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recteur de sa conscience, et pria qu'on ne Pen3 tretînt plus que de la miséricorde de Dieu et du courage avec lequel il devoit souffrir la sépara tion dé son ame. Il attendrit et édifia, par les réflexions qu'il fit sur son état et sur celui de l'autre vie, toute la famille de l'ambassadeur, rassemblée autour de son lit. La nuit suivante, il entretint encore l'ambassadeur de sentimens de religion, et lui marqua, en terines également généreux et touchans, la disposition où il étoit de mourir pour obéir à Dieu, et le sacrifice qu'il lui offroit de sa vie en expiation de ses fautes: Dans le soir du lendemain, on vint avertir M. Chanut que le malade paroissoit toucher à sa dernière heure. M. Chanut accourut avec sa famille, pour recueillir les dernières paroles de son ami; mais il ne parloit déjà plus. Le confesseur, qu'il avoit inutilement de mandé jusqu'alors; parce qu'il étoit absent-de Stockholm, arriva dans le moinent, et voyant bien que le malade n'étoit point en état de faire sa confession de bouche, il fit souvenir l'assemblée qu'il avoit rempli tous les devoirs d'un chrétien fidèle, dans le premier jour de sa maladie et un mois auparavant. Croyant ensuite reconnoître, aux yeux du malade et au mouvement de sa tête, qu'il conservoit la connoissance, il le pria de témoigner, par quelque signe, s'il l'entendoit encore, et s'il vouloit recevoir de lui la dernière bénédic tion. Aussitôt le malade leva les yeux au ciel

d'une manière qui toucha tous les assistans, et qui annonçoit une parfaite résignation à la volonté. de Dieu. M. l'ambassadeur, qui entendoit le langage de ses yeux; et qui pénétroit encore dans le fond de son coeur, dit à l'assemblée, que son ami se retiroit content de la vie, satisfait des hommes, plein de confiance dans la miséricorde de Dieu, et très-empressé d'aller voir à découvert et de posséder la vérité qu'il avoit recherchée toute sa vie. La bénédiction donnée, toute l'assemblée se mit à genoux pour faire les prières des agonisans, et s'unir à celles que le prêtre alloit adresser à Dieu pour la recommandation de son ame, au nom de l'Eglise et des fidèles répandus dans tout l'univers. Elles n'étoient pas achevées, quand Descartes rendit l'esprit à son créateur, dans une tranquillité digne de l'innocence de sa vie. Il mourut le 11 février 1650, à quatre heures du matin, âgé de cinquante trois ans dix mois et onze jours, après neuf jours de maladie.

Toutes ces circonstances de la mort de Descartes, si édifiantes, sont en même temps indubitables; elles avoient été recueillies par différens témoins oculaires, dont les relations subsistoient encore au temps de M. Baillet, et lui avoient été communiquées.

Mais la mort est un point si important et si digne d'attention dans l'histoire de la vie d'un homme, et d'un homme tel que Descartes; ses

actions et ses discours, dans cette dernière circonstance, sont si propres à manifester ses véritables sentimens, que nous croyons devoir joindre à la relation précédente de la mort de Descartes, une autre relation curieuse et singulière. L'anteur est la nièce même de Descartes, l'une des personnes de son sexe qui ont le plus contribué, par leur ésprit et leur savoir, à illustrer le siècle de Louis XIV. Cette pièce, qui est écrité en prose et en vers, se lit dans un recueil de poésies publié par le P. Bouhours, en 1693.

«Ha passé par la ville de Rennes, dit Mille Des«< cartes, un vieillard, qui, sachant que j'étois « nièce du philosophe Descartes, m'embrassa de « bon cœur, et me dit qu'il étoit à Stockholm « quand mon oncle mourut. C'est un ministre qui << alloit s'embarquer à Saint-Malo pour l'Angle<< terre. Il me parla tant de cette mort, que je < crois que c'est lui, à proprement parler, qui a << fait la relation que je vous envoie; car je tiens « de lui tout ce qu'elle renferme ».

Mile Descartes raconte, en vers, l'histoire du voyage de son oncle en Suède; elle observe ensuite qu'il donnoit ses leçons à la reine dans la bibliothèque de cette princesse, à cinq heures du matin, << temps, ajoute-t-elle, tout ensemble fort « honorable et fort incommode pour le philosophe, « né, comme il le disoit lui-même, dans les jar· < dins de la Touraine. Il y avoit un mois que eela « continuoit,

« continuoit, quand il se trouva saisi d'une grande <«< inflamination de poumon et d'une violente fièvre << qui occupoit le cerveau par intervalles. Il de<< meuroit chez M. Chanut, alors ambassadeur de « France. Ils s'appeloient frères, et il y avoit effec<< tivement entr'eux une amitié ancienne, sin« cère et fraternelle. M. Chanut accourut à la << chambre de son ami, avec les médecins de la « reine. Ils ne désespérèrent pas de le guérir; mais << le malade jugea qu'il étoit frappé à mort. Cette << pensée ne l'étonna point; au contraire, il se << disposa à ce grand passage avec un recueillement « d'esprit fort paisible. Le matin, il sentit de << grandes douleurs; mais, pendant plus d'une <«< heure, il n'en interrompit pas son silence à « la fin, on l'entendit soupirer et se plaindre. << Quand cela eut duré quelque temps, M. Chanut, «qui avoit passé la nuit auprès de lui, jugea à « propos de l'interrompre pour détourner l'ame << du malade de la pensée de ses douleurs; il s'ap« procha de lui, et, d'une voix basse et douce, il << lui dit : (Mlle. Descartes met en vers les paroles de M. Chanut; en voici quelques-uns.)

<< N'oublions jamais, mon cher frère,

« Que la douleur et la misère,
<< Du corps mortel que nous avons,
« Et de la terre où nous vivons,

<< Sont l'apanage nécessaire.

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« Rendons-le librement, et suivons sans murmure

«La conduite de la nature.

<«< Elle est bonne, elle est sage, et ses riches présens, « Comme ceux d'une bonne mère,

« Se répandant sur tous, se font goûter long-temps; » Et ses grands maux ne durent guère

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Mlle. Descartes fait converser ensemble, pendant assez long-temps, les deux amis, tantôt en vers, tantôt en prose, d'après les principes d'une philosophie toute divine. Nous remarquerons ces deux vers qu'elle met dans la bouche de Descartes:

« Ah! j'aurois donc vécu bien inutilement,
« Si je n'avois appris à mourir un moment ».

Nous voyons, dans la relation donnée par M. Baillet de la mort de Descartes, que les discours que Mile. Descartes met dans la bouche de son oncle et de M. Chanut, ne sont pas de pures fictions.

Mile. Descartes finit sa relation par ces paroles : « Un très-dévot religieux, qui servoit d'aumô<<nier à M. l'ambassadeur, s'étant approché, re« montra à Descartes que quoiqu'il se fût con<< fessé, et qu'il eût reçu son créateur depuis deux <«< jours, il étoit plus à propos d'employer le peu « de temps qui lui restoit à vivre, à des actes « de repentir de ses péchés, et d'espérance en << la miséricorde divine, qu'à des discours phi«losophiques : le malade obéit à l'instant; il dit

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