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l'idée de la chercher, et aura mis sur la voie de la découvrir.

On a fait un crime à Descartes d'avoir tenté d'expliquer tous les effets de la nature par les seules lois du mouvement. Mais Descartes, en grand philosophe, pensoit avec raison, que Dieu a tout opéré dans le monde et continue de l'opérer par quelques lois générales son tort auroit été d'avoir cru que ces lois suprêmes n'étoient point hors de sa portée; qu'elles étoient celles que nous connoissons, et que lui-même a découvertes en très-grande partie.

Bacon a eu la même pensée que Descartes, et allant encore plus loin, il a cru que tout avoit été opéré et continuoit d'être régi par une seule et unique loi; mais cette loi, à laquelle sont subordonnées toutes celles qui nous sont connues, il a cru que nous ne pouvions guère espérer de la connoître ellemême, et de la comprendre jamais. Nous venons de voir dans la lettre de Descartes, citée en note, qu'il pensoit de même.

« On doit reconnoître, dit Bacon (de Sa«pientiâ veterum, par. 17), une force ou

<< vertu primitive et unique qui dispose et «forme tout de la matière...... Cette force ne << peut avoir aucune cause dans la nature «< << (Dieu étant toujours excepté ), puisque << rien n'existe avant elle dans la nature, et « qu'ainsi rien n'a pu la produire..... Il faut << peut-être désespérer que l'homme puisse « jamais découvrir et comprendre la ma«nière dont opère cette cause...... Aussi le << philosophe sacré, Salomon, a dit : Dieu a « fait toutes choses bonnes dans leur temps, « et il a livré le monde à leur dispute, sans l'homme cependant puisse connoître « l'oeuvre que Dieu a fait depuis le com« mencement jusqu'à la fin. Car cette loi « sommaire de la nature, ou la force im«< primée par Dieu aux premières particules << pour leur rassemblement, et qui par la ré<< pétition et la multitude des rassemblemens, << a produit toutes les choses diverses qui rem<< plissent l'univers ; cette force, dis-je, peut << bien se présenter à la pensée des hommes, «< mais ne peut guère y pénétrer. Cogitatio« nem mortalium perstringere potest, subaire vix potest... Il en est, parmi les philoso

« que

«<phes,qui rapportent cette force de la matière « à Dieu comme à son auteur: ils ont par « faitement raison sans doute; mais leur tort <<< est de remonter tout à coup à Dieu, par un « saut et non point par degrés ; car entre les « effets et Dieu, il existe un intermédiaire; «< cet intermédiaire est une loi sommaire et « unique, qui est comme le centre et le régu«lateur de toute la nature, et que Dieu en « quelque sorte a substitué à lui-même. C'est << cette loi que Salomon, dans le texte cité plus << haut, exprime par cette circonlocution, « l'oeuvre que Dieu opère depuis le com« mencement jusqu'à la fin ».

On voit manifestement, par ce texte, que Bacon a cru que tout avoit été produit et pouvoit être expliqué par une seule loi..

Si quelqu'un soupçonnoit dans le langage que nous venons de tenir sur les tourbillons de Descartes, de l'exagération ou même de l'enthousiasme, notre justification seroit bien facile il ne s'agiroit que de lui faire observer, que l'auteur de l'Esprit des Lois a tenu le même langage, et qu'il a même parlé plus fortement que nous; car il n'a pas craint de

:

dire, « que ce grand système de Descartes, « qu'on ne peut lire sans étonnement; ce sys« tême qui vaut lui seul tout ce que les au«<teurs profanes ont jamais écrit ; ce système «qui soulage si fort la Providence, qui la <«<< fait agir avec tant de simplicité et de gran« deur; ce systême immortel qui sera admiré « dans tous les âges et toutes les révolutions « de la philosophie, est un ouvrage à la per« fection duquel tous ceux qui raisonnent, « doivent s'intéresser avec une espèce de ja«<lousie ». (Euv. posth., in-8°. pag. 102.)

Le système des tourbillons, qui sera une erreur reconnue aujourd'hui, si l'on veut, et un roman philosophique, a-t-il été, a-t-il dû être aussitôt reconnu pour tel? N'a-t-il

pas été adopté généralement par les meilleurs esprits qui ont vécu après Descartes. Depuis même que Newton l'a attaqué de toutes ses forces dans ses Principes mathématiques, n'a-t-il pas continué d'être soutenu par les Leibnitz (1), les Huygens, les Jean et Daniel

(1) Voici comment s'explique, sur le systême des tourbilfons et sur le vide, Leibnitz, tom. III, p. 350 et 358. Il écrivoit en 1698:

Bernoulli, c'est-à-dire, par des hommes qui marchent dans l'empire des sciences sur la même ligne que Newton, ou du moins à peu de distance; et n'ont-ils pas cru devoir appliquer une partie de leurs veilles à en perfectionner quelque partie ?

Le phénomène de la gravité des corps, le plus obscur et le plus impénétrable jusqu'alors de tous les phénomènes, n'est-il pas clairement expliqué dans ce système? La loi même de la gravitation, en raison inverse des carrés des distances, cette loi dont la découverte et l'application sont la principale gloire de Newton, ne dérive-t-elle pas clairement de ce systême, et les cartésiens ne prétendentils pas l'avoir reconnue et démontrée, avant même qu'ils eussent aucune connoissance des Principes mathématiques de Newton? Villemot, curé de Lyon, tant loué par Fonte

Newtonus, mathematicus excellens, astrorum vortices tollendos putat: sed mihi, ut olim in Actis Lipsiensibus prodidi, non tantùm conservari posse, sed etiam pulcherrimè procedere videntur circulatione harmonicâ, cujus admirandas deprehendi proprietates.

Vacuum nullum esse pro certo habeo...... Fateor olim interstitiola vacua placuisse; hodie contrà sentio.

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