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propre à les faire rentrer en eux-mêmes, qu'en << suscitant un homme qui avoit toutes les qualités << que ces sortes de gens pouvoient désirer, pour << rabattre leur présomption, et les forcer au moins « d'entrer dans de justes défiances de leurs pré<«<< tendues lumières ; une grandeur d'esprit tout<< à-fait extraordinaire dans les sciences les plus << abstraites; une application à la seule philoso→ «phie, ce qui ne leur est point suspect; une pro«fession ouverte de se dépouiller de tous les préjugés communs, ce qui est fort à leur goût; et << qui, par-là même, a trouvé moyen de convaincre « les plus incrédules, pourvu qu'ils veuillent seu<«<lement ouvrir les yeux à la lumière qu'on leur « présente, qu'il n'y a rien de plus contraire à la << raison que de vouloir que la dissolution de notre « corps, qui n'est autre chose que le dérangement << de quelques parties de la matière qui le com<< pose, soit l'extinction de notre ame? Et comment « a-t-il trouvé cela? En établissant par des prin»cipes clairs, et uniquement fondés sur les notions «naturelles dont tout homme de bon sens doit << convenir, que l'ame et le corps, c'est-à-dire, ce <<< qui pense et ce qui est étendu, sont deux sub<< stances totalement distinctes; de sorte qu'on ne << sauroit concevoir, ni que l'étendue soit une modification de la substance qui pense, ni que pensée soit une modification de la substance << étendue. Cela seul étant bien prouvé (comme il

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« l'est très-bien dans les Méditations de M. Des<< cartes), il n'y a point de libertin qui ait l'esprit <«< juste, qui puisse demeurer persuadé que nos <<< ames meurent avec nos corps ». (Lett. DI.) (1).

(1) On sait que Descartes avoit provoqué de toute part des objections contre le livre des Méditations, dans le dessein de fournir de plus grands éclaircissemens sur un sujet en même temps si important et si difficile. Le P. Mersenne avoit invité les docteurs de la faculté de théologie de Paris à entrer dans les vues de M. Descartes. M. Arnauld, qui n'étoit encore qu'un jeune docteur, fut le seul qui se rendit à cette invitation: ses objections, qui tiennent le quatrième rang dans le livre des Méditations, furent très-bien accueillies de Descartes; il y répondit avec soin, et avec des marques d'une estime distinguée pour leur auteur. Il paroît que M. Arnauld fut satisfait de ces réponses, et il se montra, jusqu'à la fin de sa vie, un zélé défenseur des Méditations.

Nous avons sur ce point important le témoignage positif du P. Mersenne, dans sa lettre à Voëtius, imprimée dans le premier volume des Lettres. Voici d'abord quelques traits de cette lettre, qui montrent quelle opinion avoit conçue le P. Mersenne de la religion de Descartes. «C'est moi, dit-il à « Voëtius, qui lui ai proposé les secondes et les sixièmes « objections; et j'ai été ravi en admiration, de voir qu'un « homme qui n'a point étudié en théologie y ait répondu si << pertinemment. En relisant encore les six Méditations, et les « réponses qu'il a faites aux quatrièmes objections qui sont << très - subtiles, j'ai cru que Dieu avoit mis en ce grand « homme une lumière toute particulière, et si conforme à « l'esprit et à la doctrine du grand saint Augustin, que je re<«< marque presque les mêmes choses dans les écrits de l'un que « dans les écrits de l'autre..... Je vois que, dans toutes ses ré

Nous

Nous avons dit plus haut que la conscience seule avoit engagé Descartes à publier ses Méditations. Mais nous devons ajouter que ces Méditations n'étoient point, pour Descartes, des spéculations sèches et purement métaphysiques; elles étoient des méditations proprement dites, dans toute la rigueur du langage ecclésiastique, c'est-à-dire, qu'elles aboutissoient en lui aux actes les plus profonds d'admiration, d'adoration et d'amour de la divinité.

