Page images
PDF
EPUB

plus d'attention, et on croira facilement que nous ne tenons point le langage d'un enthousiaste, si nous faisons voir que c'est le langage de M. d'Alembert lui-même. Nous citons volontiers cet auteur, quand il parle comme mathématicien : il est vraiment alors digne de confiance. Voici donc comment il s'explique sur ce sujet, dans son Discours préliminaire de l'Encyclopédie : « Ces tourbil<«<lons, devenus aujourd'hui presque presque ridicu«<les, on conviendra, j'ose le dire, qu'on ne << pouvoit alors imaginer mieux. Les obser«vations astronomiques, qui ont servi à les « détruire, étoient encore imparfaites ou << peu constatées; rien n'étoit plus naturel (( que de supposer un fluide qui transporte «<les planètes; il n'y avoit qu'une longue << suite de phénomènes, de raisonnemens et <<< de calculs, et, par conséquent, une longue <<< suite d'années, qui pût faire renoncer à <<< une théorie si séduisante. Elle avoit d'ail<< leurs l'avantage singulier de rendre raison <«<< de la gravitation des corps, par la force «< centrifuge du tourbillon même, et je ne << crains point d'avancer que cette explication

*

« de la pesanteur est une des plus belles et des << plus ingénieuses hypothèses que la philo«sophie ait jamais imaginées. Aussi a-t-il « fallu, pour l'abandonner, que les physiciens « aient été entraînés, comme malgré eux, << par la théorie des forces centrales, et par « des expériences faites long-temps après. « Reconnoissons donc que Descartes, forcé « de créer une physique toute nouvelle, n'a << pu la créer meilleure ; qu'il a fallu, pour « ainsi dire, passer par ces tourbillons, pour << arriver au vrai systême du monde, et que « s'il s'est trompé sur les lois du mouvement, << il a du moins deviné le premier qu'il devoit << y en avoir ».

Loin donc que ce systême soit une tache sur la gloire de Descartes, rien ne prouve mieux la force et la vaste étendue de son génie. Tout ce qu'ont fait et imaginé, sur la formation du monde, les philosophes de l'antiquité, ne sauroit lui être comparé. Descartes ne demande à Dieu que de créer la matière, de lui imprimer une certaine quantité de mouvement, et d'assujettir ce mouvement à quelques règles. Avec ces seules données, il

entreprend d'expliquer comment s'est formé ce monde. Nous sommes bien éloignés de croire qu'il ait réussi pleinement dans une entreprise qui exige peut-être une intelligence infinie. Descartes n'a pas réussi, parce qu'il lui étoit impossible de réussir ; mais il a montré jusqu'où pouvoit aller l'esprit humain, dans la découverte des mesures que Dieu a suivies dans la fabrication de l'univers, et il s'est élevé aussi haut qu'aucun homme ait pu faire, dans la sphère de l'intelligence humaine. De quelle admiration ne doit pas encore nous saisir la grandeur de son courage et l'élévation de ses vues, quand il nous apprend qu'il s'étoit occupé pendant quelques mois de découvrir la raison pour laquelle les étoiles occupoient telle ou telle place dans le ciel, et gardoient entr'elles tel ou tel ordre (1).

(1) Nous croyons devoir rapporter la lettre où ce fait est consigné, d'autant plus qu'elle prouve le cas que faisoit Descartes des expériences et des observations, et que M. de Fontenelle a eu raison de dire, que le grand avantage de Newton sur Descartes, c'est qu'il est venu dans un temps où le ciel étoit mieux connu.

« Si vous savez quelque auteur qui ait particulièrement

Oui, tout chimérique dans cette partie, tout inconciliable avec les phénomènes qu'on suppose ce systême, il honore, il agrandit

recueilli les diverses observations qui ont été faites des comè→ tes, vous m'obligerez aussi de m'en avertir; car depuis deux ou trois mois, je me suis engagé fort avant dans le ciel, et après m'être satisfait touchant sa nature, et celle des astres que nous y voyons, je suis devenu si hardi, que j'ose maintenant chercher la cause de la situation de chaque étoile fixe car quoiqu'elles paroissent fort irrégulièrement éparses ça et là dans le ciel, je ne doute point toutefois qu'il n'y ait un ordre naturel entr'elles, lequel est régulier et déterminé; et la connoissance de cet ordre est la clef et le fondement de la plus haute et plus parfaite science que les hommes puissent avoir, touchant les choses matérielles, d'autant plus que par son moyen on pourroit connoître à priori toutes les diverses formes et essences des corps terrestres; au lieu que sans elle, il nous faut contenter de les deviner à posteriori, et par leurs effets. Or, je ne trouve rien qui me pût tant aider pour parvenir à la connoissance de cet ordre, que l'observation de plusieurs comètes ; et comme vous savez que je n'ai point de livres, et quoique j'en eusse, que je plaindrois fort le temps que j'emploirois à les lire, je serois bien aise d'en trouver quelqu'un qui eût recueilli tout ensemble, ce que je ne saurois sans beaucoup de peine tirer des auteurs particuliers, dont chacun n'a écrit que d'une comète, ou deux seulement.

« Vous m'avez autrefois mandé que vous connoissiez des gens qui se plaisoient à travailler pour l'avancement des sciences, jusques à vouloir même faire toutes sortes d'expé

l'esprit

l'esprit humain ; et si jamais l'homme parvient à découvrir cette loi unique et féconde qui vraisemblablement régit tout l'univers, cette loi, qui a donné la naissance à tout et perpétue tout, c'est Descartes qui aura donné

riences à leurs dépens. Si quelqu'un de ce caractère vouloit entreprendre d'écrire l'histoire des apparences célestes, selon la méthode de Verulamius (Bacon), et que, sans y mettre aucunes raisons ni hypothèses, il nous décrivît exactement le ciel, tel qu'il paroît maintenant, quelle situation a chaque étoile fixe à l'égard de ses voisines, quelle différence, ou de grosseur, ou de couleur, ou de clarté, ou d'ètre plus ou moins étincelantes, etc.; item, si cela répond à ce que les anciens astronomes en ont écrit, et quelle différence il s'y trouve (car je ne doute point que les étoiles ne changent toujours quelque peu entr'elles de situation quoiqu'on les estime fixes); après cela qu'il y ajoutât les observations des comètes, mettant une petite table du cours de chacune, ainsi que Tycho a fait de trois ou quatre qu'il à observées; et enfin les variations de l'écliptique, et des apogées des planètes: ce seroit un ouvrage qui seroit plus utile au public qu'il ne semble peut-être d'abord, et qui me soulageroit de beaucoup de peine. Mais je n'espère pas qu'on le fasse, non plus que je n'espère pas aussi de trouver ce que je cherche à présent touchant les astres. Je crois que c'est une science qui passe la portée de l'esprit humain ; et toutefois je suis si peu sage, que je ne saurois m'empêcher d'y rêver, quoique je jugė que cela ne servira qu'à me faire perdre du temps, ainsi qu'il à déjà fait depuis deux mois, etc. ». Tome II, Lettre LXVII; au P. Mersenne.

E

« PreviousContinue »