Page images
PDF
EPUB

Descartes eût une habitude semblable, et qu'il accompagnat toujours de quelques démonstrations sensibles de respect, la prononciation du nom de Dieu; mais nous n'en sommes pas moins assurés qu'il portoit aussi loin, et peut-être encore plus loin que Newton, le respect pour Dieu. Nous en trouvons la preuve dans son langage. Telle étoit l'idée qu'il avoit conçue de la grandeur de Dieu de sa puissance, de son indépendance, de sa sagesse, qu'il vouloit que le mot d'infini ne fût jamais appliqué qu'à lui seul, qu'il ne fût employé que pour lui seul, qu'on ne se permît pas même de dire que la matière est divisible à l'infini; et enfin, il ne parloit de l'infini qu'avec une circonspection sans' bornes. « Je n'ai jamais traité de l'infini, écri«voit-il, (Lett. LIII, tom. II.) que pour me sou«<<mettre à lui, et non point pour déterminer ce «qu'il est ou ce qu'il n'est pas ».

Dans le sentiment profond de la toute-puissance de Dieu, il ne vouloit pas qu'on dit d'aucune chose qu'elle fût impossible à Dieu, qu'on dit que les essences sont indépendantes de la volonté de Dieu, qu'on se permît de vouloir pénétrer dans les fins ultérieures de Dieu; enfin, s'il étoit possible de porter jusqu'à un véritable excès la vénération de Dieu et l'idée de sa puissance, Descartes seroit coupable de cet excès; et s'il est tombé dans quelque erreur en métaphysique, c'est son extrême respect pour Dieu qui l'y a poussé. Ce qui éton

nera peut-être, c'est que Bayle, ainsi qu'on le verra dans le cours de notre ouvrage, n'a pas été éloigné d'adopter, sur ce point, le sentiment et le langage de Descartes.

En 1644, Descartes fit le voyage de Paris; il n'y séjourna que quelques jours. Dans ce court espace de temps, il fut accablé d'affaires, ainsi que de visites; et cependant on remarque qu'il vit trèsfréquemment les Théatins, nouvellement établis à Paris, qu'il contracta avec plusieurs de ces saints religieux une amitié particulière, et qu'il entendit presque tous les jours la messe dans leur chapelle. Assurément, aucune considération purement humaine, aucun motif d'intérêt ne pouvoit commander à Descartes des démarches et des actes semblables. (Baillet, p. 244.) La piété seule peut en avoir été le principe; et il ne faudroit point d'autres preuves que ce fait, pour convaincre les plus incrédules qu'au moins, dans les dernières années de sa vie, Descartes joignoît à une religion profonde une tendre piété.

[ocr errors]

་་་

Nous prendrons occasion du trait que nous venons de citer, pour observer que Descartes, dans les séjours qu'il avoit faits à Paris en différens temps, voyoit fréquemment le cardinal de Bérulle et les principaux membres de l'Oratoire, tels que les PP. de Condren, Gibieuf, etc.; c'est même à ce cardinal qu'il avoit confié le soin de sa conscience; du moins M. Baillet, à l'occasion de la

mort de M. de Bérulle, nous dit

que

M. Descartes perdit dans sa personne un excellent directeur, ce qui ne peut s'entendre que d'un directeur de sa conscience; car assurément le cardinal n'étoit point le directeur de ses études; et il ajoute que Descartes, après la mort de M. de Bérulle, «eut «la satisfaction de trouver de ses disciples, aux

"

mains desquels il put confier la direction de sa « conscience pendant tout le temps de son séjour « en Hollande ». Il cite ailleurs le prêtre de l'Oratoire qui en étoit effectivement chargé.

Nous dirons encore que Descartes étoit étroitement lié avec d'autres prêtres catholiques qui remplissoient la fonction de missionnaires apostoliques (1).

