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C'est donc ainsi que le grand contempteur des expériences, si l'on en croit nos adversaires, fut surpris par la mort en inventant et en faisant lui-même des expériences.

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observe que ces lettres sont sans date, mais l'Académie des sciences possédoit un exemplaire des Lettres de Descartes, qui avoit appartenu à M. de Montampuis, ancien recteur de l'Université de Paris; et dans cet exemplaire, toutes les dates sont établies à la main est-ce M. de Montampuis ou un autre qui a fait la recherche de ces dates? c'est ce que nous ignorons. Il nous a paru seulement que la discussion préliminaire à la fixation de chacune des dates, est faite avec beaucoup de soin et d'exactitude. Or, d'après cette fixation, la lettre XCI. est du 8 octobre 1638, la XCIV. est du 13 décembre 1638, la XCVI. du 9 janvier 1639.

M. de Luc cite encore sa lettre CII°. du 3o. vol. de l'édition latine, qui, dans l'édition françoise de M. Clerselier, est la CXI. Cette lettre dans l'édition latine est sans date, et dans la françoise elle est datée du 2 juin 1631. Dans l'exemplaire cité de l'Institut, l'annotateur a écrit à la marge que cette lettre CXI", est fixement du 2 juin 1631, mais qu'il n'a pu deviner à qui elle a été écrite.

M. de Luc croit cette date fausse. Cette date, dit-il, prouve trop; car il s'ensuivroit que dès ce temps on connoissoit le baromètre : ce qui n'est pas. Cette observation ne peut pas prévaloir contre une date aussi positive; et si le baromètre étoit alors connu, on voit par la même lettre que cette connoissance n'étoit pas, si je peux m'exprimer ainsi, bien explicite, et n'appartenoit encore qu'à quelques particuliers. Ce qu'ajoute M. de Luc pour appuyer son jugement, a bien peu de force.

On voit donc évidemment que rien n'est plus injuste que le reproche qu'on fait si communément à Descartes, d'avoir méprisé l'expérience. Malgré tous les puissans raisonnemens de Bacon, l'estime et le goût des expériences, n'avoit point encore gagné les têtes. Très-peu d'expériences étoient déjà faites au temps de Descartes: occupé, comme il étoit, de spéculations aussi intéressantes que profondes, voyageant presque sans cesse, pourvu d'un patrimoine médiocre, il n'avoit ni le temps, ni la faculté d'en faire, et surtout d'en faire dans un nombre suffisant pour fournir la base d'un système. Si Boyle est, à juste titre, appelé le père de la physique expérimentale, soit parce qu'il a fait un trèsgrand nombre d'expériences, soit parce qu'il les expliquoit toutes par la voie du mécanisme; Descartes ne mérite-t-il pas de partager avec lui ce titre, puisque c'est à lui et à sa physique qu'on doit la pensée et la méthode d'expliquer mécaniquement tous les phénomènes de la nature?

Qu'on se rappelle l'état où Descartes trouva la physique. «Toutes les puissances qu'ont

« les corps d'agir les uns sur les autres, dit <<< un auteur célèbre (1), toutes leurs qualités <<< sensibles étoient autant de vertus innées << sympathiques ou antipathiques, expultri«< ces ou retentrices, destinées à produire «< chaque effet en particulier. Descartes con« çut que tout cet étalage de vertus occultes «< ne s'étoit introduit dans la physique qu'à << la faveur de l'ignorance du mécanisme. Il << vit ce que Boyle confirma depuis par mille « expériences, que la nature ne fait jouer, en « effet, que le mécanisme dans la production « des effets, où l'on peut entrevoir en quel<< que sorte son procédé. La simplicité de ses >> voies le persuada, que ce procédé devoit « être uniforme. Il ne balança donc pas à re« jeter les formes substantielles et acciden<< telles de l'école, et à leur substituer les af<«<fections mécaniques, la grosseur, la figure, « le mouvement des particules d'une matière << homogène >>.

Et voilà le service inestimable que Des

(1) Le cardinal Gerdil: Incompatibilité des principes de Descartes et de Spinosa, page 196.

cartes a rendu à la physique. Voilà pourquoi, si on ne peut pas l'appeler, dans toute la force et toute la plénitude du terme, le père de la physique expérimentale, si cette qualification pure et simple doit plutôt appartenir à Boyle, on peut et on doit l'appeler le père de la physique rationnelle.

Descartes ne peut donc pas être blâmé de n'avoir pas fondé son systême sur des expériences et des observations qui n'étoient pas encore faites, et qu'il étoit dans l'impuissance de faire. Il étoit donc dans la nécessité ou de ne point faire de systême, ou d'en créer un d'imagination. Or, je demande si Descartes, en inventant son grand systême du monde, quelque défectueux qu'on le suppose, n'a pas incomparablement mieux servi les sciences, que s'il ne l'avoit point inventé, et qu'il eût gardé sur cet objet un profond silence? Croiton qu'on en eût et plutôt et plus heureusement découvert un autre? Nous ne dirons rien d'étrange, et nous ne ferons que répéter ce qu'ont dit de très-habiles gens, en avançant que peut-être, sans le systême de Descartes, celui de Newton n'auroit jamais paru.

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N'est-ce pas ce systême qui a donné lieu à Descartes de concevoir cette grande idée, qu'ont adoptée depuis, avec quelque légère modification, les plus grands philosophes, que la même quantité de mouvement se conserve dans l'univers? Idée qu'admiroit Leibnitz, et qu'il a tenté seulement de modifier, en substituant à la même quantité de mouvement, la même quantité de force.

N'est-ce pas en travaillant à son systême, qu'il a cherché, qu'il a mis tous les autres philosophes sur la voie de découvrir, les grandes lois du mouvement et de la nature? Quel beau modèle n'a pas fourni ce systême, pour l'intelligence des principaux phénomènes de l'univers? Combien est ingénieuse, combien est satisfaisante pour l'esprit, l'explication qu'il en donne! Et sans la difficulté que font naître les orbites des comètes, qu'on n'a reconnu que long-temps après Descartes, descendre jusqu'au-dessous de la sphère de Mercure, peut-être ce systême seroit en-core debout, et en possession de régner dans . les écoles.

Tout ce que nous avançons ici excitera

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