Page images
PDF
EPUB

En effet, les pères de la philosophie moderne, les res→ taurateurs des sciences, ceux qui, dans les temps modernes, ont le plus contribué au progrès des lumières, et qui se sont plus distingués par leurs connoissances et par leurs travaux, ont tous été chrétiens. Bacon et Newton en Angleterre, Descartes en France, Leibnitz en Allemagne, sont regardés comme les colonnes du monde savant. Ils ont par leurs découvertes reculé les bornes de l'esprit humain. Par eux la philosophie s'est agrandie, la métaphysique s'est perfectionnée, la physique a reçu de vives lumières. Hé bien, ces grands hommes ont tous cru à la révélation. Ces esprits, si élevés au-dessus du vulgaire, n'ont cherché à se distinguer du vulgaire qu'en proclamant leur adhésion aux vérités capitales communes à toutes les sociétés chré–› tiennes. Voilà le fait important que M. Emery voulut établir. Il pensa qu'il étoit bon, comme il le dit luimême dans sa préface sur Descartes, « de forcer à la « modestie un certain nombre de mécréans qui regar« dent en pitié les véritables chrétiens, et qui s'imagi

nent qu'il suffit de secouer le joug de la foi, pour « prendre aussitôt rang parmi les esprits supérieurs ».

Il publia donc, en 1799, le Christianisme de François Bacon, chancelier d'Angleterre, ou Pensées et sentimens de ce grand homme sur la religion. Dans sa préface il rapporte les éloges donnés à Bacon dans le dernier siècle. Les philosophes ont exalté ses connoissances et son génie. Les encyclopédistes l'ont célébré

que tous

avec enthousiasme, et Voltaire et d'Alembert en par ticulier ont loué et ses talens supérieurs, et les services qu'il a rendus à l'esprit humain. Il est vrai ont gardé le plus profond silence sur la religion de Bacon, et que, dans les analyses qu'ils ont données de sa doctrine, et dans les détails qu'ils ont publiés sur sa vie, ils ont adroitement éliminé tout ce qui pouvoit faire juger que ce chancelier étoit chrétien. Mais cette petite dissimulation ne doit tourner qu'à la honte de leur bonne foi. Les écrits et la vie de Bacon sont là pour déposer contre eux. Pour suppléer à leur silence,' M. Emery a donc rassemblé les passages des écrits de Bacon, qui attestent ses sentimens religieux. Il cite sa confession de foi, où l'auteur, quoique protestant, tient le langage le plus orthodoxe. Il cite plusieurs prières par lesquelles Bacon interrompoit ses études pour élever son esprit et son cœur vers l'Eternel. Il cite des ouvrages entiers dictés par l'esprit de la religion, des raisonnemens en sa faveur, des considérations sur l'athéisme, des réflexions sur l'Ecriture, des maximes de morale chrétienne, enfin une foule de passages qui démontrent non- seulement que Bacon étoit chrétien, mais qu'il connoissoit parfaitement la religion, qu'il l'avoit étudiée, qu'il avoit même de la piété, et que, dans une communion hétérodoxe, il a parlé de l'église romaine avec plus de respect et d'égards que beaucoup de catholiques.

Le Discours préliminaire, que M. Emery a mis à

la tête de cet ouvrage, est étendu. Il est plein de recherches curieuses, d'observations intéressantes, et d'excellentes discussions. L'auteur, après avoir rapporté les éloges qu'on a faits de Bacon, réfute ses détracteurs. Il y a dans ce discours beaucoup de critique, mais en même temps beaucoup de sagesse. La Vie de Bacon, qui suit le discours, est aussi de M. Emery. Il a voulu suppléer à la vie qu'en avoit donnée M. Mallet, qui avoit affecté de ne point parler des sentimens religieux du chancelier. M. Emery les fait ressortir au contraire ; et en interrogeant tous les monumens relatifs à Bacon, et tous les auteurs anglois qui en ont parlé, il prouve que, dans les dernières années de sa vie surtout, ce grand homme a fait éclater son amour pour Dieu, et son attachement au christianisme. Cette Vie, plus étendue encore que le Discours préliminaire, suppose beaucoup de recherches et de lectures. A la fin du second volume, M. Emery a mis deux Eclaircissemens, le premier sur cette question : « Les anciens pères de l'Eglise ont-ils condamné comme hérétique l'opinion