On n'a point assez remarqué la manière dont Descartes termine sa troisième Méditation sur l'existence de Dieu. Rien cependant de plus remarquable et de plus édifiant. Il avertit qu'il ne pousse pas plus loin dans le moment ses recherches sur Dieu, ainsi que les conséquences qu'on doit tirer de ces recherches, et qu'il s'arrête : mais pourquoi s'arrêté-t-il ? « Il me semble très à « propos, dit-il, de m'arrêter quelque temps à la « contemplation de ce Dieu tout parfait, de peser

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« ponses, il est si ferme sur ses principes, et, de plus, il est « si chrétien, il inspire si doucement l'amour de Dieu, que « je ne puis me persuader que sa philosophie ne tourne un « jour au bien et à l'ornement de la vraie religion.

« Je demandai dernièrement à l'auteur des quatrièmes ob« jections (M. Arnauld), qui est un des plus subtils philoso« phes, et l'un des plus grands théologiens de la faculté de « theologie, s'il n'avoit rien à répartir aux réponses qui lui avoient été faites par M. Descartes. Il me répondit que « nôn, et qu'il se tenoit pleinement satisfait ».

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tout à loisir ses merveilleux attributs, de con«sidérer, d'admirer, et d'adorer l'incomparable >> beauté de cette immense lumière, au moins au« tant que la force de mon esprit, qui en demeure <«<< en quelque sorte ébloui, me le pourra per

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« mettre ».

Il ajouté aussitôt : « Comme la foi nous apprend que la souveraine félicité de l'autre vie ne con<< siste que dans cette contemplation de la majesté « divine, ainsi expérimentons-nous, dès à pré«sent, qu'une semblable méditation, quoique « incomparablement moins parfaite, nous fait jouir <«<du plus grand contentement que nous soyons << capables de ressentir en cette vie ».

Voilà donc Descartes qui nous enseigne, et qui reconnoît d'après sa propre expérience, que c'est dans la contemplation de Dieu qu'on goûte la plus douce satisfaction dont on puisse jouir sur la terre, ou, en d'autres termes, que consiste le souverain bien de cette vie.

Apparemment ce trait, et d'autres semblables, semés dans les écrits de Descartes, avoient frappé M. Thomas, auteur de son Eloge : et c'est d'après l'impression qu'ils avoient faite sur son ame, qu'est tombé de sa plume ce morceau qui honore également son esprit et sa religion.

<< Celui qui, à l'exemple de Descartes, est sans «cesse occupé à méditer sur l'éternité, sur le << temps, sur l'espace, ne doit-il pas contracter,

& comme Descartes, une habitude de grandeur « qui, de son esprit, passe à son ame? Celui qui, « mesure la distance des astres, et voit Dieu au« delà; celui qui se transporte dans le soleil ou « dans Saturne, pour y voir l'espace qu'occupe la « terre, et qui cherche alors vainement ce point « égaré comme un sable à travers les mondes, re« viendra-t-il sur ce grain de poussière, pour y « flatter, pour y ramper, pour y disputer où quelques honneurs ou quelques richesses? Non,, « il vit avec Dieu et avec la nature. Il abandonne << aux hommes les objets de leurs passions, et pour« suit le cours de ses pensées, qui suivent le cours

de l'univers. Il s'applique à mettre dans son ame «<l'ordre qu'il contemple, ou plutôt son ame se « monte insensiblement au ton de cette grande

harmonie.... Plein de respect, comme Newton, << pour la divinité, comme lui fidèle à la religion, « Descartes aime à s'occuper dans la retraite, et « avec ses amis, de l'idée de Dieu. Malheur à celur « qui ne trouveroit pas, dans cette idée si grande, <«<et si consolante, les plus doux momens de sa » vie » !

M. Thomas vient de parler du respect de Newton pour la divinité. On sait effectivement, et Voltaire nous dit l'avoir appris de Clarke, que ce grand homme ne prononçoit jamais le nom de Dieu, sans donner quelques marques extérieures de respect. Nous n'avons point appris, il est vrai, que

Na

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