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« présenter au nom de la commission, il se « couvriroit d'ignominie ».

Cependant le projet fut rejeté : M. Mercier l'emporta, et il n'a plus été question des cendres de Descartes (1).

(1) Nos lecteurs désirent sans doute savoir ce qu'est devenu le corps de Descartes; nous allons satisfaire une aussi juste

curiosité.

Lorsque l'église de sainte Geneviève, où l'on sait qu'avoit d'abord été placé cé précieux dépôt, fut transformée en un atelier pour le service du Panthéon, l'administrateur du Musée des monumens françois, M. Lenoir, demanda à la Convention nationale qu'il lui fût permis de transférer au Musée les cendres de ce grand homme. L'assemblée fit droit à sa demande. Il avoit d'abord renfermé ces cendres dans une urne de porphyre qui avoit appartenu au célèbre M. de Caylus, et qui servoit de cénotaphe sur son tombeau ; mais ce vase ayant été réclamé par l'administration du Musée Napoléon, comme objet d'antiquité, M. Lenoir fit faire, sur ses propres dessins, un sarcophage en pierre, et y plaça les cendres de Descartes. Ce monument est aujourd'hui en plein air dans la cour du Musée ; et c'est-là que les restes du corps de Descartes attendent de la reconnoissance et du bon esprit de sa nation, qu'ils soient confiés à un tombeau plus magnifique, et transférés dans un édifice sacré.

Le département d'Indre et Loire, dans lequel est située la Haye, en Touraine, lieu de la naissance de Descartes avoit demandé qu'on lui en cédât les restes. Le gouvernement n'acquiesca point à cette demandé; et M. le général Pominereul, préfet du département, dans un discours prononcé

L'Assemblée nationale s'est-elle couverte d'ignominie, comme l'annonçoit M. Chénier? ce n'est point à nous, c'est au public

peu de temps après, a su faire tourner ce refus à la gloire de Descartes. « Les consuls, dit-il, ont, par le motif de leur « refus, ajouté le dernier fleuron qui manquoit à la cou<< ronne de Descartes, et consolé ses mânes: ils ont consi« déré ces restes précieux, non- seulement comme unë « propriété nationale, mais encore comme une décoration « nécessaire à l'éclat du siége des premières autorités de la « république ».

;

Le ministre de l'intérieur, au lieu des cendres, avoit envoyé le buste de Descartes à la Haye, en Touraine, et l'inauguration de ce buste se fit avec une grande solennité, le 10 vendémiaire an 11 de la république. Le journal de ce départément a rendu un compte intéressant dé cette cérémonie ; il y est dit que le buste fut placé dans la chambre où naquit Descartes, par M. le préfet du département, et que ce magistrat avoit terminé la station qu'avoit faite le cortège près l'autel de la patrie, par l'éloge de ce grand homme. Le buste, qui avoit d'abord été déposé dans la maison commune, fut porté dans la chambre par des vieillards, précédé et suivi par un groupe d'enfans, et entouré de Mme. de Marcé, arrière-petite- nièce de Descartes, ses enfans et petits-enfans.

« Mme. de Marcé, est-il dit dans une note du discours, « descend, par les femmes, du frère de Descartes. La fa<< mille du nom Descartes s'est éteinte dans Mme. la présidente Le Prêtre de Châteaugiron, née Descartes, et son dernier « rejeton ».

que

à le décider. Nous nous contentons de dire cette conduite n'a pu jeter aucune défaveur sur Descartes; que la gloire essentielle de ce philosophe est au-dessus de toute atteinte; qu'en l'attaquant ou en la méconnoissant, on ne peut pas déshonorer Descartes, on ne peut que se déshonorer soi-même. Nous observons encore, qu'il y auroit de l'injustice à imputer à la nation françoise, ce qui n'est que le fait d'une Assemblée nationale, c'est-à-dire d'un très-petit nombre de François.

Il est temps de faire les réflexions que nous avons promises sur le discours que Mercier prononça dans cette circonstance. Ce discours n'est guère qu'une invective contre la mémoire de Descartes, également violente et injuste. Le but auquel l'auteur tendoit, et où il parvint, est peut-être le plus grand scandale qui ait été donné dans la république des lettres. M. Mercier confesse qu'il a fait dans sa jeunesse un éloge de Descartes, et que cet éloge fut imprimé en 1765; c'est l'année où l'Académie françoise avoit proposé, pour sujet du prix, l'éloge de

Descartes. Apparemment le discours de Mercier concourut avec les autres: mais il n'obtint ni le prix ni l'accessit. Le regret d'avoir infructueusement loué Descartes, au lieu de se tourner uniquement contre les juges, peutêtre injustes, se seroit-il encore tourné contre Descartes lui-même? Cela seroit bien étonnant et bien inconséquent. Mais enfin il faut cependant une cause d'une si étrange variation. «<L'auteur dit bien qu'il étoit alors «< dupe des noms prônés dans les académies, «<et qu'il ne savoit pas encore que les plus « grands charlatans du monde ont été quelaquefois les hommes les plus célèbres ». Mais la gloire de Descartes éclatoit dans toute l'Europe avant même qu'il y eût des académies; et ce philosophe régnoit dans les écoles, avant que les académies fussent dans l'usage de proposer des prix. Descartes n'a donc point été célèbre parce qu'il a été prôné dans les académies, mais les académies l'ont prôné parce qu'il étoit célèbre. Quand M. Mercier composa l'éloge de Descartes, sans doute il le fit avec quelque connoissance de cause: il avoit étudié auparavant, et sa vie et ses oeu

vres; comment donc tous ces foibles, tous ces travers, tous ces ridicules qui composent, si on l'en croit, la somme de la philosophie de Descartes, échappèrent-ils alors à ses regards perçans? Comment peut-il se flatter de voir mieux quand il voit seul, que quand il voyoit comme tout le monde? En un mot, comment est-il arrivé que l'homme qui étoit, il n'y a qu'un moment, comparable aux plus grands philosophes, soit devenu tout à coup le plus grand des charlatans (1)?

(1) Voici quelques traits du discours de M. Mercier. II s'écrie en commençant : « O Descartes ! quand mon œil ob« serve la sublimité de ton vol, je conçois un nouveau res<< pect pour la profondeur de l'esprit humain. Je te lis, et je <«<< suis fier du nom d'homme; je médite avec toi, et mon être « s'agrandit.... Descartes médita beaucoup dans la solitude « où il s'étoit retiré..., C'est loin des mortels profanes ou fri« voles qu'il prépare cette flamme pure et sacrée dont il doit « éclairer le monde. Ainsi, dans les entrailles profondes de « la terre s'élaborent, dans un majestueux silence, ces mines « précieuses qui feront un jour les richesses et la splendeur « des Etats. Quel fut le fruit de ces méditations profondes ? «< 11 sut douter. Hommes frivoles, endormis dans la paresse « et dans le luxe, vous parlez au hasard, vous décidez avec « une orgueilleuse ignorance.... Soyez plus modestes en « voyant Descartes méditer long-temps, et douter encore. Il avoit quarante ans lorsqu'il livra le premier fruit de la ma

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