Page images
PDF
EPUB

par

quer qu'il avoit d'abord été prévenu contre lui quelques rapports; mais que, mieux instruit, il aimoit à rendre justice à sa conduite et à louer son zèle. Cette lettre, honorable pour M. Emery, est du 10 mars 1796; elle suffit sans doute pour sa justification, s'il en avoit besoin.

Dans tout le cours de la révolution, il marcha toujours sur la même ligne. Il ne fut point ardent dans un temps et modéré dans un autre. Sa conduite fut égale et uniforme. Il savoit céder lorsque la prudence l'exigeoit ; mais il savoit aussi résister avec force quand l'intérêt de la religion le demandoit. Il n'alloit pas chercher l'orage, mais il l'attendoit sans crainte. Il ne bravoit pas l'injustice des hommes, mais il ne s'en laissoit point intimider. D'autres n'ont qu'un courage d'emprunt et de circonstances; le sien prenoit sa source dans son caractère et dans sa piété. Ceux qui ne jugent que d'après l'impulsion du moment, lui trouvèrent trop de fermeté quand ils en manquoient eux-mêmes, ou trop de mollesse quand ils étoient exaltés. Mais c'étoient eux qui changeoient, pour lui, il étoit toujours le même. C'étoit pour le même motif que dans une occasion il prenoit les tempéramens de la prudence, et que dans une autre il soutenoit les principes avec force. L'intérêt de la religion le guidoit toujours. Aussi tous les gens sages se rallièrent à lui dans les temps orageux de la révolution. Son opinion, comme on l'a dit, faisoit autorité. En le suivant, on se croyoit

à l'abri du reproche. Mais comment avoit-il acquis cet ascendant? Ce n'étoit ni par son rang, ni par ses dignités. Simple prêtre, modeste, retiré, il étoit étranger à toute cabale, il n'avoit point de. prôneurs. Ce qui lui avoit concilié une confiance et une vénération si générales, c'étoit son mérite personnel; c'étoit l'étendue de ses lumières, la sagesse de ses conseils, l'égalité de sa conduite, l'exemple de sa piété, la force de son caractère. Ce fut la réunion de ces qualités, qui lui procura tant de considération et d'influence, et qui, dans un moment de désorganisation et de terreur, le porta, pour ainsi dire, à la tête des affaires, et le rendit, en quelque sorte, le suppléant des évêques et l'oracle du clergé.

A cette même époque (et nous comprenons, sous ce nom, tout le temps écoulé jusqu'au Concordat), il publia plusieurs écrits, tant sur les matières alors contestées que sur d'autres sujets. On croit que, lors du serment ordonné par l'assemblée constituante, il fit une réponse à un ouvrage en faveur de la constitution civile du clergé. Mais comme il parut alors beaucoup d'écrits dans ce sens, on ne sauroit dire précisément quel étoit le titre du sien. Il donna, en 1797, un mémoire sur cette question: « Les religieuses peuvent-elles au«jourd'hui, sans blesser leur conscience, recueillir « des successions et disposer par testament? Leurs supérieurs peuvent-ils, doivent-ils même leur en « accorder la permission »? Il se décidoit pour l'affir

mative. Il publia aussi l'écrit intitulé: Conduite de l'Eglise dans la réception des ministres de la religion, qui reviennent de l'hérésie et du schisme. Il inséra dans les Annales catholiques et philosophíques, plusieurs morceaux. C'est de lui, par exemple, que sont, dans ces dernières, des Observations sur le droit qu'ont les chapitres de cathédrales de pourvoir au gouvernement des diocèses pendant la vacance des siéges. Il y a de lui, dans le même recueil, des discussions théologiques, des réflexions sur les différentes promesses demandées aux prêtres à diverses époques, des réponses à des questions proposées, des éclaircissemens sur des points contestés. En parcourant le recueil dont nous parlons, nous avons cru reconnoître plusieurs fois la touche de M. Emery, et nous savons que le principal rédacteur de ces Annales, malgré le grand talent qui le distingue luimême, se faisoit un devoir de s'en rapporter, dans la décision des questions importantes, aux lumières d'un homme si exercé. M. Emery consigna donc dans cet ouvrage plusieurs de ses avis sur différentes contestations. Ces avis sont ordinairement assez courts; car la précision étoit un des mérites de son style; mais ils sont pleins de substance, et indiquent avec clarté le sentiment que l'auteur croyoit le plus probable et la conduite qu'il jugeoit la plus sage.

