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ment général sur l'enseignement et les études. Il fut ordonné à tous les membres de la congrégation de se défendre, avec un soin tout particulier, du jansénisme condamné ou désapprouvé par les constitutions des souverains pontifes. Le même réglement enjoignit aux professeurs de ne point s'éloigner de la physique et des principes d'Aristote, reçus communément dans les colléges, pour s'attacher à la doctrine nouvelle de Descartes, que le roi, disoit-on, pour de bonnes raisons, a défendu qu'on enseignât: et on entre là-dessus dans quelque détail de propositions qui devoient être les unes soutenues, les autres rejetées. Quoi qu'il en soit de la sagesse de ce réglement, qui occasionna beaucoup de trouble dans la congrégation, il nous fait connoître que dans les colléges de l'Oratoire on enseignoit communément le cartésianisme.

Bayle fit imprimer, en 1684, un recueil de pièces concernant la philosophie cartésienne, et y inséra le réglement de l'Oratoire en entier. Il lui donna pour titre : Concordat entre ·les jésuites, etc., et suppose que les jésuites avoient forcé les prêtres de l'Oratoire à signer

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cette pièce. Mais c'est une pure imagination de cet auteur, et une suite de l'opinion qui attribuoit tant de crédit aux jésuites, et les rendoit auteurs de toutes les mesures rigoureuses qui avoient trait au jansénisme. La preuve que les jésuites n'avoient ni directement ni indirectement forcé les oratoriens de renoncer à la doctrine de Descartes, c'est qu'ils n'y avoient pas renoncé eux-mêmes; c'est qu'on ne voit aucun réglement parmi eux qui leur ait défendu d'enseigner cette philosophie; c'est que, dans le fait, elle n'a pas cessé d'être enseignée dans une partie au moins de leurs colléges; et que si on a vu alors quelques jésuites, comme le P. Le Valois et le P. Daniel, se déclarer contre le cartésianisme, d'autres jésuites continuèrent de lui être très-favorables.

Le nombre de ces derniers a toujours été en croissant; et l'un d'eux, le P. Guénard, en 1755, dans un Discours sur l'esprit philosophique, couronné par l'Académie françoise, a renchéri sur tous les éloges donnés jusqu'alors à Descartes, et l'a bien dédommagé des traitemens injurieux qui lui au

roient été faits par quelques membres de sa société (1).

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Le réglement fait dans l'assemblée générale

(1) Nous cédons à l'envie de mettre cette espèce d'amende -honorable sous les yeux de nos lecteurs, persuadés qu'ils nous en sauront gré : «Enfin parut en France un génie puis« sant et hardi, qui entreprit de secouer le joug du prince de « l'école. Cet homme nouveau vint dire aux autres hommes, « que pour être philosophe, il ne suffisoit pas de croire, mais

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qu'il falloit penser. A cette parole, toutes les écoles se « troublèrent une vieille maxime régnoit encore, Ipse dixit, « le maître l'a dit. Cette maxime d'esclave irrita tous les « philosophes contre le père de la philosophie pensante; elle « le persécuta comme novateur et impie....... Cependant, << malgré les cris et la fureur de l'ignorance, il refusa tou« jours de jurer que les anciens fussent la raison souveraine.... Disciple de la lumière, au lieu d'interroger les morts et les « dieux de l'école, il ne consulta que les idées claires et sim« ples, la nature et l'évidence. Par ses méditations profon«des, il tira presque toutes les sciences du chaos; et par un coup « de génie plus grand encore, il montra le secours mutuel << qu'elles devoient se prêter, les enchaîna toutes ensemble, « les éleva les unes sur les autres; et, se plaçant ensuite sur «< cette hauteur, il marchoit avec toutes les forces de l'esprit « humain ainsi rassemblées, à la découverte de ces grandes a vérités, que d'autres, plus heureux, sont venus enlever après <«<lui, mais en suivant les sentiers de lumière que Descartes << avoit tracés. Ce fut donc le courage et la fierté d'esprit d'un <«< seul homme qui causèrent dans les sciences cette heureuse « et mémorable révolution dont nous goûtons aujourd'hui les

de l'Oratoire, en 1678, semble supposer que le gouvernement avoit défendu l'enseignement du cartésianisme. Dans la correspondance de M. Pélisson avec M. Leibnitz, on assure la même chose; 'cependant nous ne connoissons ni loi ni arrêt du conseil qui contiennent une semblable défense; et apparemment tout se réduisoit, dans ce temps-là, à des insinuations ou à des ordres particuliers des ministres. C'est ainsi qu'il fut défendu pendant quelque temps à M. Regis de continuer ses leçons publiques de cartésianisme.

Mais, en 1689, il s'éleva contre la doctrine de Descartes un adversaire illustre, qui d'abord en avoit été, ainsi qu'il nous en assure lui-même, un zélé défenseur. Cet adversaire est M. Huet, évêque d'Avranches. Il publia à cette époque un ouvrage ayant pour titre:

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<< avantages avec une superbe ingratitude. Il falloit aux « sciences un homme de ce caractère, un homme qui osât conjurer tout seul avec son génie contre les anciens tyrans « de la raison, qui osât fouler aux pieds ces idoles que tant « de siècles avoient adorées. Descartes se trouvoit enfermé <«< dans le labyrinthe avec tous les autres philosophes : mais il « se fit lui-même des ailes, et s'envola, frayant ainsi de nou« velles routes à la raison captive ».

Censura Philosophiæ Cartesianæ (1). Dans la préface de la nouvelle édition de cet ouvrage, qui parut en 1694, il confesse que cet écrit avoit excité contre lui, au dedans et au dehors, un grand soulèvement; qu'il avoit

(1) M. Arnauld faisoit très-peu de cas de cet ouvrage. « Je << ne sais pas ce qu'on peut trouver de bon dans le livre de « M. Huet contre M. Descartes, si ce n'est le latin, écrivoit«< il en 1692 (Lettre DXIV); car je n'ai jamais vu de si ché<«< tif livre pour ce qui est de la justesse d'esprit et de la so«lidité du raisonnement. C'est renverser la religion que d'ou<< trer le pyrrhonisme autant qu'il fait. Car la foi est fondée « sur la révélation, dont nous devons être assurés par la <«< connoissance de certains faits. S'il n'y a donc point de faits « humains qui ne soient incertains, il n'y aura rien sur quoi « la foi puisse être appuyée. Or que peut tenir pour certain <«<et pour évident celui qui soutient que cette proposition, « je pense, donc je suis, n'est pas évidente, et qui préfère « les sceptiques à M. Descartes, en ce que ce dernier ayant «< commencé à douter de tout ce qui pouvoit paroître n'être «< pas tout-à-fait clair, a cessé de douter quand il en est venu « à faire cette réflexion sur lui-même : cogito, ergo sum; au <«< lieu, dit M. Huet, que les sceptiques ne se sont point ar« rêtés là, et qu'ils ont prétendu que cela même étoit incer« tain et pouvoit être faux, ce qui a été regardé par saint « Augustin, aussi bien que par Descartes, comme la plus grande de toutes les absurdités; parce qu'il n'y a rien cer«< tainement dont nous puissions moins douter que de cela. <« Il y a cent autres égaremens dans le livre de M. Huet; « mais celui-là est le plus grossier de tous ».

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