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« les idées religieuses, tous vos pas ont été « des crimes.... Frappé de l'immoralité pro« fonde d'une génération, où l'on a vu pour «< la première fois peut-être l'alliage des pas«sions impétueuses des sauvages et de la « dépravation de l'homme policé, je me suis << souvent dit : Quels sont ces principes qui... «< ont scélératisé tant de têtes? et j'ai cru re« marquer, dans les atteintes portées à la « spiritualité de l'homme, la naissance de «< cet esprit infernal qui provoque tant de « scènes de carnage et de deuil.... Funeste « philosophie, qui n'a cherché qu'à anima«liser l'homme, c'est toi qui as formé le « calus sur l'ame de tous nos égorgeurs ; et <«ils ont cessé d'être hommes: car je ne les «ai pas encore entendus s'écrier avec la voix «durepentir: Nous avons été des monstres ». ? Ces réflexions sont fortes; mais ne sontelles pas bien fondées? Quoi qu'il en soit, -voilà pour autoriser ceux qui croient que tous -les crimes de la révolution sont nés de la nouvelle philosophie, un juge et un témoin, dont il seroit assez difficile de contester la compétence et de récuser le témoignage.

Mais si le matérialisme est une erreur si monstrueuse, si fatale au genre humain ; si la spiritualité ou la simplicité de l'ame est, après le dogme de l'existence de Dieu, le plus précieux et le plus nécessaire de tous les dogmes, comment notre auteur n'a-t-il pas tenu le plus grand compte à Descartes d'avoir fabriqué des armes, à la faveur desquelles on pourra dans tous les temps terrasser le matérialisme, et d'avoir été celui de tous les hommes, je ne dis pas, comme plusieurs savans auteurs, qui le premier ait démontré rigoureusement, mais celui qui a prouvé le plus clairement la distinction qui existe entre l'ame et le corps? Comment a-t-il pu se dissimuler encore que Descartes avoit fourni au genre humain de nouvelles preuves de l'existence de Dieu? Ainsi, puisque l'existence de Dieu et l'immortalité de l'ame sont les deux grands fondemens de la morale, et par conséquent de la paix et du bonheur parmi les hommes, celui qui a affermi ces deux fondemens, qui les a rendus inébranlables, de quelle reconnoissance ne doit-il pas être digne à ses yeux? Le genre humain

pourroit-il lui décerner une récompense trop honorable?

M. Mercier reproche encore à Descartes de n'avoir point fait intervenir assez fréquemment la divinité, et de ne point l'adorer dans ses écrits, comme Newton l'adore dans les siens. Cette plainte est édifiante; mais estelle juste? M.Mercierne se souvenoit donc pas les Méditations de Descartes étoient dans l'estime de ce grand homme, le plus important de ses ouvrages, celui qui étoit le plus cher à son coeur, et que, dans cet ouvrage admirable, tout tend à prouver l'existence de Dieu et la spiritualité de l'ame?

que

Terminons enfin cet article, et disons qu'il soit vrai, ainsi que le prétend l'auteur du discours, qu'on ne devoit ouvrir les portes du Panthéon qu'aux personnages qui ont rendu des services éclatans dans l'ordre civil et militaire, et qu'elles devoient en général être fermées à tous ceux qui ne présenteroient, pour y être introduits, que des titres purement littéraires, des services rendus seulement à la république des lettres: «qu'en «< particulier on ait eu grand tort, comme il

& prétend encore, de les ouvrir à ce grand « poète, à ce grand corrupteur qui flatta tous « les rois, tous les grands, tous les vices de « son siècle; qui, dans le misérable roman « de Candide, attaqua le dogme consolateur « de la Providence, et qui nous a légué, avec « un pyrrhonisme honteux, cette légèreté «< cruelle qui nous fait glisser sur les vertus «< comme sur les forfaits » (on voit bien qu'il s'agit de Voltaire); c'est ce que nous n'examinons point dans ce moment.

Mais qu'on ait soutenu qu'il falloit refuser ce qu'on appelle les honneurs du Panthéon à Descartes, non pas précisément parce qu'il avoit seulement servi les sciences, mais parce que, dans le fait, il ne leur avoit rendu aucun service, qu'au contraire il en avoit arrêté les progrès; c'est un travers incroyable. Et cel qui met le comble à l'étonnement, et doit jeter les hommes de lettres dans une véritable stupeur, c'est que le discours de M. Mercier, discours si injurieux à Descartes, et qui tend à enlever à la nation françoise son principal ornement, ait été accueilli par une Assemblée nationale et imprimé par son ordre,

sans même qu'elle en ait été détournée par la flétrissure que l'auteur y imprimoit à Voltaire, qui étoit pourtant avec Rousseau sa principale idole; c'est que ce discours ait entraîné les suffrages, et fait supprimer les honneurs qu'avoit décerné à Descartes une assemblée précédente, où dominoient cependant ce qu'on appelle les Vandales.

Mais c'est assez nous occuper de l'outrage fait à la philosophie et aux sciences dans la personne de Descartes. Tirons un voile épais sur un trait si odieux, si peu honorable à notre nation, et enveloppons-le avec tant d'autres, encore plus dignes d'un profond oubli.

Il est temps de finir un Discours peut-être déjà trop long; terminons-le par un aveu franc et nécessaire, qui devroit suffire aux détracteurs de notre philosophe :

Nous convenons qu'il a échappé des erreurs à Descartes, et qu'en général sa philosophie n'a point été exempte d'imperfections.

Mais nous observons, ce qui n'a peut-être point été fait, du moins assez fréquemment, que Descartes nous a été enlevé à l'âge de cinquante

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