Page images
PDF
EPUB

mélites. Il prit pour modèle l'Esprit de saint Fran çois de Sales, pensant avec raison qu'en fait de livres de piété, les meilleurs étoient ceux des saints euxmêmes, parce que c'étoit à eux qu'il convenoit de parler de la sainteté, et que leurs exemples ajoutoient une nouvelle vertu à leurs paroles, Mais, en supprimant les visions de sainte Thérèse, M. Emery a craint qu'on ne le soupçonnât d'une incrédulité qui étoit loin de son cœur, et en conséquence il a présenté en quelques pages des réflexions très-précises et très-lumineuses sur cette matière, qu'il examine indépendamment des notions de la théologie, et sur laquelle il ne donne que des raisons générales et à la portée de tout le monde. La préface est suivie d'une vie abrégée de sainte Thérèse. Cet ouvrage est peut-être, de tous ceux de M. Emery, celui où il a le moins mis du sien. La préface n'a qu'une trentaine de pages; la vie est bien plus courte; les notes sont fort rares. Mais M. Emery, qui n'aimoit à dire que ce qui étoit à pro pos, et qui trouvoit le temps trop précieux pour parler sans nécessité, avoit moins cherché à faire un livre, qu'à rendre plus utile un ouvrage déjà connu. Il paroît au reste que son travail fut goûté, puisqu'on fit coup sur coup deux éditions de l'Esprit de sainte Thérèse. La première étoit de 1775; la seconde parut en 1779; c'est celle que nous avons sous les yeux.

En 1776, M. Emery fut nommé supérieur du séminaire d'Angers, et M. de Grasse, évêque de

cette ville, le fit aussitôt son grand vicaire. Ce fut un nouveau théâtre pour M. Emery, dont les fonctions s'étoient jusque-là bornées à l'enseignement. Il prouva bientôt qu'il n'étoit pas moins propre aux détails de l'administration. Il fut plus d'une fois chargé presque seul des affaires du diocèse, tant à cause des absences fréquentes de l'évêque, qu'en raison de sa mort qui arriva au commencement de 1782. Il avoit deux séminaires nombreux à conduire, une correspondance étendue à suivre, tous les devoirs de sa place à remplir. Il suffisoit à tout par l'emploi le mieux entendu de tous ses momens, et aucune affaire ne resta en arrière par sa faute. Aussi son mérite étoit-il déjà connu dans sa congrégation. Dès 1777, elle l'avoit nommé, quoique absent, assistant du supérieur-général, M. le Gallic, et lorque celui-ci eut jugé à propos de se démettre, dans l'assemblée générale du 10 septembre 1782, le même jour M. Emery, qui n'étoit arrivé que depuis peu à Paris, fut élu à sa place. La congrégation eut lieu de se louer de l'excellent choix qu'elle venoit de faire, et le nouveau supérieur-général se montra le digne successeur des Olier et des Tronson. Esprit d'ordre, coup-d'œil juste, connoissance dans les affaires, discernement des hommes, habileté à les employer et à les conduire, mélange heureux de douceur et de fermeté, telles étoient ses qualités. Il étoit le confrère de ceux à la tête desquels il étoit placé ; il étoit le père de ses élèves : il donnoit

le premier l'exemple de ce qu'il prêchoit, s'astreignant plus que les autres à la règle, et pratiquant tous ses exercices de piété comme s'il n'eût pas été distrait par une foule d'occupations importantes. Nous avons entendu parler avec éloge des instructions qu'il adressoit à ses jeunes gens. Il s'étoit accoutumé à parler d'abondance, et il le faisoit avec beaucoup de facilité : ses exhortations les plus familières valoient mieux que les productions les plus soignées de beaucoup d'autres. Il savoit éviter les digressions et les écarts, écueil ordinaire de ce genre de discours. Il se renfermoit dans son sujet, mettant dans ces improvisés autant de goût pour le style, que de justesse pour le raisonnement : ce n'est pas qu'il craignît la peine de la composition. II avoit plusieurs sermons écrits, tant sur les vérités générales de la religion, que sur les devoirs des ecclé siastiques; il les débitoit, dit-on, avec beaucoup de feu, et la chaleur de son action se mêlant à la vigueur de ses raisonnemens, il faisoit une vive impression sur son auditoire. Des personnes instruites nous ont assuré que ces discours auroient pu suffire pour faire une réputation à leur auteur.