Mais M. Emery n'étoit pas seulement un bon théologien, un canoniste éclairé, un casuiste sûr. Il étoit

[ocr errors]

2

encore littérateur; et quand nous parlons de littérature on sent bien' que ce n'est pas de celle qui, légère et frivole, ne s'exerce que sur des bluettes, sur de petits vers, sur des romans. M. Emery étoit homme de lettres, dans l'acception la plus vraie et la plus honorable de ce nom. Il connoissoit nos bons ouvrages et les jugeoit avec goût; lui-même écrivoit bien. Quand il traitoit un sujet, on pouvoit être sûr qu'il avoit lu tous les auteurs qui en avoient traité avant lui. Quand il vouloit faire connoître un écrivain, on pouvoit être également persuadé qu'il avoit consulté tous ceux qui pouvoient lui donner des renseignemens sur cet écrivain. Il travailloit suivant la bonne et ancienne manière, s'entourant de toutes ces notions, vérifiant les faits, puisant aux sources, étudiant les originaux, n'omettant aucune précaution, ne donnant rien au hasard, n'avançant rien sans preuve, et citant avec une scrupuleuse fidélité. La bibliographie ne lui étoit étrangère; et quand il eut perdu, par la révolution, la bibliothèque de sa maison, il sut en former lui-même une autre avec beaucoup de choix. Il connoissoit et le prix des livres et le mérite respectif des éditions. Il acheta de ses deniers des manuscrits précieux, qui alloient peut-être être perdus pour jamais au milieu du désordre de la révolution. Ce fut ainsi qu'il se procura les manuscrits de Fénélon, qui ont depuis servi à M. de Bausset, dans la rédaction de son histoire. M. Emery les communiqua au prélat; et ainsi le pu

pas

blic lui est, en quelque sorte, redevable de ce bel ouvrage, que M. l'ancien évêque d'Alais n'auroit pu rendre aussi parfait si M. Emery n'avoit mis à sa dis-' position les manuscrits originaux de l'archevêque de Cambrai. Il y a plus, et certainement nous pouvons le dire sans craindre de blesser un prélat dont la réputation est bien établie, et dont la modestie égale les talens, nous savons que M. de Bausset consulta M. Emery sur son livre, qu'il lui envoyoit son manuscrit, et qu'il se soumettoit, avec une déférence qui l'honore, aux conseils d'un ami si éclairé. Liés depuis long-temps l'un et l'autre par un attachement fondé sur une estime réciproque, ils s'aidoient, sans doute mutuellement dans la composition de leurs ouvrages, et cet aimable commerce tournoit à la perfection de ces mêmes ouvrages et à la gloire de la littérature.

Il est temps de revenir sur nos pas, et de parler avec quelques détails des productions de M. Emery. Il profita de la retraite où le condamna la journée du 4 septembre 1797 (18 fructidor), pour mettre la dernière main à son ouvragé sur Bacon. Il voulut prouver, par un illustre exemple, que la plus haute philosophie n'étoit pas incompatible avec la religion, et que, tan

dis

que des modernes, sans autorité comme sans nom, croyoient se dégrader en se soumettant à la foi, des génies supérieurs s'étoient au contraire honorés de leur respect pour la révélation, et avoient témoigné en toute rencontre leur attachement au christianisme.

« PreviousContinue »