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tout ce qui étoit étranger à la religion et à la morale, et qu'il avoit cru devoir faire entrer dans l'édition de 1772. Le choix des morceaux, la manière de les placer les uns par rapport aux autres, les notes dont ils sont accompagnés, l'élégance de la traduction, le Discours préliminaire surtout, attestent la sagacité et le goût de M. Emery: on oseroit même dire que l'auteur étoit ici fort supérieur à son sujet, et l'on seroit presque tenté de croire qu'avec son talent, il avoit quelque chose de mieux à faire que de travailler sur les écrits des autres. Mais outre que sa modestie aimoit, pour ainsi dire, à se cacher derrière les grands noms de Bacon, de Leibnitz et de Descartes, il croyoit avec raison rendre service à la religion, en rattachant à son char ces hommes célèbres, et en prouvant, par des exemples si éclatans, qu'on pouvoit être chrétien et philosophie.

Cependant, quelque soin qu'il eût apporté à la rédaction de ces Pensées de Leibnitz, il n'en étoit pas content, et il faisoit tous les jours de nouvelles recherches sur cet auteur. Ces recherches le conduisirent à découvrir qu'il existoit dans la bibliothèque publique de Hanover un manuscrit entièrement écrit de la main de Leibnitz, et dans lequel celui-ci traitoit des points controversés entre les catholiques et les protestans. Mais, comme le philosophe y donnoit presque toujours l'avantage aux premiers, on étoit peu curieux de publier ce manuscrit. M. Emery se le procura enfin par

le canal d'un pontife illustre qui l'honoroit de sa bienveillance et de son estime, et il a passé une partie du dernier hiver à le déchiffrer et à le copier. Il se proposoit de le publier dans un supplément qu'il devoit donner aux Pensées de Leibnitz: il devoit y joindre quelques autres écrits de Leibnitz encore inédits, ou du moins peu connus. Il y auroit joint surtout un Eclaircissement très-curieux qu'il avoit annoncé à la tête du premier volume des Pensées, mais que différentes raisons l'avoient empêché de publier alors. Cet Eclaircissement, qui est imprimé, et dont quelques exemplaires ont même déjà circulé dans le public, se rapporte à un passage de Leibnitz, où il étoit dit que saint Augustin avoit cru qu'il se pouvoit que les peines des damnés durassent éternellement, et qu'elles fussent cependant mitigées. M. Emery, en consultant les écrits du saint docteur, vit que ce grand homme n'enseignoit pas précisément que les peines des damnés pussent être adoucies par la miséricorde de Dieu, mais qu'il ne paroissoit pas éloigné de le penser, ou du moins qu'il ne condamnoit pas cette opinion. M. Emery, en étendant ses recherches sur ce sujet, découvrit que saint Jean-Chrysostôme, Prudence, saint Jean de Damas, Théophylacte, le pape Innocent III, étoient plus ou moins favorables à cette opinion. Elle ne fut point blâmée au concile de Florence, où les Grecs l'énoncèrent clairement : elle a été adoptée par le fameux Maitre des Sentences, Pierre Lombard, évê

que de Paris, par Hugues Etérien, par Prépositivus. Sixte de Sienne, le cardinal Robert Pullus, le célèbre père Petau, D. Calmet, ne la désapprouvoient point. Enfin, dans ces derniers temps, le savant et pieux M. de Pressy, évêque de Boulogne, inclinoit vers ce sentiment, ou du moins le trouvoit plausible. A la vérité, ce sentiment est combattu par beaucoup d'au tres théologiens. M. Emery, en exposant les raisons des uns et des autres, n'a pas prétendu décider un point si délicat; seulement il a voulu montrer que l'opinion de la mitigation de la peine des damnés, n'étoit point opposée à la foi, et qu'elle avoit été tenue par des auteurs très-orthodoxes et très-instruits. La sagesse de sa dissertation, la réserve qu'il apporte dans. cette discussion, la clarté, la méthode, la logique qu'il y développe, rendent ce petit écrit très-intéressant. Nous savons que quelques personnes, très-recommandables d'ailleurs, qui ont eu connoissance de cette production, ne l'ont point approuvée d'abord; elles ont craint que M. Emery n'y montrât, dans une matière si importante, une hardiesse d'opinion qui n'étoit conforme ni à son état ni à son goût : elles pourront se rassurer en apprenant que cet homme modeste, ne voulant rien donner à ses propres idées, et redoutant jusqu'à l'ombre de la témérité dans un tel sujet, communiqua sa dissertation à des hommes moins célèbres encore par leurs dignités que par leurs connoissances en matières de religion et de théologie. Leurs réponses

furent, que cet écrit ne contenoit rien de contraire à la foi aussi M. Emery paroissoit décidé à le mettre au jour. Il proteste au surplus, à plusieurs reprises, qu'il n'est que rapporteur dans cette affaire; et ceux qui même ne croiroient pas devoir être de son avis, seroient sans doute étonnés de la manière lumineuse solide et délicate dont il décèle le fort et le foible de l'opinion dont il s'agit.

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La publication des Pensées de Leibnitz fut suivie, en 1805, de celle d'un petit ouvrage de M. Euler, géomètre fameux, membre de l'Académie des sciences de Berlin, et mort en 1783. Cet ouvrage est la Défense de la révélation contre les objections des esprits. forts. M. Euler l'avoit composé en allemand, et on en avoit donné, vers 1755, une traduction françoise. C'est cette traduction que M. Emery crut devoir reproduire, pour faire voir que, dans un temps et dans un pays où l'incrédulité dominoit le plus hautement, le plus grand géomètre de l'Europe faisoit profession, non-seulement de croire à la religion, mais de la défendre par ses écrits. Cette Défense de la révélation est très-courte; mais, dans sa briéveté, elle contient des choses très-solides. L'éditeur y joignit un petit écrit qu'il avoit fait insérer peu auparavant dans les Annales littéraires et morales. C'est une confrontation de l'édition des Lettres d'Euler, publiée par Condorcet en 1787, avec l'édition originale imprimée en Allemagne. Dans ces lettres, adressées vers 1760 à

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une princesse d'Allemagne, et qui roulent sur divers sujets de physique et de philosophie, Euler témoigne souvent et son mépris pour les incrédules, et son sincère attachement aux principes de la religion. Condorcet, sous prétexte de corriger le style et de supprimer ce qui étoit trop théologique, a supprimé aussi tout ce qui étoit trop religieux; il n'a point voulu donner à la philosophie le déplaisir de voir un homme du mérite et de la réputation d'Euler, s'élever fréquemment contre la folie et la témérité des esprits forts; car Euler les appelle ainsi. En conséquence, Condorcet retrancha impitoyablement, dans le premier volume surtout, tout ce qui avoit trait à la religion: car, dans le second, le nombre des morceaux à supprimer eût été si considérable, que l'infidèle éditeur se contenta de rétrancher ceux qu'il jugea les plus forts. M. Emery, en comparant les éditions d'Allemagne, avec celle de France, crut devoir, pour la plus grande gloire de la philosophie, rétablir la pureté du texte d'Euler. Il donna done, comme par forme de supplément, tous les passages retranchés par l'éditeur philosophe, en faisant remarquer le but manifeste de ces, suppressions, toutes tendantes à faire disparoître les traces du christianisme de l'auteur. Ainsi, l'on a encore l'obligation à M. Emery d'avoir vengé la mémoire d'Euler, comme celle de Bacon et de Leibnitz; et il rapporte que Condorcet lui-même avoit été forcé de rendre témoignage à la religion d'Euler, dans l'é

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