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quelque temps, par calcul, parce que, suivant son expression, ce petit prêtre empêchoit les autres de

<< sais bon gré de celui que vous avez fait à Paris, et que « j'avois désiré, moins pour avoir le plaisir de vous voir, que << pour concerter avec vous des mesures qui fussent utiles à « votre temporel. Dieu n'a pas permis que mes vues fussent «remplies. Retournez, et emportez avec vous la résignation à « tous les événemens qui intéressent ma personne. Imaginez « que j'ai fini ma carrière; elle a été suffisamment longue et << singulièrement protégée par la Providence. Je sortirai de << ce monde avec le témoignage que je n'ai fait aucun mal << aux hommes et que je leur ai fait quelque bien. Si quelque << partie de ma succession vous retombe, et que vous mouriez << sans enfans, vous connoissez mes intentions. Je meurs plein << de confiance dans la miséricorde de Dieu. Cette miséricorde « éclate déjà dans le temps qu'elle m'a donné pour me pré<< parer à la mort, dans les motifs qui l'auront déterminée « et dans la paix intérieure dont elle me fait jouir dans mes u liens et à la veille de ma mort.

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« Vivez, mon cher frère, de manière à assurer notre réu«nion dans la cité céleste. Aimez, honorez, pratiquez fidèle«<ment notre sainte religion. Loin de vous laisser entraîner à « ces erreurs et à ces extravagances du jour, qui déshonorent « l'espèce humaine, déplorez-les amèrement, et qu'elles vous « servent de motifs pour vous attacher de plus en plus aux bons principes. Depuis l'âge de seize ans, j'ai fait mon occupation principale et même unique de l'étude de la religion. «Je m'en suis encoré occupé, et même plus que jamais, de« puis neuf ou dix mois que ma captivité dure, et je peux <«< assurer en toute sincérité que plus je l'ai étudiée, plus je l'ai approfondie, et plus elle m'a paru belle, aimable, con« solante, vraie et inébranlable dans ses fondemens.

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crier. Quoi qu'il en soit, il est certain que M. Emery se rendit utile à plusieurs prisonniers. Sa résignation et le calme de son ame étoient propres à faire impression sur les moins religieux. Il confessa plusieurs condamnés il vit dans cette prison Claude Fauchet, surnommé la Bouche-de-fer, et il a rapporté plusieurs fois que ce fameux órateur de club lui avoit témoigné son repentir et demandé sa bénédiction. Il reçut aussi l'expression des derniers sentimens d'Adrien Lamourette. La Providence avoit sans doute permis qu'il restât si long-temps dans ce terrible séjour, pour y porter des consolations au malheur, et pour relever ceux qui étoient tombés; mais elle n'avoit pas voulu qu'il fût du nombre des victimes, parce qu'elle le destinoit à jouer bientôt un plus grand rôle.

En effet, rendu à la liberté après la terreur; M. Emery devint un des principaux administrateurs du diocèse de Paris, dont M. de Juigné, alors absent, l'avoit nommé grand-vicaire. Au milieu de la désolation générale, quand la religion n'avoit qu'à pleurer sur des ruines, que presque tous les évêques étoient en exil, et qu'aucun d'eux ne pouvoit facilement

<«< Vous ferez connoître à tous ceux qui ont été les auteurs « de ma détention et de ma mort, que je leur pardonne bien « volontiers. Adieu, mon cher frère, je vous embrasse de tout « mon cœur soyez jusqu'à la fin sage, religieux, et par conséquent heureux ».