[ocr errors]
[ocr errors]

philosophique des antipodes »? Le second roule << sur << l'accusation intentée contre saint Grégoire, d'avoir « voulu anéantir tous les auteurs et tous les monumens « de l'antiquité païenne ». Ces deux Eclaircissemens sont au fond deux dissertations où l'auteur a traité à fond le sujet qui l'occupoit. Il montre que la tradition de l'Eglise n'a jamais été contraire à l'opinion des antipodes, et qu'on n'a blâmé que ceux qui croiroient

pas

que ces antipodes sont d'une autre nature, et n'ont la même origine que nous. Dans la seconde dissertation, qui est plus étendue, l'auteur fait voir que l'accusation intentée contre saint Grégoire, long-temps aprèss a mort, est une calomnie démentie par les contemporains et par toute la conduite de ce pontife, qui ne se montra point ennemi des lettres humaines, et qui n'en jugea point l'étude incompatible avec la profession du christianisme.

Quoiqu'il se soit écoulé plusieurs années entre la, publication du Christianisme de Bacon et celle des Pensées de Leibnitz, nous avons cru cependant devoir parler tout de suite de ce dernier ouvrage, qui fait le pendant de l'autre. Nous avons vu que, pendant que M. Emery étoit à Lyon, il avoit donné l'Esprit de Leibnitz. Cette première édition étant épuisée, et l'auteur ayant acquis de nouvelles pièces, il fit pa roître, en 1803, une nouvelle édition sous le titre de Pensées de Leibnitz sur la religion et la morale. Il lui parut d'autant plus utile de bien établir les véritables sentimens de Leibnitz, que ce philosophe avoit été accusé de n'être qu'un rigide sectateur de la loi, naturelle, et que Voltaire prétend qu'il pensoit et parloit librement, et qu'il avoit inspiré ses sentimens libres à plus d'un prince. M. Emery examine, dans un Discours préliminaire, la réalité de cette imputation, et il la réfute par la conduite et par les écrits de Leibnitz. Il prouve que Leibnitz étoit profondé-,

[ocr errors]
[ocr errors]

ment religieux, qu'il avoit même étudié la théologie et qu'il se rapprochoit sur beaucoup de points de la doctrine de l'église catholique. Ce philosophe témoignoit le plus grand désir de réunir les deux communions; et loin qu'il lui échappe jamais dé ces invectives si fréquentes dans les écrits des protestans, il semble au contraire, donner plus d'une fois le tort à ces derniers dans les différends qui nous divisent: il montre une grande connoissance de toutes ces controverses et il ne préviendroit pas qu'il s'étoit appliqué à l'étude de la théologie, qu'on s'en apercevroit aisément. Il se proposoit même de suppléer à ce que Pascal n'avoit pas eu le temps de terminer, et de donner un grand ouvrage sur la religion; il n'a pu non plus exécuter ce projet, ou, comme il le dit lui-même, ce vou; mais il a manisfesté ses sentimens religieux dans un grand nombre d'endroits de ses ouvrages. Il y parle de nos

་་

dogmes, des mystères, des miracles, des preuves de la religion, et de ceux qui la combattent, comme pourroit faire le catholique le plus éclairé : il y a même un passage où, voyant l'esprit d'incrédulité qui commençoit à se propager de son temps, il dit formellement que cet esprit menace l'Europe d'une révolution géné-` rale. Ce passage est extrêmement curieux. Cette seconde édition est enrichie de plusieurs pièces nouvelles, entr'autres de la correspondance de Bossuet et de Leibnitz, sur la réunion projetée des catholiques et des protestans. En revanche, M. Emery a supprimé

1

« PreviousContinue »