Il étoit d'usage que les supérieurs-généraux de SaintSulpice eussent une abbaye. Le roi nomma, en 1784, M. Emery à celle de Boisgroland, au diocèse de Luçon; elle étoit d'un revenu peu considérable, mais qui suffisoit à l'ambition de celui à qui on la donnoit. Conformément à l'esprit de son corps, et suivant sa

propre inclination, il recherchoit la simplicité en tout. Obligé, par l'usage et par la multiplicité de ses relations au dehors, d'avoir une voiture, on peut juger combien son équipage étoit modeste : tout ce qui lui étoit personnel, étoit marqué au coin de la modéra→ tion. S'il avoit un secrétaire, c'étoit pour la nécesité; il se fut refusé même un domestique, s'il eût pu ab→ solument s'en passer. Tout son extérieur annonçoit l'esprit de son état ; sá figure étoit pleine de bonté, et ses yeux remplis d'expression: peut-être néanmoins celui qui n'eût jugé que sur les apparences, l'eût pris seulement pour un prêtre très-pieux; mais sa conver sation eût bientôt détrompé ; elle étoit aussi intéressante qu'instructive; elle étoit même aimable, gaie, spirituelle; et nous sommes persuadés que si M. Emery n'avoit été qu'un homme du monde, on l'auroit cité pour l'agrément de ses entretiens, l'à-propos de ses réponses, la finesse de ses saillies. Ses habitudes ne l'avoient sûrement pas porté à cultiver ce genre de talent; mais il lui en restoit encore assez pour char mer les personnes du dehors qui avoient des relations avec lui, et pour lui concilier les suffrages de ceux mêmes que sa qualité de prêtre eût éloignés de lui.

En 1789, lors des premiers orages de la révolution, il songea à établir sa compagnie aux Etats-unis; c'étoit comme un port qu'il lui ménageoit dans son naufrage. Il députa un de ses prêtres à M. l'évêque de Baltimore, alors en Europe, pour concerter avec lui

les moyens d'établissement. Le prélat approuva fort un projet qui ne pouvoit que consolider la religion catholique dans son diocèse. En conséquence, M. Emery fit partir quelques ecclésiastiques qui se fixèrent à Baltimore, et qui ont été utiles à ces contrées, tant pour les fonctions du ministère, que pour l'éducation du petit nombre de ceux qui se consacrent à l'état ecclésiastique..

Mais pendant que ce rejeton prospéroit en Amérique, en Europe la souche étoit livrée à la cognée, La révolution, qui frappa tant d'établissemens utiles, atteignit Saint-Sulpice, et vint enlever M. Emery à ses occupations les plus chères. Il vit son séminaire dispersé; il fut enfermé deux fois, la première à Sainte-Pélagie, où il ne resta que six semaines; la seconde à la Conciergerie, où il passa seize mois. Il vit se renouveler à plusieurs reprises cette prison, qui étoit comme le vestibule de l'échafaud, et où arrivoient chaque jour les victimes destinées à une mort prochaine. M. Emery fut peut-être le seul qui fut épargné, On dit que Fouquier-Thinville se proposoit bien de lui faire avoir aussi son tour (1); mais qu'il le laissa

(1) M. Emery s'attendoit tellement à être du nombre des victimes, que son frère étant alors venu à Paris pour le voir, et n'ayant pu y réussir, il lui écrivit la lettre suivante :

mon

- « On me dit que vous partez mèrcredi par le courrier, << cher frère; je vous souhaite un heureux voyage, et je vous

« PreviousContinue »