc important que je rapporte ici, avec exactitude, toutes les raisons que vous avez inventées, dans le travail assidu de quelques années, pour colorer votre accusation, afin que si elles sont, je ne dis pas vraies, (ma conscience me dicte qu'elles ne peuvent pas l'être) mais si elles sont un peu vraisemblables, je demande pardon de l'imprudence ou de l'ignorance qui auroient de ma part donné lieu à cette

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