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Pour moi je fais une haute profession de croire, indépendamment de tout enseignement de la religion, qu'il existe des génies; et voilà sur quoi je désire connoître votre opinion. Je crois aussi qu'il existe un Dieu, et que ce Dieu est tel que les hommes les plus honnêtes et les plus sages désireroient qu'il fût, si par impossible, il n'existoit pas. Aussi ai-je toujours envisagé l'athéisme comme le triomphe de la méchanceté la plus noire et de la plus grossière stupidité. Les athées, en se glorifiant d'avoir anéanti la divinité, m'ont toujours paru semblables à un peuple insensé qui se réjouiroit et se féliciteroit d'avoir mis à mort le meilleur et le plus sage des rois (1).

(1) Nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs le texte latin de Morus: on verra que, dans notre traduction, nous avons plutôt affoibli qu'outré ses expressions.

Quod quidam magnificè se efferunt in non admittendo substantias quas vocant separatas, ut dæmonas, angelos, animasque post mortem superstites, et maximoperè hic sibi applaudunt quasi re bene gestá, et tanquam eo ipso longè sapientiores evasissent cæteris mortalibus, id ego non hujus æstimo. Nam quod sæpius observavi, hi sunt, ut plurimùm, aut taurini sanguinis homines, perditèque melancholici, aut immane quantùm sensibus et voluptatibus dediti, athei denique.... Me verò non pudet palam profiteri me vel semoto omni religionis imperio med sponte agnoscere genios esse atque Deum, nec ullum alium me posse admittere, nisi qualem optimus quisque ac sapientissimus exoptaret, si deesset, existere. Unde semper suspicatus sum, profligatissimæ Réponse

Réponse de Descartes:

La raison naturelle seule ne nous apprend point si les anges ont été créés à l'instar des ames qui sont séparées des corps, ou à l'instar de celles qui leur sont unies; or, sur tous les points à l'égard desquels je n'ai rien de certain, je suis dans l'usage de ne rien déterminer, et de ne point me livrer aux conjectures..

Mais quand vous affirmez qu'on doit croire à Dieu, et l'envisager comme étant tel que les plus honnêtes gens désireroient qu'il fût, si par impossible il n'étoit pas, je n'hésite point à dire que je suis pleinement de votre avis. (Tome Ier., Lettre LXXII.).

XXX.

CARACTÈRE du premier principe. Dans quel sens l'existence de Dieu peut-elle étre regardée comme premier principe?

(Tom. Ier., Lett. CXVIII.) {

Le mot de principe peut se prendre en divers sens; car autre chose est de chercher une notion

improbitatis summæque stupiditatis triumphum esse, atheismum; atheorumque gloriationem perinde esse, ac si stultissimus populus de sapientissimi benignissimique principis cæde ovarent inter se, et gratularentur.

Y

commune, qui soit si claire et si générale qu'elle puisse servir de principe pour prouver l'existence de tous les êtres; autre chose est de chercher un étre dont l'existence nous soit plus connue que celle de tous les autres, en sorte qu'elle nous puisse servir de principe pour les connoître.

Dans le premier sens, on peut dire que, impossibile est idem simul esse et non esse, est un principe, comme le prétend M. Clerselier, et qu'il peut généralement servir, non pas proprement à faire connoître l'existence d'aucune chose, mais seulement à faire que, lorsqu'on la connoît, on en confirme la vérité par ce raisonnement. Il est impossible que ce qui est, ne soit pas ; or, je connois que telle chose est; donc, je connois qu'il est impossible qu'elle ne soit pas : ce qui est de bien peu d'importance, et ne nous rend pas plus savans.

Dans l'autre sens, le premier principe est que notre ame existe, parce qu'il n'y a rien dont l'existence nous soit plus notoire. J'observe, en passant, que ce n'est pas une condition qu'on doive requérir dans le premier principe, d'être tel que toutes les autres propositions puissent s'y réduire et se prouver par lui; c'est assez qu'il puisse servir à en trouver plusieurs, et qu'il n'y en ait point d'autre dont il dépende, et qu'on puisse plutôt trouver que lui. Car il peut se faire qu'il n'y ait au monde aucun principe auquel seul toutes les choses puissent se réduire; et la façon dont on réduit

les autres propositions à celle-ci: impossibile est idem simul esse et non esse, n'est d'aucun usage.

Mais c'est avec très-grande utilité qu'on commence à s'assurer de l'existence de Dieu, et ensuite de celle de toutes les créatures, par la considération de sa propre existence.

XXXI.

LES essences des choses ne sont point indépendantes de Dieu.

(MÉDIT., pag. 486.).

Les essences des choses, et les vérités mathématiques qu'on peut en déduire, ne sont point indépendantes de Dieu : je pense cependant que, parce que Dieu l'a ainsi voulu et qu'il en a ainsi disposé, elles sont immuables et éternelles.

On m'objecte (p. 518), et on me dit comment peut-il se faire que les vérités géométriques ou métaphysiques soient immuables et éternelles, et que cependant elles ne soient pas indépendantes de Dieu ?..... Dieu a-t-il pu faire que la nature du triangle ne fût point; et comment, je vous prie, auroit-il pu faire qu'il n'eût pas été vrai de toute éternité que deux fois quatre forment huit, ou qu'un triangle n'eût pas trois angles ?.... Il ne semble pas possible que Dieu eût pu faire qu'aucune de ces essences ou vérités ne fût pas de toute éternité.

Voici ce que je réponds (pag. 540): Quand on considère attentivement l'immensité de Dieu, on voit manifestement qu'il est impossible qu'il y ait rien qui ne dépende de lui, non-seulement rien de tout ce qui subsiste, mais encore qu'il n'y a ni ordre, ni loi, ni raison de bonté et de vérité qui n'en dépende; autrement, comme je le disois auparavant, il n'auroit pas été tout-à-fait indifférent à créer les choses qu'il a créées. Car si quelque raison ou apparence de bonté eût précédé sa préordination, elle l'eût sans doute déterminé à faire ce qui étoit le meilleur; mais tout au contraire, parce qu'il s'est déterminé à faire les choses qui sont au monde, par cette raison, comme il est dit dans la Genèse, elles sont très-bonnes, c'est-à-dire que la raison de leur bonté dépend de ce qu'il les a ainsi voulu faire... Il est inutile de demander comment Dieu eût pu faire de toute éternité que deux fois quatre n'eussent pas été huit, etc.? car j'avoue bien que nous ne pouvons pas comprendre cela: mais puisque, d'un autre côté, je comprends fort bien que rien ne peut exister, en quelque genre d'être que ce soit, qui ne dépende de Dieu, et qu'il . lui a été très-facile d'ordonner tellement certaines choses, que les hommes ne pussent pas comprendre qu'elles eussent pu être autrement qu'elles ne sont, ce seroit une chose tout-à-fait contraire à la raison de douter des choses que nous comprenons fort bien, à cause de quelques autres que nous ne

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