(1) Quelques-uns d'eux ayant été inquiétés par le gouvernement, il s'intéressa vivement en leur faveur. « Je vous « recommande, écriyoit-il à un ami qui pouvoit beaucoup « auprès du prince d'Orange, deux prêtres qui ont une re

[ocr errors]

quête à présenter à son altesse. Je crois les avoir assez fré<«<quentés pour assurer qu'ils ne sont point de ces hommes «< simples qui se persuadent qu'on ne peut être bon catholique, « qu'en favorisant le parti du roi qu'on nomme catholique, << ni de ces séditieux qui le persuadent aux simples, et qu'ils « ont pour cela trop de bon sens, et connoissent trop bien les <«< maximes de la bonne morale..... Si on leur impute ce crime d'être papistes, je veux dire de recevoir leur mission du «pape, et de le reconnoître de la même manière que font les <«< catholiques de France et de tous les autres pays où il y'a « des catholiques, sans que cela donne de jalousie aux sou

[ocr errors]

Enfin, ajoutons aux traits précédens, qui prou vent la sincère piété de Descartes, et sa fidélité à remplir tous les devoirs de la religion chrétienne, que, lorsqu'il apprenoit que ses amis étoient malades, il sollicitoit auprès de Dieu le rétablissement de leur santé ; et s'ils mouroient, il prioit pour le repos dé leurs ames. C'est lui qui nous l'apprend dans la LI. lettre du second volume.

Descartes quitta bientôt Paris qu'il ne devoit plus revoir, et rentra dans sa chère solitude d'Eg

<< verains qui y commandent, c'est un crime commun et es« sentiel à ceux de leur profession. Vous trouverez peut-être « étonnant que je vous écrive sur cette affaire, principale, « ment si vous savez que je le fais de mon propre mouve« mént, sans que ces deux prêtres m'en aient requis; mais je « vous dirai qu'outre l'estime très-particulière que je fais d'eux, « et le désir que j'ai de les servir, je considère aussi en cela « mon propre intérêt ; car il én est en France, parmi mes fai4 seurs d'objections; qui me reprochent la demeure dans ce « pays, à cause que l'exercice de ma religion n'y est pas << libre; ils disent même qu'en cela je ne suis pas aussi excu→ sable que ceux qui portent les armes pour la défense de cet « Etat, parce que les intérêts en sont joints à ceux de la « France, au lieu, que je pourrois faire partout ailleurs ca « que je fais ici. A quoi je n'ai rien de mieux à répondre, « sinon qu'ayant ici la libre fréquentation et l'amitié de quel«ques ecclésiastiques, je ne sens point que ma conscience « soit gênée. Mais si ces ecclésiastiques étoient estimés couapables, je n'espère pas en trouver d'autres plus innocens «. dans le pays, ni dont la fréquentation me soit plus per« mise ». (Lett. XXXI, tom. II.) all v

[ocr errors]

mont, pour y reprendre ses occupations ordinaires. L'arrivée à Amsterdam de son intime ami, M. Chanut, qui étoit envoyé de la cour de France à celle de Suède, l'obligea d'en sortir, au moins pendant quelques jours, et nous a procuré un témoignage de sa religion et de son zèle, vraiment précieux. M. Chanut avoit à sa suite M. Porlier, homme de lettres fort estimable, et très-eimpressé de faire la connoissance de notre philosophe, Ce yoyageur ne négligea rien pour s'instruire de la conduite, et surtout des sentimens religieux de Descartes. La Providence le servit très bien; elle lui procura la connoissance d'un François qui devoit faire le voyage de Stockholm dans la compagnie de l'envoyé de France, et envoye de France, et qui avoit be avoit beaucoup vu Descartes dans différens lieux de son séjour en Hollande.

[ocr errors]

M. Porlier lui ayant demandé, sans paroître mettre beaucoup d'intérêt à sa question, ce qu'il pensoit de M. Descartes, ce François lui répondit, sans hésiter, que M. Descartes « étoit un homme «plein de religion, d'une grande droiture de « cœur, généreux dans ses aumônes, exact ct «'exemplaire dans les exercices de sa religion « édifiant les protestans, et, en général, faisant « dans toute la Hollande, beaucoup d'honneur à « l'église romaine ». M. Porlier fut intérieurement ravi d'apprendre que les calomnies qu'on avoit répandues contre la religion de Descartes, jusque

[ocr errors]
« PreviousContinue »