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anciens nommoient plusieurs dieux, ils n'entendoient pas plusieurs tout-puissans, mais seulement plusieurs êtres fort puissans, au-dessus desquels ils imaginoient un seul Jupiter comme souverain, et auquel seul, par conséquent, ils appliquoient l'idée du vrai Dieu, qui se présentoit confusément à eux.

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Par l'idée de Dieu, je n'entends autre chose que ce que tous les hommes ont coutume d'entendre lorsqu'ils en parlent, et que ce qu'il faut aussi de nécessité qu'entendent mes adversaires eux-, mêmes: autrement, comment auroient-ils pu dire que Dieu est infini et incompréhensible, et qu'il ne peut pas être représenté par notre imagination? et comment pourroient-ils assurer que ces attributs, et une infinité d'autres qui nous expriment sa grandeur, lui conviennent, s'ils n'en avoient pas l'idée ? Il faut donc demeurer d'accord qu'on a l'idée de Dieu, et qu'on ne peut pas ignorer quelle est cette idée, ni ce que l'on doit entendre par elle; car, sans cela, nous ne pourrions rien du tout connoître de Dieu; et l'on auroit beau dire, par exemple, qu'on croit que Dieu est, et que quelque attribut ou perfection lui appartient, ce ne seroit rien dire, puisque cela ne porteroit aucune signification à notre esprit; ce qui seroit la chose la plus impie et la plus impertinente du. monde.

IV.

DEMONSTRATION de l'existence de Dieu, tirée de l'idée de Dieu qui est en nous.

(MEDIT. III. pag. 35.)

Entre toutes les idées qui sont en moi, il en est qui me représentent des choses inanimées, des animaux, des anges, etc., et il en est une qui me représente Dieu. Quant aux premières, je conçois facilement qu'elles peuvent venir de moi, qu'elles peuvent être formées par le mélange et la composition des autres idées que j'ai des choses corporelles et de Dieu, quoique hors de moi il n'y eût dans le monde ni hommes, ni animaux, ni anges.... Mais quant à l'idée de Dieu, elle ne peut venir de moi seul.

Par Dieu j'entends une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute-connoissante, toute-puissante, et par laquelle moi-même, et toutes les autres choses qui sont, (s'il est vrai qu'il y en ait qui existent) ont été créées et produites. Or ces avantages sont si grands et si éminens, que plus je les considère attentivement, moins je me persuade que l'idée que j'en ai puisse tirer son origine de moi seul : et par conséquent il faut nécessairement conclure, de tout ce que j'ai dit auparavant, que Dieu existe : car, quoique

l'idée de la substance soit en moi, cependant de cela seul que je suis une substance, je n'aurois pas tiré l'idée d'une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n'avoit été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie.

Et je ne dois pas m'imaginer que je ne conçois pas l'infini par une véritable idée, mais seulement par la négation de ce qui est fini, de même que je comprends le repos et les ténèbres par la négation du mouvement et de la lumière; puisqu'au contraire je vois manifestement qu'il se rencontre plus de réalité dans la substance infinie, que dans la substance finie, et par conséquent qu'en quelque façon la notion de l'infini précède en moi celle du fini, c'est-à-dire de moi-même : car, comment seroit-il possible que je pusse connoître que je doute et que je désire, c'est-à-dire, qu'il me manque quelque chose, et que je ne suis pas tout parfait, si je n'avois en moi aucune idée d'un être plus parfait que le mien, par la comparaison duquel je connoîtrois les défauts de ma nature.

Mais pourquoi, dira-t-on, est-il impossible que l'idée de Dieu vienne de nous? Peut-être je suis quelque chose de plus que je ne m'imagine, et toutes les perfections que j'attribue à la nature d'un Dieu, sont en quelque façon en moi en puissance, quoiqu'elles ne se produisent pas encore, et ne se fassent point paroître par leurs actions. En effet, j'expérimente déjà que na connoissance

s'augmente et se perfectionne peu à peu ; et je ne vois rien qui puisse empêcher qu'elle ne s'augmente ainsi de plus en plus jusqu'à l'infini; ni aussi pourquoi étant ainsi accrue et perfectionnée, je ne pourrois pas acquérir par son moyen toutes les autres perfections de la nature divine; ni enfin pourquoi la puissance que j'ai pour l'acquisition de ces perfections, s'il est vrai qu'elle soit maintenant en moi, ne seroit pas suffisante pour en produire les idées.

Cependant, en y regardant un peu de près, je reconnois que cela ne peut être; car, premièrement, quoiqu'il fût vrai que ma connoissance acquît tous les jours de nouveaux degrés de perfection, et qu'il y eût en ma nature beaucoup de choses en puissance, qui n'y sont pas encore actuellement, cependant tous ces avantages n'appartiennent et n'approchent en aucune sorte de l'idée que j'ai de la divinité, dans laquelle rien ne se rencontre seulement en puissance, mais où tout est actuellement et en effet. Et même n'est-ce pas une preuve infaillible et très-certaine d'imperfection dans ma connoissance, de ce qu'elle s'accroît peu à peu, et qu'elle s'augmente par degrés ? De plus, quoique ma connoissance s'augmentât de plus en plus, néanmoins je ne laisse pas de concevoir qu'elle ne sauroit être actuellement infinie, puisqu'elle n'arrivera jamais à un si haut point de perfection, qu'elle ne soit encore capable d'ac

quérir quelque plus grand accroissement. Mais je conçois Dieu actuellement infini en un si haut degré, qu'il ne se peut rien ajouter à la souveraine perfection qu'il possède. Et enfin je comprends fort bien que l'être objectif d'une idée ne peut être produit par un être qui existe seulement en puissance, lequel, à proprement parler, n'est rien, mais seulement par un être formel ou actuel.

Mais je veux aller plus loin, et considérer si moi-même, qui ai cette idée de Dieu, je pourrois être, en cas qu'il n'y eût point de Dieu: et je demande, de qui aurois-je mon existence? Est-ce de moi-même, ou de mes parens, ou bien de quelques autres causes moins parfaites que Dieu ? car on ne peut rien imaginer de plus parfait, ni même d'égal à lui.

Or 1o. si j'étois indépendant de tout autre, et que je fusse moi-même l'auteur de mon être, je ne douterois d'aucune chose, je ne concevrois point de désirs, et enfin il ne me manqueroit aucune perfection; car je me serois donné moi-même toutes celles dont j'ai en moi quelque idée; et ainsi je serois Dieu.

2o. Je ne dois pas m'imaginer que les choses qui me manquent sont peut-être plus difficiles à acquérir, que celles dont je suis déjà en possession; car, au contraire, il est très-certain qu'il a été beaucoup plus difficile que moi, c'est-à-dire une chose ou une substance qui pense, sois sorti du

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