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«nes, l'illustre Colomb, n'a pu être éclipsé << par les navigateurs qui ont trouvé les sour«ces de l'or, et conquis de vastes empires << dans un monde nouveau; mais leur gloire « se réfléchit sur celui qui leur en ouvrit <«<l'entrée. Ainsi Descartes a des droits légi<< times sur la réputation de ces génies rares, «qui ont fait des découvertes si étonnantes, << en suivant les routes qu'il leur avoit frayées; <et Newton, tout grand qu'il est par lui<< même, doit, j'ose le dire, faire hommage à <<<Descartes d'une partie de sa grandeur, et « lui céder la supériorité qu'un génie inven«teur obtient nécessairement sur ceux qui « viennent après lui.

« Descartes n'a trouvé ni encouragement, <«< ni secours, ni modèle; et sans doute l'exem<< ple trop frappant des Galilée et des Ramus « l'eût intimidé, si la timidité pouvoit entrer << dans l'ame d'un philosophe. Seul avec la « vérité foible et naissante, quelle hauteur de « courage! quelle force de génie! Seul il lutta

jusqu'au dernier soupir; seul il osa com<< battre son siècle, sa nation, et celle où il «< chercha vainement un asile. Ce n'est

que

<< dans le tombeau qu'il triomphe, et avec lui « la vérité. Newton, au milieu des acclama«<tions de ses contemporains, et même de sa « patrie, s'éleva dans des régions qu'aucun « mortel n'avoit reconnues avant lui, sou<< vent sur ses propres ailes, quelquefois sur «<les ailes des Descartes, des Pascal, des Hal«<ley, des Boyle, des Huygens et des Cas« sini. L'un eut le mérite d'un sage, il a joui « modestement de sa gloire; l'autre eut l'ame «< d'un héros. Nouvel Hercule, il dompta les « monstres qui défendoient l'entrée du tem« ple de la philosophie: son fortuné rival en « emporta les trésors. Descartes, avec les ar«< mes qu'il s'étoit faites lui-même, a vaincu << tous les philosophes. Newton a vaincu Des<< cartes, mais avec les armes de Descartes. << Descartes enfin a été Descartes sans Newton. « Qui osera dire que Newton eût été Newton << sans Descartes » ? (Eloge de Descartes, par M. l'abbé de Gourcy, pag. 26.)

Je ne peux résister à la tentation de citer encore sur le démêlé dont il s'agit, sur la question de la supériorité de nos deux grands philosophes, l'auteur d'un autre Eloge de

Descartes, qui obtint l'accessit, M. l'abbé Couanier-Deslandes. «De quoi dispute-t-on, « dit-il...? c'est opposer la grandeur de l'esprit « humain à elle-même ; c'est comparer le so«<leil au soleil, dans deux temps différens; « quand, de l'extrémité de l'horizon, mon<<< trant le sommet de son orbe, et cachant << encore le reste dans un amas brillant de << nuages enflammés, il chasse la nuit devant « lui; et quand, du haut des cieux, il inonde << les airs, la terre et les mers d'un déluge de « rayons. Ici, il fait sortir le mondedu néant, « il réjouit toute la nature; là, il répand par<< tout la chaleur et la vie par l'effusion de sa « lumière. François ! souscrirez-vous à l'aveu « que je fais? Le grand Newton a surpassé le << grand Descartes; mais c'étoit-là le seul «< moyen qui lui restât de l'égaler ». (P. 32.)

Le triomphede la philosophie de Descartes ne fut ni moins prompt ni moins complet en Allemagne et dans les régions du Nord, qu'il l'avoit été en Angleterre. La gloire du chef s'y soutint dans tout son éclat, jusqu'au temps où s'éleva dans ces contrées un puissant génie, digne d'être le rival de Descartes, qui

fonda lui-même une nouvelle secte, et paroît aujourd'hui avoir absorbé toute l'admiration de ses compatriotes. On voit bien que nous voulons parler de Leibnitz. Ce grand homme, si justement appelé le Platon de la Germanie, a peu innové dans la physique, et ne s'est pas beaucoup écarté dans cette partie des principes de Descartes ; il a même cru au plein et aux tourbillons jusqu'à la fin de sa carrière. Mais il a ouvert de nouvelles routes en géométrie; et sur l'ame, sur ses idées, sur son union avec le corps, sur la composition du continu, sur plusieurs autres points de la plus haute importance, il a eu des opinions vraiment neuves, et qui n'appartiennentni deprès ni de loin à la philosophie de Descartes. Les cartésiens lui reprochèrent de chercher à obscurcir la gloire de leur maître. Ce reproche étoit fondé; Leibnitz ne vouloit point être réputé un pur cartésien, et il répétoit souvent, non sans quelque fondement, que les disciples n'avoient rien ajouté à la doctrine du maître. Il craignoit que les esprits, trop préoccupés de l'immense grandeur de Descartes, nedonnassent point assez d'attention à ses propres

découvertes, et ne lui refusassent la portion de gloire à laquelle il avoit droit de prétendre. Mais tranchons le mot, et ne craignons point de le dire, puisqu'après tout Leibnitz étoit un homme : Leibnitz étoit jaloux de Descartes. Nous avons pour garant de ce fait, M. Eccard, son ami et son collaborateur dans l'Histoire de la Maison de Brunswick, qui le déclara en propres termes à M. l'abbé Conti (1), dans le voyage que celui-ci fit en Allemagne, peu de temps après la mort de Leibnitz (2).

Plein d'enthousiasme, comme sont tous les

(1) Œuvres de l'abbé Conti, tome II, page 41.

(2) Leibnitz a pourtant rendu de temps en temps, surtout dans les dernières années de sa vie, la justice la plus complète à Descartes. Il assure qu'il n'y a presque point de page dans ses écrits où l'on n'apprenne quelque chose d'utile et de nouveau. (Tome V, page 396.) Il le place dans le petit nombre de ces génies qui ont rendu au genre humain des serviees immortels, et que la postérité honorera tant que l'histoire ne sera pas effacée de la mémoire des hommes, ni la vénération pour la vertu, exilée de leurs cœurs. Enfin, dans l'histoire de la Langue universelle caractéristique, imprimée à la fin des Nouveaux Essais sur l'entendement humain, il dit qu'il n'entreprend point de le louer, parce que toutes les louanges suffiroient à peine pour célébrer la grandeur de son génie: Hujus loci non est laudare virum ingenii magnitudine laudes propè supergressum.

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