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l'avoir comblé, pendant sa vie, des marques d'estime et de confiance, il ne il ne tint pas à elle qu'il n'eût sa sépulture parmi les tombeaux des rois, et que ses cendres ne reposassent dans un mausolée superbe.

Ces observations prouvent au moins que si M. Chénier étoit alors bien convaincu et bien frappé du mérite extraordinaire de Descartes, il n'avoit pas bien présente à l'esprit son histoire: mais dans les discours prononcés alors, et le plus souvent improvisés, il ne faut point attendre d'exactitude historique; et nous aimions à ne voir dans le texte précédent qu'un défaut d'exactitude. Quoi qu'il en soit, il est toujours vrai que M. Chénier étoit parfaitement bien fondé dans le grand éloge qu'il fit de Descartes; que la proposition de placer ses ossemens dans le Panthéon, étoit vraiment digne d'un homme de lettres ; qu'elle intéressoit autant la gloire de la nation que celle de Descartes; et quelque malheureux qu'en ait été le succès, elle honorera toujours et le patriotisme et le zèle de celui qui en fut le premier auteur.,

La proposition de M. Chénier fut d'abord

accueillie. On décréta, le 2 octobre 1795, que les honneurs du Panthéon françois se roient accordés à Descartes, et que la Convention nationale toute entière assisteroit à la solennité.

« Ce décret (c'est l'observation faite en<<< suite par M. Chénier dans une autre cir<<< constance), ce décret formoit sans doute « un étrange contraste avec cette foule de «<lois révolutionnaires que les tyrans anar«< chistes commandoient à la nation captive « et décimée. Il ne pouvoit plaire à l'igno<<<<rance toute puissante qui avoit fait un crime « du génie... Aussi necessèrent-ils d'entraver

l'exécution d'un décret contre lequel, par « un reste de pudeur, ils n'avoient pas osé « s'élever publiquement ». Trois années s'écoulèrent sans qu'il fûtquestion de Descartes, et du décret qui ordonnoit la translation de ses cendres. On n'y pensoit plus, lorsque le Directoire exécutif proposa, par un message, que la translation eût lieu le 10 prairial, jour où devoit être célébrée la fête républicaine de la reconnoissance. Une commission fut nommée par l'Assemblée, et M. Chénier fut

encore l'organe de cette commission. Il fit, le 14 mai 1796, un discours qu'il termina par demander que, conformément à la proposition du Directoire, les cendres de Descartes fussent transférées au Panthéon, le 10 prairial; et au lieu de proposer que l'Assemblée nationale assistât en corps à la cérémonie, ainsi qu'il avoit été décrété, le 2 octobre 1793, il se borna à demander que le Directoire exécutif et l'Institut national y fussent présens.

Devoit-on s'attendre qu'un honneur qui réjaillissoit tout entier sur la république des lettres, et qui avoit été accordé sous le règne des Vandales, souffrît quelque opposition sous le règne de ceux qui sembloient faire profession de condamner le vandalisme? devoit-on s'attendre que le membre de cette Assemblée qui s'éleveroit contre la proposition de M. Chénier, et demanderoit que le décret qui ordonnoit la translation des cendres de Descartes fût rapporté, seroit un homme de lettres, et qui devoit principalement à cette qualité l'honneur de siéger dans le Corps législatif? M. Mercier, c'est

le nom de ce député, invectiva, avec beaucoup d'emportement, dans un long discours, contre la mémoire de Descartes, blâma les honneurs qui lui avoient été décernés, et demanda expressément le rapport du décret, qui ordonnoit la translation de ses ossemens au Panthéon. (Nous ferons dans un moment quelques réflexions sur ce discours.) Un ou deux députés seulement, Matthieu et Hardi, élevèrent la voix pour défendre la mémoire de Descartes; mais ils parurent bien plus touchés de cé que M. Mercier avoit dit incidemment de désavantageux à Voltaire, que du mépris qu'il avoit témoigné pour le philosophe françois. Ce qu'il y eut de trèssingulier, et de très-significatif en même temps, c'est la motion pleine de candeur d'un autre député, qui demanda que si le projet de décret pour la translation des cendres de Descartes étoit adopté, il fût inséré dans le considérant, que le projet a été adopté de confiance, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il fût dit que les députés ou l'Assemblée n'avoient d'autre garant du mérite extraordinaire attribué à Descartes, que

le

le témoignage du rapporteur et de la commission. Et dans le vrai, il y a beaucoup d'apparence que la plupart des membres de cette assemblée, financiers, négocians, agriculteurs, etc., très-habiles sans doute chacun dans leur genre, ignoroient pleinement le mérite et peut-être même le nom de Des

cartes.

On s'attend bien que M. Chénier ne garda point le silence dans cette conjoncture; mais les traits lancés par M. Mercier contre Voltaire avoient aussi excité toute sa sensibilité, et il employa à les repousser une partie des momens destinés à la défense de Descartes : il le défendit cependant avec courage, et il parla avec énergie. Il déclara « qu'il osoit «< espérer que le Corps législatif ne seroit pas <<< moins juste envers cet homme illustre, que « ne le furent les Vandales, sous le règne « desquels gémissoit la Convention; que le « Corps législatif compromettroit sa gloire et <<< la gloire nationale, s'il démentoit aujour« d'hui la promesse faite à la mémoire de « Descartes par la Convention nationale; « que s'il rejetoit le projet qu'il venoit de

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