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qui connoissoit parfaitement les Essais sur l'entendement humain de cet auteur, puisqu'il les a analysés, et même fondu dans un de ses ouvrages ayant pour titre : Nouveaux Essais sur l'entendement humain, qui étoit bien plus disposé à censurer qu'à louer Descartes: hé bien, qu'ils sachent que Leibnitz n'a point été touché des raisonnemens de Locke, qu'il les a réfutés; en un mot, qu'il a défendu hautement l'opinion de Descartes sur les idées innées: qu'ils apprennent encore que le cardinal Gerdil, l'un des plus sages et des plus savans métaphysiciens de ce siècle, s'est déclaré ouvertement en faveur de l'opinion de Descartes. Nous les invitons à lire les écrits de l'un et de l'autre; et s'ils ne sortent pas de cette lecture, persuadés qu'on peut dire dans un sens très-véritable que nous avons des idées et des principes innés, au moins ils seront convaincus qu'il y a autant de témérité que d'indécence à traiter cette doctrine d'absurde (1).

(1) Je crois que ceux qui s'élèvent si hautement contre la doctrine de Descartes, sur les idées innées, n'ont point une

Nous avons insinué plus haut que les trois grands titres de Descartes à l'immortalité étoient sa géométrie, sa métaphysique et sa physique. Les deux premiers sont purs, si je peux m'exprimer de la sorte; je veux dire qu'ils sont exempts de toute erreur, ou si on a prétendu en découvrir quelqu'une, la justification de Descartes est facile. Mais il n'en est pas de même du troisième, c'està-dire, de sa physique, qui a pourtant beaucoup plus contribué à la célébrité de son nom que sa géométrie et sa métaphysique. Elle a essuyé, dans plusieurs de ses points, des reproches bien fondés. Mais on peut dire, dans un sens très-juste, que ces reproches doivent tomber sur elle seulement et non point sur Descartes. Cette proposition, qui a l'air d'un paradoxe, paroîtra bientôt claire et véritable.

idée juste de cette doctrine. Ils s'imaginent que Descartes enseigne que les idées innées, telle que l'idée de Dieu, sont actuellement dans l'ame de tous les hommes. Descartes est très-éloigné de le penser et de le dire: il pense et il dit seulement qu'elles sont toujours en nous, non en acte, mais en puissance; on en trouvera plusieurs preuves dans le cours de notre ouvrage.

On impute à Descartes d'avoir négligé, dédaigné même l'expérience, et de n'avoir tiré son systême que de sa seule imagination. C'est surtout son fameux système des tourbillons qu'on attaque comme inconciliable avec les phénomènes célestes. Nous allons discuter cette accusation.

Nous convenons d'abord que la physique de Descartes n'a point été établie sur l'expérience, et qu'elle la contredit même en quelques points. Mais nous nions fortement que Descartes n'ait eu que du dédain pour les expériences, et n'en ait tenu aucun compte; et parce que ce reproche est aujourd'hui dans la bouche de tous nos philosophes, qu'il est le titre principal de ses détracteurs, nous allons employer quelques momens à le confondre.

Si nos critiques avoient seulement jeté les yeux sur les lettres de Descartes, ils penseroient bien différemment. Cent témoignages de son estime et de son goût pour les expériences se seroient présentés à leurs yeux. Cette estime et ce goût étoient si connus de ses contemporains, qu'on le consultoit

sur la meilleure manière de faire les expériences (1).

Les détracteurs de Descartes prétendent sans doute le juger avec connoissance de cause, et après avoir lu ses écrits: ils ont donc au moins lu son Discours sur la méthode; et alors comment n'ont-ils pas remarqué le trait suivant (p. 65). « Les expé

sens,

(1) « Vous désirez savoir, écrivoit-il au P. Mersenne, un « moyen de faire des expériences utiles. A cela je n'ai rien << à dire, après ce que Verulamius (Bacon) en a écrit, sinon «< que sans être trop curieux de rechercher toutes les petites «< particularités touchant une matière, il faudroit princi« palement faire des recueils généraux de toutes les choses « les plus communes, et qui sont très-certaines, et qui peu<«< vent se savoir sans dépense, comme que toutes les coquilles << sont tournées dans le même et savoir s'il en est de « même au-delà de l'équinoxial; que le corps de tous les ani«maux est divisé en trois parties, caput, pectus et ventrem, << ainsi des autres : car ce sont celles qui servent infaillible<< ment en la recherche de la vérité ». Tome II, Lettre LXV. Il écrivoit à M. Chanut, alors ambassadeur en Suède : « Si vous jelez quelquefois la vue hors de votre poêle, << vous aurez peut-être aperçu en l'air d'autres météores que << ceux dont j'ai écrit ; et vous m'en pourriez donner de bonnes <«< instructions. Une seule observation que je fis de la neige exa« gone, en l'année 1.635, a été cause du traité que j'ai fait sur les « météores. Si toutes les expériences dont j'ai besoin pour le << reste de ma physique me pouvoient ainsi tomber des nues, « et qu'il ne me fallût que des yeux pour les connoître, je me

«riences, dit Descartes, qui peuvent servir « à expliquer la nature, sont telles et en si « grand nombre, que ni mès mains, ni « mon revenu, en eussé-je mille fois plus « que je n'en ai, ne sauroient suffire pour « toutes; et selon que j'aurai désormais la « commodité d'en faire plus ou moins, j'a<< vancerai aussi plus ou moins dans la con

<< promettrois de l'achever en peu de temps; mais, parce qu'il « faut aussi des mains pour les faire, et que je n'en ai point « qui y soient propres, je perds entièrement l'envie d'y tra« vailler davantage». Tome I. Lettre XXXII, 6 mars 1646.

Dans la lettre suivante à M. Chanut, datée du 15 juin 1646, on voit que quelques mois après, Descartes reprenoit courage, et en revenoit aux expériences pour continuer sa physique. « Je vous dirois, écrivoit-il, que pendant que je laisse << croître les plantes de mon jardin, dont j'attends quelques «< expériences pour tâcher de continuer ma physique, je m'ar« rête aussi quelquefois aux questions particulières de la mo<< rale ».

Le goût de Descartes, pour les expériences et les observations, étoit si vif et si connu, que quelques personnes, pendant sa vie, en faisoient la matière d'un reproche. Il est vrai, écrivoit-il au P. Mersenne, en 1630, que j'ai passé un hiver à Amsterdam, où j'allois presque tous les jours dans la maison d'un boucher, pour lui voir tuer des bêtes; et je faisois apporter de-là à mon logis les parties que je voulois anatomiser plus à mon loisir ; ce que j'ai fait encore plusieurs fois dans tous les lieux où j'ai été; mais je ne crois pas qu'aucun homme d'esprit puisse m'en blâmer. Tome II, Lettre XXXIII.

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