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Nous ne sommes point les seuls ni les premiers qui aient porté ce jugement. Le P. Poisson, prêtre de l'Oratoire, qui publia quelques années après la mort de Descartes un commentaire en forme de remarques sur sa méthode, le termine ainsi : «Sans doute un savant homme n'a dit que la vérité, lorsque parlant de l'apologie où M. Descartes se plaint de Voëtius, il ajoute : « On voit "par cette pièce qu'il n'eût pas été moins "parfait orateur qu'excellent philosophe, « s'il eût voulu donner à l'étude de l'é<«<loquence une partie du temps qu'il a

dans la collection des lettres, apparemment parce qu'elle est trop longue, et forme proprement un ouvrage à part, mérite infiniment d'être connue, quand ce ne seroit que pour montrer la diversité des talens de Descartes: cependant elle l'est fort peu. Nous en avons traduit la partie où Descartes répond directement à l'accusation d'athéisme formée contre lui par Voëtius, et la repousse si fortement; on la lira dans notre ouvrage. Nous sommes bien trompés, ou ce morceau ne paroîtra pas indigne du plus habile orateur. Nous pouvons ajouter, et on en a encore la preuve dans cette même lettre, que Descartes savoit prendre toutes les formes, et que, semblable à l'orateur romain, s'il réfutoit avec véhémence, il savoit aussi badiner quelquefois avec grâce et railler avec finesse.

« employé à la recherche de la nature ».

Nous ne donnons point à Descartes le mérite d'une grande érudition. Pourvu, comme il étoit, d'un excellent jugement et d'une mémoire heureuse, il auroit pu, sans doute, avec de longues veilles, se procurer facilement ce genre de mérite, et prendre rang parmi les Vossius et les Saumaise; mais rien dans ses écrits n'annonce une connoissance extraordinaire de l'histoire et des langues. On voit seulement qu'il savoit parfaitement le grec et plusieurs langues vivantes. (Baillet, page 485). Il avoit même dirigé ses études sur ce principe, qu'il étoit plus intéressant de découvrir les

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es ressorts du monde et les secrets de la nature, que d'approfondir les faits de l'antiquité. Il est pourtant des auteurs, tels que M. Huet, qui ont prétendu que Descartes avoit une très vaste, lecture. Mais c'est moins pour ajouter au mérite de Descartes, que pour le déprimer, qu'ils ont parlé de la sorte. Ils vouloient seulement accréditer par-là, et rendre plus plausible; l'imputation qu'ils lui faisoient d'avoir découvert et pris chez les anciens philoso

phes, tous les principes de sa philosophie. Descartes avoit du goût et de l'inclination pour la morale: il se proposoit de consacrer à cette science si intéressante, les dernières années de sa vie. On voit, par ses lettres à la princesse Elisabeth, combien il étoit déjà habile dans cette partie, et que personne ne fut jamais plus capable que lui, de donner un corps de philosophie morale fondé sur les seules lumières de la raison.

Mais nous croyons avoir suffisamment prouvé la grande force du génie de Descartes et l'universalité de ses talens : nous avons assez parlé de ce qu'il auroit pu faire; il est temps de parler de ce qu'il a fait, et de commencer sa défense: car c'est sur ses écrits que sont fondés, en même temps, et les titres de sa gloire et les censures de ses ennemis.

Il est trois sciences, et nous l'avons déjà insinué, qui ont principalement occupé le génie et les heures de Descartes, la géométrie, la physique et la métaphysique. C'est à ses travaux et à ses succès dans ces trois parties qu'il doit la célébrité de son nom:

c'est aussi à les décréditer que s'est attachée l'envie. On sait que l'apanage ordinaire des grands hommes est d'avoir de grands ennemis. Les mêmes causes qui produisent l'admiration pour eux dans les uns, font naître la jalousie dans les autres. Ceux-ci croient faire tomber sur eux-mêmes la portion de gloire qu'ils tâchent de leur enlever. Mais quoi qu'il en soit du principe qui sus cite cette passion, il n'est point de philosophe qu'elle ait poursuivi plus vivement que Des

cartes.

En suivant les différens reproches qui lui ont été faits, nous montrerons combien, en général, ces reproches sont injustes; et nous prouverons que rien n'est capable de faire descendre Descartes du haut rang qu'il occupe dans l'empire des sciences.

La géométrie a fourni à Descartes celui de ses titres à une gloire immortelle, qui a été le moins contesté, parce qu'il étoit effectivement le plus incontestable. Les savans hollandois qui ont attaqué plus vivement la doctrine de Descartes, dans ses rapports avec la théologie, ont été forcés de lui rendre

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hommage sur ce point. Jacques Golius, professeur à Leyde, n'a point craint de dire que Descartes s'est élevé bien au-dessus des anciens et des modernes les plus distingués par leur génie, veterum omnium ac recentiorum ingenia hic subvertit, et qu'il a fait dans les mathématiques ce qui semble surpasser les forces de l'esprit humain. Maresius ou Desmarets, dans son Traité de l'abus de la philosophie cartésienne en théologie, déclare que dire que Descartes a été l'Archimède de son siècle, ce n'est pas assez dire. Le célèbre Spanheim, dans une lettre écrite sur les différends de religion dans la Belgique, où l'on avoit impliqué la philosophie de Descartes, convient qu'on ne peut dispu ter à ce philosophe le premier rang dans la géométrie et la dioptrique.

Effectivement Descartes débuta dans cette science par la solution d'un problême qui avoit arrêté tous les géomètres anciens. L'al gèbre prit entre ses mains des accroissemens étonnans. Il est le premier qui ait imaginé de l'appliquer à la géométrie : cette invention, au jugement d'habiles géomètres, suppose

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