Page images
PDF
EPUB

cinquante-quatre ans, c'est-à-dire, à l'âge où l'esprit commence à être dans sa parfaite maturité et dans sa plus grande force, et que s'il eût, comme Newton, vécu trente ans de plus, sa philosophie auroit reçu des réformes, des éclaircissemens, des développemens, des accroissemens, qui nous la feroient voir sous une autre face.

Mais nous répondrons avec l'auteur de l'Anti-Lucrèce, défendant la cause de Des

cartes :

«<Descartes a laissé, sans doute, quelque « chose à réformer; nous en convenons : un « seul homme ne peut pas tout. Le temps nous «< instruit; le siècle qui suit perfectionne les <«< connoissances de celui qui précède : des << recherches poursuivies pendant plus long<< temps, amènent de nouvelles découvertes. « Après tout, le soleil lui-même a ses taches; « il est quelquefois éclipsé par la lune; souvent «< il est voilé par de sombres nuages: mais << en est-il moins alors le père de la lumière? « n'est-il pas toujours le soleil »>?

Hie aliis nonnulla quidem emendanda reliquit ;
Idque lubens fateor, non omnes omnia possunt.

L

Erudit ipsa dies, ætatem corrigit ætas ;

Et nova monstrantur studio quæsita per annos.
Sol patitur maculas, lunâ occultatur opacâ
Interdum, sæpe et velatur nubibus atris ;
Usque tamen lucis pater est, manet interea sol.

Oui, Descartes avec ses taches n'en est pas moins le père de la lumière. C'est à la clarté de la lumière qu'il a répandue, et dans la route qu'il a découverte, que marcheront, jusqu'à la fin, les hommes qui suivent la carrière philosophique.

Oui, Descartes avec les erreurs dans les quelles il est tombé, parce qu'il étoit un homme et non pas un ange, n'en est pas moins un des génies les plus vastes, les plus pénétrans, les plus vigoureux qui aient paru depuis l'origine du monde. Il a honoré l'es pèce humaine : il a particulièrement honoré sa patrie, qui se glorifiera éternellement de lui avoir donné la naissance. Leibnitz, son émule, mérite bien d'en être cru, lorsqu'il nous assure que toutes les louanges des hommes suffiroient à peine pour célébrer dignement la grandeur de son génie. Nous avons déjà vu qu'il l'appelle virum ingenii magnitudine laudes propè supergressum.

Mais prêtons en ce moment l'oreille à l'illustre et savant cardinal de Polignac, célébrant la gloire de Descartes en vers magnifiques, et assignant le rang qui lui convient dans l'empire des sciences.

« De quel nom appellerai-je ce génie de <«< la nature, l'honneur de sa patrie et des << siècles derniers, Descartes, à qui la France « se fera gloire à jamais d'avoir donné le « jour? Elle a vu sortir de son sein une foule « d'hommes savans dans tous les genres, et « de grands capitaines; mais elle en perdra « le souvenir avant d'oublier ce guide excel→ <«<lent, cet homme extraordinaire qui a pé«nétré plus avant que tout autre dans le << sanctuaire de la vérité, et nous a découvert « la route, qui seule peut y conduire. C'est « à lui qu'elle doit l'honneur qu'elle a de << pouvoir disputer la palme du génie à la « Grèce, toute fière qu'est cette partie du << monde d'avoir produit Pythagore, Aristote << et Platon, et quoique ce lui soit déjà une assez « grande gloire d'avoir enfanté Socrate ». Quo nomine dicam

Naturæ genium, patriæ decus, ac decus ævi

Cartesium nostri, quo se jactavit alumno

Gallia foeta viris, ac duplicis arte Minervæ ;
Ante suos tacitura duces ac fulmina belli,

Quàm veri auctorem eximium, mentisque regendæ :
Ingenio magnis nec decessura Pelasgis;

Quanquam ea gens et Aristotelem, diumque Platona,
Pythagoramque tulit, satis uno Socrate dives?

Que tous les philosophes de cet âge, que ceux qui sont encore dignes de ce beau nom, ainsi que ceux qui le profanent, trouvent bon que nous leur proposions pour modèle la sagesse et la religion de Descartes que ceux qui osent dire ou penser que la foi chrétienne est inconciliable avec la grandeur du génie, soient à jamais confondus par l'exemple de ce grand homme. Y eut-il jamais de génie plus hardi, et qui ait attaqué les préjugés régnans avec plus de courage et de force. Il renversa tout l'édifice de la philosophie, si ancien et si révéré, pour en élever un autre où tout étoit nouveau depuis les fondemens jusqu'au comble. Et cependant ce philosophe respecta souverainement la religion. Ce qui le flattoit le plus dans sa philosophie, c'est qu'il la croyoit plus propre que toute autre à servir la religion; et loin d'avoir ja

mais voulu porter à la religion la plus légère atteinte, il crut constamment à la vérité de ses dogmes, et se conforma dans sa conquite aux règles de sa morale, avec autant de docilité et d'humilité que les plus simples fidèles. Il déclare qu'il croit très-fermement l'infaillibilité de l'Eglise il regarde comme très-évident, et il le répète dans toutes les occasions qui se présentent, qu'il faut croire les choses que Dieu a révélées, et préférer les lumières de la grâce à celles de la nature. (Lettres, tome II, pages 130, 275, etc.)

Que tous les philosophes trouvent bon encore que nous leur remettions sous les yeux une remontrance qui leur fut adressée, en 1765, par l'un des auteurs qui concoururent avec distinction pour l'éloge de Descartes, l'abbé de Gourcy.

<< Descartes, qui avoit pénétré plus avant « que personne dans le sanctuaire de la na« ture, sentoit aussi, mieux que personne, «< toute la majesté de son auteur. Avec quelle << dignité, avec quel respect, quelle religieuse << frayeur ne s'en expliquoit-il pas? Jamais

« PreviousContinue »