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'ils étaient loin de prévoir que leur règne dût ôt finir!

Dire que la religion et la poésie disparaîtront du onde, c'est dire que les lois éternelles qui réssent l'humanité sur la terre seront renversées ; ie l'homme cessera d'être homme, c'est-à-dire le Dieu s'est trompé, et que l'on va refaire son uvre. La religion et la poésie répondent à un bein indestructible de notre nature, le besoin de infini, de l'inconnu, qui nous tourmente sans esse, et n'est que le pressentiment de nos desinées futures. Il faut avoir une bien triste opinion le soi et de ses semblables pour croire que le droit lectoral et les chemins de fer vont suffire à l'exisence intellectuelle d'un peuple; il faut que les Studes mathématiques, si recommandées par Napoléon, aient bien desséché le cœur humain, pour que tant de voix se soient mises à crier anathème à la poésie. Ce fut un concert barbare qui aurait fait rougir un Cosaque, car il fredonne encore quelque rude chanson aux échos sauvages de son désert de glace.

Pendant le glas lugubre de cette messe des morts, un jeune homme, élevé par une mère pieuse dans l'amour de la parole de Jésus, avait rêvé sur les riants coteaux italiens en méditant Bernardin et Chateaubriand, ces deux voix aimées de tout ce qui chérit la nature. Dieu avait déposé en lui toutes les passions saintes des élus du christianisme. Un amour pur avait poétisé encore sa jeunesse. Il lança

dans le monde une brochure qu'il appela Médita tions poétiques.

Les vers français étaient tombés bien bas alors; les petites merveilles de la poésie de Delille étaient leur gloire; excepté quelques pièces de Millevoye et cinq ou six élégies de ce Parny qui avait déshonoré sa muse par des chants obscènes et impies, ce n'étaient que fades amours de boudoirs, que galants caquetages, dont rirait la plus humble femme aujourd'hui. Les Méditations jetaient dans la société leurs hymnes pleines d'harmonie large, d'esprit religieux, d'amour chaste et élevé. L'effet fut grand; M. de Lamartine fut adopté par tout ce qui sentait la religion et la poésie, sauf encore, dans la classe de ces hommes, ceux qui étaient trop exclusivement attachés aux formes consacrées de la poésie de Louis XIV.

« Le succès soudain que les Méditations obtinrent, dit M. Sainte-Beuve, fut le plus éclatant du siècle, depuis le Génie du christianisme; il n'y eut qu'une voix pour s'écrier et applaudir. » Nous croyons que la mémoire de M. Sainte-Beuve l'a mal servi relativement au dernier membre de cette phrase. M. de Lamartine n'a pas été unanimement accepté d'abord; il lui a fallu combattre : tout poëte novateur doit passer par cette épreuve. Les nombreux organes du parti qu'on appelait alors le parti libéral, accablaient le chantre d'Elvire de comparaisons avec M. Casimir Delavigne, exaltant sans cesse ce dernier aux dépens de l'auteur des Méditations. Ce

fut, comme presque tout dans ces temps de haine et d'aveuglement, une affaire de coteries politiques. Je me rappelle encore les fades plaisanteries des petits journaux, du Diable boiteux entre autres; il m'apportait souvent des espiégleries, qui me donnaient la velléité, à moi qui étais alors fort jeune, de prendre M. de Lamartine pour un sot. J'ai connu des hommes occupant aujourd'hui un certain rang, des hommes très instruits de l'antiquité latine et grecque, et qui plaçaient au-dessus du premier recueil des Méditations poétiques des vers réguliers, qui n'avaient d'autre mérite que de ressembler à ceux de tout le monde.

Cette réserve faite, il faut dire à l'honneur de la société contemporaine, qu'un grand nombre d'âmes entendit la voix de Lamartine, et qu'il y eut à l'occasion de ces pages une lutte acharnée; le poëte grandit rapidement dans ce combat.

Voilà dix-huit ans que les Méditations poétiques sont publiées, et aujourd'hui il n'y a plus de lutte; elles ont conquis l'admiration générale. Elles révélaient dès lors pour ceux qui avaient l'intelligence du nouveau siècle tout ce que M. Lamartine a été depuis naïve grandeur, rêverie vague et sainte, élans sublimes vers le monde invisible, vers Dieu, amour des hommes joint au génie de la solitude, l'univers des poésies de Lamartine apparaissait tout entier dans ce début. Ses grandes pièces A lord Byron, l'Immortalité, Dieu, reproduisent les pensées de Bossuet en vers magnifiques, moins

beaux cependant que la prose du grand évêque. Dans l'élégie, ce premier recueil offre des inspirations délicieuses, le Vallon, le Chrétien mourant, et surtout le Lac, poésie d'une mélancolie profonde, et d'un bonheur d'expression bien rare.

Le succès éclatant de M. de Lamartine est très explicable, non seulement par la beauté de son talent, mais par la nouveauté de cette poésie, qui venait remuer dans les cœurs toutes les nobles passions que Dieu y a mises. L'amour de la nature, le sentiment du paysage et de ses sympathies pour la douleur humaine, échauffait les nouvelles poésies. Non que Lamartine s'arrête aux détails et peigne comme Wordsworth; mais il plane sur l'ensemble; il est comme inondé de l'amour du créateur. Le murmure du lac, le gémissement des arbres du vallon, les étoiles qui le regardent en silence du haut du ciel, les ombres transparentes des belles nuits d'été, les feux brûlants du Midi, le plongent dans une extase religieuse; et cette impression est si vraie, si naïve, si ardente, qu'elle entraîne le lecteur et le subjugue. Lamartine est une âme intuitive, spontanée; elle ne cherche pas sa science dans les livres, elle l'attend; et Dieu la lui envoie, parce que Dieu l'aime. Homme admirable au milieu de notre société si honteusement corrompue par la cupidité de l'or, il s'abandonne avec amour à la volonté de la Providence sur lui, et passe sans orgueil au milieu des richesses dont Dieu l'a comblé.

Les secondes Méditations furent sévèrement jugées par la critique. Comme il arrive presque toujours après un succès, elles furent placées bien au-dessous de leurs aînées, et cependant elles reproduisaient les mêmes beautés, le même amour de Dieu et de la nature, la même versification brillante et limpide, avec une tendance plus marquée vers le débordement poétique des Harmonies. Toutefois le recueil présentait moins d'unité et de travail, il ressemblait plus à une improvisation. La Mort de Socrate, souvenir magnifique de Platon, et le dernier chant du Pèlerinage d'Harold parurent sans augmenter beaucoup la gloire du poëte. Quand on parlait de lui; c'étaient toujours les Meditations qui attiraient les regards; elles nuisaient aux autres œuvres de leur père; leurs rayons semblaient les obscurcir.

Il est des poëtes qui ne sont inspirés que par leurs impressions personnelles : leurs joies et leurs douleurs palpitent dans leurs chants; ils émeuvent leurs semblables comme une autobiographie, et ne sont humanitaires que parce qu'il y a toujours une sorte de parenté entre les sensations humaines.

D'autres au contraire semblent s'oublier euxmêmes; toute leur vie sensitive est passée dans les êtres qu'ils créent; ils sont le miroir où toute la création vient sé refléter. L'imagination leur révèle les mystères du cœur et de la pensée.

Si l'élément personnel disparaissait entièrement d'un poête, il serait moins un poëte qu'une lyre

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