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même sujet (1). Nous aimons à croire qu'on ne sera pas fort éloigné de penser comme nous. On demeurera au moins convaincu que toute la partie haute et philosophique de la grammaire étoit parfaitement connue de Descartes, et qu'il avoit profondément inédité sur cet objet.

Voici comment s'explique, à ce sujet, M. Baillet. Il a fait voir, «qu'il possédoit la << grammaire de toutes les langues, non pas « en simple grammairien, mais comme un «'en « philosophe à qui il appartient proprement « de donner une grammaire générale et « raisonnée. Il en donna un essai suffisant « dans la réponse qu'il fit au P. Mersenne, « en 1629, sur le projet latin qu'un auteur « de ce temps-là proposoit d'une nouvelle « langue par le moyen de laquelle on pût « connoître toutes les langues du monde.

en l'ordre des choses, et il faudroit que tout le monde ne fût qu'un paradis terrestre, ce qui n'est bon à proposer que dans le pays des romans. Tome Ier. Lettre III.

(1) Euvres philosophiques, latines et françoises, de M. de Leibnitz, publiées par R. Raspe. Amsterdam 1765, page 535.

« Après

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« Après lui avoir fait remarquer les incon« véniens et l'impossibilité même d'une telle <<< langue, suivant les vues et les moyens de «< cet auteur, il lui substitua, sur-le-champ, « une autre invention d'une langue univer<«< selle, qui pourroit être enseignée en peu « de temps, soit pour la parler, soit pour « l'écrire seulement, en établissant un ordre << entre toutes les pensées qui peuvent entrer << dans l'esprit humain, de même qu'il s'en << trouve un naturellement établi entre les << nombres. C'est sur ce projet qu'il en avoit << tracé, que M. Wren, anglois, a donné un <«<essai de cette langue universelle, et que « quelques savans de France ont conçu de << semblables desseins (1) ».

Notre respect pour Leibnitz ne nous permet pas de dire et même de penser qu'il a pris dans la lettre citée de Descartes, l'idée et le plan de sa langue universelle; mais pour ne pas le dire et le penser, il faut que nous portions ce respect au plus haut point. Peut-être croira-t-on que dans cette universalité de talens que nous adjugeons à

(1) Vie de Descartes, page 485.

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Descartes, nous serions obligés d'excepter celui de la poésie. On se tromperoit : nous sommes fondés à soutenir qu'il auroit pu se distinguer encore dans cette partie. Il est vrai que la collection de ses ouvrages ne nous offre aucune pièce sur laquelle nous puissions asseoir un jugement; mais nous nous appuyons sur l'autorité de Baillet, non comme juge, (il ne seroit peut-être pas bien compétent) mais comme historien des jugemens qui en furent alors portés. Il existoit au temps de cet auteur, ainsi qu'il nous l'assure, une comédie (1) en prose et en vers, que Descartes avoit composée, en Suède, sur les instances de la reine, et une autre pièce de vers destinée à célébrer la paix de Munster. Cette princesse qui avoit, à l'occasion de cette fameuse paix, donné un bal superbe, et n'avoit pu obtenir de notre philosophe qu'il voulût y figurer, exigea, en forme de compensation, cette pièce. M. Baillet avoit appris des amis de Des

(1) Vie de Descartes, tome II, page 484, Baillet_dit: Nous avons cette comédie manuscrite.

cartes qu'elle << avoit fait une grande sen sation à la cour de Suède; que les vers « furent jugés d'une grande beauté, et <«< qu'ils étonnèrent d'autant plus, que l'i<«<magination et le génie poétique de Des«< cartes sembloient avoir dû être depuis « long-temps étouffés sous les épines de l'al« gèbre et des sciences les plus sombres qui « l'avoient occupé tout entier dès sa pre«mière jeunesse. Les fragmens qui nous « en restent, continue M. Baillet, nous font «juger qu'il auroit été plus heureux à met« tre en vers la philosophie, que ne l'ont été « Thalès, Xenophanes, Empédocle, Epi«cure, Cléanthe, parmi les Grecs, et Lu« crèce, Varron et Boëce, parmi les La« tins (1) ».

Mais dans ce que nous allons ajouter pour achever de faire connoître l'universalité, aussi bien que l'éminence des talens de Descartes, nous ne serons point réduits à former des présomptions ou à invoquer des témoignages; c'est de ses oeuvres mêmes,

(1) Vie, tome II, page 395.

qui sont entre nos mains, que nous tirerons la preuve qu'il auroit excellé dans le barreau. Il eut un procès à soutenir contre les Voëtius, père et fils, et pour sa défense il composa, en latin, un mémoire apologétique qu'il présenta aux magistrats d'Utrecht. Ce mémoire, qui est imprimé dans le 5°. volume de ses Lettres, nous ne craignons point de le dire, est un chef-d'oeuvre dans son genre, et auroit honoré l'homme de loi le plus consommé. Mais ce n'est pas seulement à discuter parfaitement une affaire, et à la présenter sous le jour le plus favorable, que Descartes auroit été propre; il étoit né véritablement éloquent, et il auroit pu remplir le rôle d'un grand orateur dans toute la force du terme (1).

(1) Il avoit été violemment attaqué par Voëtius dans la partie la plus sensible de son honneur: il crut devoir prendre l'offensive, dans la vue d'affoiblir l'autorité de cet accusateur et de décréditer son témoignage. Jamais adversairė ne fut plus vigoureusement attaqué, ni plus vivement poursuivi. Il ne lui laisse, pour ainsi dire, ni le temps ni la faculté de respirer. Les différens écrits qu'il publia contre çe fougueux ministre, sont tous réunis dans une lettre latine divisée en dix parties. Cette pièce, qui n'est point entrée

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