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abandonner les grandes traditions du genre humain, et se rejeter dans les vieilleries anti-religieuses de l'autre siècle. Quel que soit le point de vue avancé où ils se placent en d'autres matières, ils sont ici fort arriérés, et se sont aliéné bien des esprits.

Nous n'avons pas parlé du livre De la Religion, de Benjamin Constant, dans la partie consacrée à la religion, parce que ce travail est bien plutôt l'œuvre d'un philosophe que celle d'un théologien. Le célèbre publiciste a eu surtout pour but de défendre le sentiment religieux qu'il voyait s'éteindre autour de lui. Ce livre indique de vastes lectures, et est surtout remarquable par la manière dont il traite la philosophie du xviir siècle. Cette ironie, dans la bouché d'un protestant et d'un orateur populaire, est beaucoup plus puissante que dans celle d'un écrivain catholique.

M. Lerminier est difficile à classer; il appartient à la philosophie par son livre Sur l'influence de la philosophie au XVIIe siècle, et par ses Lettres philosophiques; tout à la fois à la philosophie et à la législation par sa Philosophie du droit ; à l'esthétique par ses articles sur Pindare, Hérodote, Salluste, dans la Revue des Deux Mondes. M. Lerminier effleure toutes choses et n'approfondit rien; il jette dans ses livres, comme du haut de sa chaire, des généralités brillantes. Son style est facile et clair; il vulgarise avec bonheur les idées des autres. M. Lerminier a de nobles instincts; il croit à l'a

venir glorieux des sociétés; il aime l'humanité et la foi dans la philosophie. Il lui échappe parfois sur les matières religieuses des phrases d'une légèreté qui étonne d'autant plus qu'elles sont prononcées avec un ton de supériorité dédaigneuse assez étrange, appliquée à certains hommes. L'audace est le caractère de M. Lerminier. Il publie très jeune un livre qu'il nomme seulement Philosophie di droit ; il donne deux volumes sur l'Allemagne, après l'avoir traversée au pas de course. Comme dans son Cours de législation comparée, M. Lerminier sait jeter dans tout cela des aperçus heureux, des mots qui caressent les passions contemporaines, et aussi, comme je l'ai dit, de nobles sympathies pour ce qu'il y a de beau et de grand dans ce siècle. Il est vrai que l'œuvre de M. Lerminier ne lui assigne pas encore un rang bien distinct parmi les hommes éminents de l'époque; mais il a, et surtout il a eu une certaine influence sur la jeunesse parisienne.

Dans la philosophie morale nous comptons plusieurs ouvrages remarquables, mais qui n'ont peutêtre pas eu assez de retentissement dans la nation pour que nous nous y arrêtions ici. Nous citerions parmi eux les livres de madame Guizot et celui de M. Aimé Martin sur l'Éducation des mères de famille. Cet ouvrage, qui renferme bien des idées que nous ne partageons pas, a aussi des parties pleines de vérités et écrites avec un talent remarquable.

Il faut nous arrêter et résumer nos idées sur les travaux philosophiques de la France du XIXe siècle,

et d'abord reconnaître que jamais époque ne fut mieux disposée à accueillir la philosophie; car jamais la passion investigatrice n'avait dominé plus despotiquement. La philosophie française de notre temps succède à, une vaste orgie intellectuelle; le matérialisme régnait sur les esprits, tantôt franchement et dans toute la nudité de ses doctrines et de son titre, tantôt déguisé sous des mots plus honnêtes qui recouvraient les mêmes choses.

La philosophie de notre temps a terrassé cet adversaire terrible. Le cri qu'il a jeté dernièrement est convulsif comme celui de l'agonie dans une maladie violente. L'éclectisme et la philosophie catholique restent seuls debout sur les ruines du passé : à eux les combats de l'avenir.

Dans le monde religieux, le rôle de la philosophie est superbe, surtout au temps où nous sommes. M. Cousin, en démontrant que les mystères étaient accessibles à la raison humaine, et que la vérité philosophique était contenue en eux, a rendu un immense service. Saint Thomas, Bossuet et bien d'autres l'avaient dit avant lui sans doute; mais il a développé leurs idées avec une grande puissance. D'ailleurs ces paroles avaient tout un autre effet prononcées par lui, philosophe rationaliste, sans parti pris, allant où sa raison le guide.

On peut dire que la philosophie française du XIXe siècle a bien mérité du genre humain. Cette vaste tolérance, qui est allée puiser des fragments dans tous les systèmes, a préparé cette fusion des

peuples qui s'annonce aujourd'hui pár tant de signes, et dont les prophètes ont été si long-temps traités de rêveurs et d'utopistes.

La philosophie continuera sa mission glorieuse, et son alliance avec la religion sera de jour en jour plus intime. Le salut de l'humanité sortira de cet hyménée magnifique.

La religion enseigne d'une voix ferme, parce qu'elle est divine, les vérités nécessaires aux hommes; la philosophie les explique autant qu'il est donné à l'esprit humain sur la terre. Notre siècle a compris les rapports qui les unissent. Nous l'en félicitons, car ce sera sa gloire.

QUATRIÈME PARTIE.

LITTERATURE.

POÉSIE.

IV

André Chénier.

Dans le xvine siècle, Voltaire avait gâté ce noble art des vers, porté à une si haute perfection par Racine. A cette belle philosophie des passions, à laquelle s'était livrée le suave génie de l'auteur d'Andromaque, il avait voulu substituer l'aride philosophie du raisonnement; évidemment il était dans une voie fausse.

Relativement au vers, c'était déplorable: la mélodie veut autre chose que l'aisance dans le langage; la mélodie est savante, et non seulement veut des sons habilement combinés, mais encore des images. Toute poésie où il n'y aura que des sons ne sera jamais une poésie mélodieuse. Or ces deux choses man

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