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tous les théologiens sont d'accord en ceci, ceux même qu'on nomme Arminiens, qui semblent déférer le plus au libre arbitre.

XXVI.

SUITE du même sujet. Conciliation du libre arbitre avec sa dépendance de Dieu, à la faveur d'une comparaison.

(Tom. Ier., Lett. IX et X.)

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Je confesse qu'en ne pensant qu'à nous-mêmes, nous ne pouvons ne pas estimer notre libre arbitre absolument indépendant. Mais lorsque nous pensons à la puissance infinie de Dieu, nous ne pouvons ne pas croire que toutes choses dépendent de lui, et par conséquent aussi notre libre arbitre. Car il implique contradiction de dire que Dieu ait créé des hommes de telle nature, que les actions de leur volonté ne dépendent point de la sienne, parce que c'est comme si on disoit que sa puissance est tout ensemble finie et infinie : finie, puisqu'il y a quelque chose qui n'en dépend point; et infinie, puisqu'il a pu créer cette chose indépendante. Mais comme la connoissance de l'existence de Dieu ne nous doit pas empêcher d'être assurés de notre libre arbitre, parce que nous l'expérimentons et le sentons en nousmêmes, ainsi celle de notre libre arbitre ne nous doit point faire douter de l'existence de Dieu. L'in

dépendance que nous expérimentons et sentons en nous, et qui suffit pour rendre nos actions louables ou blâmables, n'est pas incompatible avec une dépendance qui est d'une autre nature, et selon laquelle toutes choses sont sujettes à Dieu..... Je vais tâcher d'expliquer la dépendance et la liberté du libre arbitre par une comparaison. Si un roi qui a défendu les duels, et qui sait très-assurément que deux gentilshommes de son royaume, demeurans en diverses villes, sont en querelle, et tellement animés l'un contre l'autre que rien ne sauroit les empêcher de se battre s'ils se rencontrent; si, dis-je, ce roi donne à l'un d'eux quelque commission pour aller dans un certain jour vers la ville où est l'autre, et qu'il donne aussi commission à cet autre pour aller de même jour vers le lieu où est le premier, il sait bien assurément qu'ils ne manqueront pas de se rencontrer et de se battre, et ainsi de contrevenir à sa défense, mais il ne les y contraint point pour cela; sa connoissance, et même la volonté qu'il a eue de les y déterminer en cette façon, n'empêche pas que ce ne soit aussi volontairement et aussi librement qu'ils se battent, lorsqu'ils viennent à se rencontrer, qu'ils auroient fait s'il n'en avoit rien su, et que ce fût par quelque autre occasion qu'ils se fussent rencontrés, et ils peuvent aussi justement être punis, parce qu'ils ont contrevenu à sa défense. Or, ce

qu'un roi peut faire en cela touchant quelques actions libres de ses sujets, Dieu, qui a une préscience et une puissance infinie, le fait infailliblement touchant toutes celles des hommes: et avant qu'il nous ait envoyés en ce monde, il a su exactement quelles seroient toutes les inclinations de notre volonté, c'est lui-même qui les a mises en nous, c'est lui qui a disposé toutes les autres choses qui sont hors de nous, pour faire que tels et tels objets se présentassent à nos sens à tel et tel temps, à l'occasion desquels il a su que notre libre arbitre nous détermineroit à telle ou telle chose, et il l'a ainsi voulu, mais il n'a pas voulu pour cela l'y contraindre. Et comme on peut distinguer en ce roi deux différens degrés de volonté; l'un par lequel il a voulu que ces gentilshommes se battissent, puisqu'il a fait qu'ils se rencontrassent, et l'autre par lequel il ne l'a pas voulu, puisqu'il a défendu les duels; ainsi les théologiens distinguent en Dieu une volonté absolue et indépendante, par laquelle il veut que toutes choses se fassent ainsi qu'elles se font, et une autre qui est relative, et qui se rapporte au mérite ou démérite des hommes, par laquelle il veut qu'on obéisse à ses lois (1).

(1) On sait que M. Bayle soutenoit qu'on ne pouvoit donner aucune réponse satisfaisante aux objections des Manichéens. Il a dû en conséquence juger peu favorablement de la com

paraison de Descartes : et c'est aussi ce qu'il a fait dans ses Lettres au Provincial, chap. cLIV. Mais M. Leibnitz n'en a pas jugé ainsi, quelque disposé qu'il soit communément à ne point épargner Descartes: il croit que cette comparaison est satisfaisante, si on change un peu le fait, « Il faudroit, dit-il, « (Théod., parag. 165) trouver quelque raison qui obligeât « le prince à faire ou à permettre que les deux ennemis se «< rencontrassent: il faut, par exemple, supposer qu'ils se « trouvent ensemble à l'armée, ou dans d'autres fonctions «< indispensables, et que le prince lui-même ne pût l'empê«< cher sans exposer son Etat, comme, par exemple, si l'ab«sence de l'un ou de l'autre devoit faire murmurer les sol«< dats, ou causer quelque grand désordre. Dans ce cas, dit « Leibnitz, le prince ne veut point le duel; il le sait. Il le << permet cependant: car il aime mieux permettre le péché <<< d'autrui que d'en commettre un lui-même. Ainsi la compa<«< raison de Descartes rectifiée peut servir, pourvu qu'on re« marque la différence entre Dieu et le prince. Le prince est obligé à cette permission par son impuissance: un monarque «plus puissant n'auroit pas besoin de tous ces égards; mais Dieu, qui peut tout ce qui est possible, ne permet le péché « que parce qu'il est absolument impossible de mieux faire»... Pour entendre cette observation de Leibnitz, il faut se rappeler qu'il a cru que Dieu, à raison de sa sagesse, a dû créer le meilleur des mondes possibles, et que le mal existoit dans la composition d'un tel monde, parce que la permission du mal donnoit lieu à une plus grande somme de perfections et de biens. Nous avons remarqué que Descartes n'étoit point éloigné de penser de même ; et il seroit facile de trouver dans ses écrits le germe du systême de Leibnitz.

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DE la certitude de l'existence de Dieu dépend né

cessairement la certitude des autres choses.

*

(MÉDIT. V, p. 70. Rép. aux secondes object., p. 161.)

J

Je remarque que la certitude de toutes les au tres choses dépend si absolument de l'existence de Dieu, que sans cette connoissance il est impossible de pouvoir jamais rien savoir parfaitement.

Car quoique je sois d'une telle nature, qu'aussitôt que je comprends quelque chose fort clairement et fort distinctement je ne puis m'empêcher de la croire vraie; néanmoins, parce que je suis aussi d'une telle nature que je ne puis pas avoir l'esprit continuellement attaché à une même chose, et que souvent je me ressouviens d'avoir jugé une chose être vraie, lorsque je cesse de considérer les raisons qui m'ont obligé à la juger telle, il peut arriver pendant ce temps-là que d'autres raisons se présentent à moi, qui me feroient aisément changer d'opinion, si j'ignorois qu'il y eût un Dieu; et ainsi, je n'aurois jamais une vraie et certaine science d'aucune chose que ce soit, mais seulement de vagues et inconstantes opinions.

Comme, par exemple, lorsque je considère la nature du triangle rectiligne, je connois évidemment, moi qui suis un peu versé dans la géométrie, que ses trois angles sont égaux à deux droits; et il

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