Paris, ce 28 avril 1794.

correspondre avec son troupeau, on avoit besoin d'un homme qui pût en quelque sorte les suppléer, ou au moins qui fût l'interprète de leurs sentimens : il falloit que cet homme fut assez instruit pour pouvoir diriger les autres dans les circonstances les plus difficiles, assez estimé pour inspirer une grande confiance, assez sage pour n'écouter que l'intérêt de la religion, assez laborieux pour faire face à toutes les affaires; cet homme fut M. Emery. On s'adressoit à lui de toutes parts; les fidèles et le clergé prenoient également ses conseils. De là une correspondance très-étendue, à laquelle nul autre que lui n'auroit pu suffire: mais comme il étoit préparé par de longues études, qu'il avoit fait ses provisions comme le sage, et qu'il avoit le jugement le plus sain et le tact le plus sûr, il n'avoit pas besoin de méditer très-long-temps sur la réponse qu'il avoit à faire; il saisissoit avec facilité et la question qu'on lui soumettoit, et la manière de la résoudre. Il savoit combiner et l'attachement aux règles antiques, et les tempéramens que nécessitoient les circonstances; il concilioit et les vœux du zèle et les conseils de la sagesse. Il n'étoit point ami, il faut le dire, de ces mesures extrêmes où se portent, dans des temps de révolution, des hommes d'ailleurs estimables : il se défioit de l'exagération en toutes choses; il se plaignoit qu'on eût mis la prévention qui aveugle, à la place de l'examen qui éclaire. Pour lui, il étoit toujours calme et de sang→ froid; il ne réprouvoit pas une chose, uniquement

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parce qu'elle venoit de gens dont il ne partageoit point les opinions, et dont il n'approuvoit pas la conduite: il examinoit avant tout, et n'ayant devant les yeux que l'intérêt de la religion, il se décidoit par des motifs indépendans de tout esprit de parti. Nous savons que quelques personnes lui ont reproché cette même modération que nous louons en lui; mais il y a quelquefois un zèle qui n'est pas selon la science, et, pour me servir ici des expressions d'un prélat lié intimement avec M. Emery, « malheureusement on ne se rend « pas toujours compte des motifs secrets auxquels on « obéit, sans le vouloir, dans les déterminations les plus importantes et les plus décisives. Le malheur, l'injustice, la persécution aigrissent insensiblement <«<les ames les plus honnêtes : la chaleur des discordes « civiles exalte l'imagination. On ne considère plus « les objets avec le calme de la réflexion; on n'agit plus que par sentiment ou par prévention. Les << craintes, les espérances, les conjectures politiques << viennent se mêler involontairement aux vues religieuses, et l'on associe imprudemment des prin<< cipes et des questions, qui, de leur nature, sont << essentiellement distinctes et séparées ».

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Si néanmoins on persistoit à croire que M. Emery est allé quelquefois trop loin dans son penchant aux voies de conciliation, nous demanderions, comme une chose de toute justice, qu'il ne fût jugé que par des hommes parfaitement instruits sur la matière ; nous b

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récuserions d'abord ceux qui, toujours ardens, toujours outrés, sont décidés d'avance à blâmer sans distinction tout ce qui vient d'un parti qu'ils n'aiment pas; nous récuserions les gens du monde, qui, étrangers aux connoissances théologiques, n'en sont que plus hardis à prononcer sur ce qu'ils n'entendent nullement; nous récuserions les femmes, dont l'imagination s'exalte si aisément, et qui, nécessairement ignorantes sur ces questions délicates, ne sont cependant pas celles qui şe remuent le moins, et qui parlent le moins haut ; nous récuserions même beaucoup d'ecclésiastiques qui n'avoient, selon les apparences, ni les mêmes lumiè→

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ni la même sagesse que M. Emery. Nous ne connoîtrions donc, pour juges, que ceux qui joindroient une grande instruction à une grande expérience, et chez qui le zèle le plus pur seroit uni à une prudence consommée. Si ceux-là s'accordoient à blâmer la conduite de M. Emery, alors nous passerions condamnation; mais nous croyons qu'ils ne seroient ni aussi prompts, ni aussi tranchans que bien d'autres. Ils procéderoient avec d'autant plus de circonspection, qu'ils seroient plus éclairés. Tels sont les hommes à qui il seroit donné de prononcer dans cette affaire; quelques-uns d'eux se sont même déclarés, il y a déjà longtemps. Ainsi M. Emery, dans le temps même de ces contestations, fut appuyé des suffrages de plusieurs évêques. Il y a plus, Pie VI lui fit écrire une lettre de satisfaction; il chargea le prélat Galeppi de lui mar

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