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à le défendre contre ses anciens et nouveaux détracteurs. Il en est un parmi ces derniers, qui, à raison des circonstances où il parla contre Descartes, et des suites qu'eut son discours, fixera particulièrement notre attention, et nous arrêtera long-temps.

Descartes a été le premier géomètre, le premier métaphysicien, et le premier physicien de son siècle. En tenant ce langage, nous croyons louer Descartes sans flatterie. Car nous pourrions aller plus loin, et nous ne ferions que répéter ce qu'ont pensé, ce qu'ont écrit une foule de savans, si nous assurions que depuis l'origine du monde jusqu'au temps de notre philosophe, il n'est aucun homme qui se soit distingué dans quelqu'une de ces trois sciences, à qui Descartes ne puisse être comparé, et à qui même il ne puisse disputer avec quelqu'avantage la supériorité de talens et de services.

On sait encore que Descartes a excellé dans la mécanique proprement dite, et que cette science lui doit la découverte ou la démonstration de son principe fondamental. On n'ignore pas non plus qu'il donna

un temps considérable à l'étude de l'anatomie, et qu'à la faveur de ses profondes connoissances dans cette partie, il a jeté sur le mécanisme animal de nos corps, sur l'origine et sur le jeu de nos passions, de nouvelles et de grandes lumières. Il n'est pas jusqu'à la musique dont il n'ait découvert et pénétré de bonne heure les premiers fondemens. Un petit écrit sur cet art, qui échappa de sa plume à l'âge de vingtdeux ans, et qui ne fut imprimé qu'après sa mort, en fournit la preuve.

Mais ce qu'on ne sait pas communément, ce que n'ont point fait assez remarquer ses panégyristes, c'est que telle étoit l'étendue et la vaste capacité de son génie, qu'il n'est aucun genre de doctrine ou de littérature dans lequel il n'eût pu s'illustrer, et peutêtre autant que dans les hautes sciences, s'il avoit tourné vers ce genre son génie et ses études. Entrons dans quelque détail.

Descartes qui écrivoit très-bien en latin (1), écrivoit encore mieux en françois.

(1) Il semble qu'il écrivoit en latin plus facilement qu'en

M. l'abbé Fleuri, dans son cinquième Discours sur l'Histoire ecclésiastique, propose son style pour modèle dans les matières dogmatiques. Après avoir blâmé le mauvais langage dans lequel avoient écrit les théologiens scolastiques, il observe « que «< ce n'est point la nécessité de la matière, « mais le mauvais goût du treizième siè<«<cle, qui a introduit ce langage dans les « écoles. Chacun, ajoute-t-il, peut philoso«pher, en parlant bien sa langue. Les écrits « d'Aristote sont en bon grec, les ouvrages << philosophiques de Cicéron en bon latin, « et dans le dernier siècle, Descartes à ex«pliqué sa doctrine en bon françois, et d'un « style net et précis, qui peut servir de mo«dèle pour le dogmatique ».

M. de Maupertuis a renchéri sur ce témoignage. «Descartes, disoit-il dans son discours « de réception à l'Académie françoise, géo« mètre profond, métaphysicien sublime,

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françois; la preuve en est que lorsqu'il écrivoit à ses amis et qu'il étoit pressé, il entrelardoit sa lettre de latin, ce sont ses expressions. Tome I. Lettre CXIX.

<< nous a laissé des ouvrages dans lesquels on « admireroit le style, si le fond des choses « ne s'étoit emparé de toute l'admiration ». Pour reconnoître combien ce jugement est équitable, il faut se transporter dans le siècle de Descartes, et au milieu des auteurs qui ont été ses contemporains; on verra alors combien il leur est supérieur par la clarté, la noblesse, la facilité, en un mot, par toutes les grandes qualités du style : et si on y rencontre quelques expressions ou quelques tours qui aient vieilli, et que nous nous soyons permis, par cette raison, de faire quelquefois disparoître, ils sont bien moins communs chez lui que chez tous les écrivains de son âge.

Qu'on lise le jugement qu'il porta sur les lettres du célèbre Balzac, un des plus beaux esprits de son temps, qui faisoit profession de la plus haute admiration pour les talens de Descartes, et de l'attachement le plus tendre à sa personne, et on y admirera la délicatesse du goût, la finesse des réflexions, la justesse et la beauté des images, ainsi que l'adresse avec laquelle il jette un voile sur les

défauts qu'on reprochoit à son ami. Il lutte avec lui de pensées fines et ingénieuses, d'expressions figurées et brillantes, et il lutte avec avantage. Nous avons découvert avec satisfaction que long-temps avant nous M. l'abbé Trublet, ce littérateur si judicieux et si sage, avoit porté le même jugement de cette pièce de Descartes. « Cet écrit, dit-il, << est un chef-d'oeuvre de goût. Descartes « n'eût pas moins été capable qu'Aristote « de donner des règles d'éloquence et de « poésie ».

Un autre critique, plus capable que M. l'abbé Trublet d'en imposer à une partie de nos lecteurs, parce que Voltaire n'a point essayé de verser sur lui, comme sur le premier, quelque ridicule, M. Thomas dans son Éloge de Descartes, n'a point craint de dire, qu'il n'auroit tenu qu'à Descartes d'être le plus bel esprit de son siècle. Il se fonde en partie sur une autre lettre de notre philosophe, au même Balzac, qu'il a pris la peine de traduire.

J'ajoute, ce qui surprendra peut-être, que Descartes, ce philosophe si grave et toujours

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