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être, il est aussi nécessairement le souverain bien et la souveraine vérité; et partant il répugne que quelque chose vienne de lui, qui tende positivement à la fausseté. Mais puisqu'il ne peut y avoir en nous rien de réel, qui ne nous ait été donné par lui, (comme il a été démontré en prouvant son existence) et puisque nous avons en nous une faculté réelle pour connoître le vrai, et le distinguer d'avec le faux, (comme on peut le prouver de cela seul que nous avons en nous les idées du vrai et du faux) si cette faculté ne tendoit au vrai, au moins lorsque nous nous en servons comme il faut, (c'est-à-dire, lorsque nous ne donnons notre consentement qu'aux choses que nous concevons clairement et distinctement: car on ne sauroit feindre un autre bon usage de cette faculté) ce ne seroit pas sans raison que Dieu qui nous l'a donnée seroit tenu pour un trompeur.

Et ainsi on voit qu'après avoir connu que Dieu existe, il est nécessaire de feindre qu'il est trompeur, si nous voulons révoquer en doute les choses que nous concevons clairement et distinctement; et parce que cela ne peut pas mêmẹ se feindre, il faut nécessairement admettre ces choses comme très-vraies et très-assurées.

XXIV.

SOLUTION de quelques difficultés tirées de l'Ecrituré sainte, contre la thèse précédente.

(MÉDIT. Rép. aux sixièmes object., p. 532.) (1).

On m'objecte que plusieurs théologiens sont dans ce sentiment, que les damnés, tant les anges que les hommes, sont continuellement trompés par l'idée que Dieu leur a imprimée d'un feu dévorant; en sorte qu'ils croient fermement, et s'imaginent voir et ressentir effectivement qu'ils sont tourmentés par un feu qui les consomme, quoiqu'en effet il n'y en ait point. Dieu ne peut-il pas nous tromper par de semblables espèces, et nous imposer continuellement, en im primant sans cesse dans nos ames de ces fausses et trompeuses idées; en sorte que nous pensions voir très-clairement, et toucher de chacun de nos sens, des choses qui cependant ne sont rien hors de nous; étant véritable qu'il n'y a point

(1) Nous croyons devoir rapporter ces solutions de Descartes, 1°. parce qu'elles font voir que Descartes connoissoit et entendoit très-bien l'Ecriture sainte; 2°. parce qu'on y trouve la réponse que donnoit ce philosophe à quelques passages de l'Ecclésiaste, dont M. de Voltaire, et tant d'autres après lui, ont voulu se prévaloir contre l'immortalité de l'ame.

de ciel, point d'astres, point de terre, et que nous n'avons point de bras, point de pieds, point d'yeux, etc.? Et certes, quand il en useroit de la sorte, il ne pourroit être blâmé d'injustice, et nous n'aurions aucun sujet de nous plaindre de lui, puisqu'étant le souverain seigneur de toutes choses il peut disposer de tout comme il lui plaît; vu principalement qu'il semble avoir droit de le faire pour abaisser l'arrogance des hommes, châtier leurs crimes, ou punir le péché de leur premier père, ou pour d'autres raisons qui nous sont inconnues. Et pour le vrai, il semble que cela se confirme par ces lieux de l'Ecriture, qui prou vent que l'homme ne peut rien savoir, comme il paroît par ce texte de l'Apôtre en la première aux Corinthiens, chapitre VIII, . 2: Quiconque estime savoir quelque chose, ne connoît pas encore ce qu'il doit savoir, ni comment il doit savoir; et pár celui de l'Ecclésiaste, chapitre VIII,

. 17: J'ai reconnu que de tous les ouvrages de Dieu qui se font sous le soleil, l'homme n'en peut rendre aucune raison, et que plus il s'efforcera d'en trouver, moins il en trouvera, même s'il dit en savoir quelqu'une, il ne la pourra trouver. Or que le Sage ait dit cela pour des raisons mûrement considérées, et non point à la hâte, et sans y avoir bien pensé, cela se voit par le contenu de tout le livre, et principalement où il traite la question de l'ame, que vous sou

tenez être immortelle. Car, au chapitre III, V. 19, il dit que l'homme et la bête passent de même façon; et afin qu'on ne dise pas que cela se doit entendre seulement du corps, le Sage ajoute un peu après, que l'homme n'a rien de plus que la béte; et en parlant de l'esprit même de l'homme, il dit qu'il n'y a personne qui sache s'il monte en haut, c'est-à-dire s'il est immortel, ou si avec ceux des autres animaux il descend en bas, c'està-dire s'il se corrompt. Et qu'on ne prétende point qu'il parle en ce lieu-là en la personne des impies, autrement il auroit dû en avertir, et réfuter ce qu'il avoit auparavant allégué. Ne pensez pas aussi, me dit-on, vous excuser en renvoyant aux théologiens l'interprétation de l'Ecriture car étant chrétien, comme vous êtes, vous devez être prêt de répondre et de satisfaire à tous ceux qui vous objectent quelque chose contre la foi, principalement quand ce qu'on vous objecte choque les principes que vous voulez établir.

Je réponds que quoique la commune opinion des théologiens soit que les damnés sont tourmentés par le feu des enfers, néanmoins leur sentiment n'est pas pour cela, qu'ils sont déçus par une fausse idée que Dieu leur a imprimée d'un feu qui les consomme, mais plutôt qu'ils sont véritablement tourmentés par le feu; parce que comme l'esprit d'un homme vivant, bien qu'il ne soit pas corporel, est néanmoins naturellement

détenu dans le corps; ainsi Dieu par sa touteTM puissance peut aisément faire qu'il souffre les atteintes du feu corporel après sa mort, etc. (Voyez le Maître des Sentences, lib. IV. dist. XLIV.) Pour ce qui est des lieux de l'Ecriture, je ne juge pas que je sois obligé d'y répondre, à moins qu'ils ne semblent contraires à quelque opinion qui me soit particulière; car lorsqu'ils ne s'attaquent pas à moi seul, mais qu'on les propose contre les opinions qui sont communément reçues de tous les chrétiens, comme sont celles que l'on attaque en ce lieu-ci, par exemple, que nous pouvons savoir quelque chose, je craindrois de passer pour présomptueux, si je n'aimois pas mieux me contenter des réponses qui ont déjà été faites par d'autres, que d'en rechercher de nouvelles, vu que je n'ai jamais fait profession de l'étude de la théologie, et que je ne m'y suis appliqué qu'autant que j'ai cru qu'elle étoit nécessaire pour ma propre instruction, et enfin que je ne sens point en moi d'inspiration divine, qui me fasse juger capable de l'enseigner. C'est pourquoi je fais ici ma déclaration, que désormais je ne répondrai plus à de pareilles objections.

Néanmoins j'y répondrai encore pour cette fois, de peur que mon silence ne donnât occasion à quelques-uns de croire que je m'en abstiens, faute de pouvoir donner des explications assez satisfaisantes des passages de l'Ecriture que l'on m'op

pose.

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