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ne m'est pas possible de ne le point croire, pendant que j'applique ma pensée à sa démonstration; mais aussitôt que je l'en détourne, quoique je me ressouvienne de l'avoir clairement comprise, cependant il se peut faire aisément que je doute de sa vérité, si j'ignore qu'il y ait un Dieu : car je puis me persuader d'avoir été fait tel, par la nature, que je me puisse aisément tromper, même dans les choses que je crois comprendre avec le plus d'évidence et de certitude; vu principalement que je me ressouviens d'avoir souvent cru beaucoup de choses vraies et certaines, qu'ensuite d'autres raisons m'ont porté à juger absolument fausses.

Mais après avoir reconnu qu'il y a un Dieu, parce qu'en même temps j'ai reconnu aussi que toutes choses dépendent de lui, et qu'il n'est point trompeur, et qu'ensuite de cela j'ai jugé que tout ce que je conçois clairement et distinctement ne peut manquer d'être vrai; quoique je ne pense plus aux raisons pour lesquelles j'ai jugé cela être véritable, pourvu seulement que je me ressouvienne de l'avoir clairement et distinctement compris, on ne me peut apporter aucune raison contraire qui me le fasse jamais révoquer en doute; et ainsi j'en ai une vraie et certaine science. Et cette même science s'étend aussi à toutes les autres choses que je me ressouviens d'avoir autrefois démontrées, comme aux vérités de la géométrie et autres semblables: car qu'est-ce que l'on me peut

objecter pour m'obliger à les révoquer en doute? Sera-ce que ma nature est telle que je suis fort sujet à me méprendre? Mais je sais déjà que je ne puis me tromper dans les jugemens dont je connois clairement les raisons: sera-ce que j'ai estimé autrefois beaucoup de choses vraies et certaines, que j'ai reconnues ensuite être fausses? Mais je n'avois connu clairement ni distinctement aucunes de ces choseslà, et ne sachant point encore cette règle par laquelle je m'assure de la vérité, j'avois été porté à les croire, par des raisons que j'ai reconnues depuis être moins fortes que je ne me les étois pour lors imaginées. Que pourra-t-on donc m'objecter davantage? Sera-ce que peut être je dors (comme je me l'étois moi-même objecté ci-devant), ou bien que toutes les pensées que j'ai maintenant ne sont pas plus vraies que les rêveries que nous imagi

nons étant endormis? Mais, quand bien même je dormirois, tout ce qui se présente à mon esprit avec évidence est absolument véritable.

Et ainsi je reconnois très-clairement que la certitude et la vérité de toute science dépend de la seule connoissance du vrai Dieu; en sorte qu'avant que je le connusse, je ne pouvois savoir parfaitement aucune autre chose; et à présent que je le connois, j'ai le moyen d'acquérir une science parfaite touchant une infinité de choses, nonseulement de celles qui sont en lui, mais aussi de celles qui appartiennent à la nature corporelle,

en tant qu'elle peut servir d'objet aux démonstrations des géomètres, lesquels n'ont point d'égard à son existence.

On me demande si un athée ne peut pas connoître clairement que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits : je ne le nie pas; mais je maintiens seulement que la connoissance qu'il en a n'est pas une vraie science, parce que toute connoissance qui peut être rendue douteuse, ne doit pas être appelée du nom de science; et puisque l'on suppose que celui-là est un athée, il ne peut pas être certain de n'être point déçu dans les choses qui lui semblent être très-évidentes, comme il a déjà été montré ci-devant; et quoique peut-être ce doute ne lui vienne point en la pensée, il lui peut néanmoins venir, s'il l'examine, ou s'il lui est proposé par un autre ; et jamais il ne sera hors du danger de l'avoir, si premièrement il ne reconnoît un Dieu.

XXVIII.

NECESSITÉ du concours de Dieu pour la continuation de l'existence des choses une fois créées. (Tom. II, Lett. XVI, pag. 133.)

Il ne faut point douter que si Dieu retiroit une fois son concours, toutes les choses qu'il a créées retourneroient aussitôt dans le néant, parce qu'avant qu'elles fussent créées, et qu'il leur prê

tât son concours, elles n'étoient qu'un néant : mais cela n'empêche pas qu'elles ne doivent être appelées des substances; parce que quand on dit de la substance créée, qu'elle subsiste par ellemême, on n'entend pas pour cela exclure le concours de Dieu, dont elle a besoin pour subsister, mais seulement on veut dire qu'elle est telle qu'elle peut exister sans le secours d'aucune autre chose créée ; ce qui ne se peut dire de même des modes qui accompagnent les choses, comme sont la figure, ou le nombre, etc. Et Dieu ne feroit pas paroître que sa puissance est immense, s'il créoit des choses telles qu'ensuite elles pussent exister sans lui; mais au contraire, il montreroit par-là qu'elle seroit finie, en ce que les choses qu'il auroit une fois créées ne dépendroient plus de lui pour être. Et je ne me contredis point lorsque je dis qu'il est impossible que Dieu détruise quoi que ce soit, d'une autre façon que par la cessation de son concours; parce qu'autrement il s'ensuivroit que par une action positive il tendroit au non être. Car il y a une trèsgrande différence entre les choses qui se font par l'action positive de Dieu, lesquelles ne sauroient être que très bonnes, et celles qui arrivent à cause de la cessation de cette action positive', comme tous les maux et les péchés, et la destruction d'un être, si jamais aucun être existant étoit détruit.

XXIX.

QUESTION proposée à Descartes par Henri Morus, sur l'existence des esprits et sur l'athéisme, avec la réponse de Descartes.

(Tom. Ier., Epist. LXX, pag. 297.)

Il n'est rien de si grand, dit Morus à Descartes, que je ne puisse me promettre de votre génie. Je désirerois donc vivement que vous voulussiez bien me faire part de vos conjectures sur la question suivante. La force et la pénétration de votre esprit me sont un sûr garant qu'elles ne pourront être que très-ingénieuses.

Il est des hommes qui osent se glorifier de ne point reconnoître de substances, comme, on dit, séparées du corps, telles que les démons, les anges, les ames des hommes après la mort, et qui, en combattant leur existence, croient avoir fait la plus belle chose du monde, et s'être montrés par-là supérieurs en sagesse à tous les autres hommes. Je suis bien éloigné d'applaudir à de tels sentimens; et j'ai souvent observé que les hommes qui les professent, sont communément des hommes d'un caractère féroce, et livrés à une noire mélancolie, ou des hommes esclaves de leurs sens, et plongés dans la volupté, enfin, pour tout dire en un mot, des athées.....

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