Page images
PDF
EPUB

HISTOIRE CONTEMPORAINE.

XIV

Madame de Staël. Ch. Lacretelle.-Mignet.- Thiers, etc., etc.. Conclusion.

Une des gloires littéraires de la France, madame de Staël, occupe une place parmi les historiens modernes par ses Considérations sur les principaux événements de la révolution française. Ce qui distingue principalement ce livre, c'est la noble alliance de l'amour de la liberte et de l'amour de la justice. Quelle sympathie pour les progrès des peuples, et quelle horreur pour le despotisme et pour tout ce qui s'écarte du droit! Madame de Staël s'éloigne également des hommes que la passion de la liberté aveugle sur les exécutions sanglantes de 1793, et de ceux que l'amour du passé aveugle sur les bienfaits immenses de la révolution.

Son génie plane d'assez haut pour n'être pas obs

curci par ces préjugés déplorables. La puissance de Mirabeau elle-même ne saurait la distraire de ses vices et de ses désordres. Il faut pardonner à la piété filiale ses trop longs et trop nombreux

chapitres sur M. Necker. Le protestantisme lui dicte aussi quelquefois des jugements qui paraissent fort étranges aujourd'hui.

M. Ch. Lacretelle a précédé dans la carrière les deux plus célèbres historiens de la révolution française; son œuvre est loin de celle de ses successeurs. M. de Chateaubriand a dit qu'il avait pris le noble parti de la vertu contre le crime. C'est vrai; mais il n'a pas assez senti les étonnants résultats du mouvement social qu'il avait à décrire. Il a été beaucoup trop l'homme du passé.

MM. Mignet et Thiers sont les fondateurs de l'école historique que l'on a appelée fataliste. Le premier a resserré le récit de la révolution française en deux volumes; sa manière est simple et rapide; il renferme souvent une foule d'idées dans quelques lignes. Je n'examinerai sa pensée que lorsque je vais parler de M. Thiers, dont l'histoire aux amples développements est en possession de l'estime de tous les hommes qui appartiennent aux passions et aux sympathies de l'époque nouvelle. Sans l'histoire de M. Thiers, celle de M. Mignet aurait conservé dans le monde une importance bien plus grande.

L'œuvre de M. Thiers est inégale, comme il arrive souvent aux livres de longue haleine. Telle partie est d'un style nerveux et plein de force, telle autre accuse la fatigue et la rapidité de la rédaction. Il y a des tableaux dignes des grands maîtres. On a déjà cité la mort de Mirabeau et celle de

Louis XVI: nous choisirons ces deux passages pour donner une idée de l'éloquence de l'auteur :

[ocr errors]

Mirabeau, dans cette occasion, frappa surtout par son audace ; jamais peut-être il n'avait plus impérieusement subjugué l'assemblée. Mais sa fin approchait, et c'étaient là ses derniers triomphes..... La philosophie et la gaieté se partagèrent ses derniers instants. Pâle, et les yeux profondément creusés, il paraissait tout différent à la tribune, et souvent il était saisi de défaillances subites. Les excès de plaisir et de travail, les émotions de la tribune, avaient usé en peu de temps cette existence si forte.

» Une dernière fois il prit la parole à cinq reprises différentes; il sortit épuisé, et ne reparut plus. Le lit de mort le reçut et ne le rendit qu'au Panthéon. Il avait exigé de Cabanis qu'on n'appelât pas de médecins; néanmoins on lui désobéit; ils trouvèrent la mort qui s'approchait et qui déjà s'était emparée des pieds: la tête fut la dernière atteinte, comme si la nature avait voulu laisser briller son génie jusqu'au dernier instant. Un peuple immense se pressait autour de sa demeure et encombrait toutes les issues dans le plus profond silence..... Mirabeau fit ouvrir ses fenêtres : « Mon ami, dit-il à Cabanis, je mourrai aujourd'hui ; il ne reste plus qu'à s'envelopper de parfums, qu'à se couronner de fleurs, qu'à s'environner de musique, afin d'entrer paisiblement dans le sommeil éternel. » Des douleurs poignantes interrompaient de temps en temps ces

discours si nobles et si calmes : « Vous aviez promis, dit-il à ses amis, de m'épargner des souffrances inutiles. » En disant cela il demande de l'opium avec instance. Comme on le lui refusait, il l'exige avec sa violence accoutumée. Pour le satisfaire, on le trompe, et on lui présente une coupe, en lui persuadant qu'elle contenait de l'opium. Il la saisit, avale le breuvage qu'il croit mortel, et paraît satisfait. Un instant après il expire. C'était le 20 avril 1791.

>> L'assemblée interrompt ses travaux; un deuil général est ordonné, des funérailles magnifiques sont préparées. On demande quelques députés : Nous irons tous, s'écrient-ils. L'église de SainteGeneviève est érigée en Panthéon, avec cette inscription, qui n'est plus à l'instant où je raconte ces faits:

« AUX GRANDS HOMMES LA PATRIE RECONNAISSANTE. » Écoutons maintenant M. Thiers peindre la mort de Louis XVI:

« Dans Paris régnait une stupeur profonde; l'audace du nouveau gouvernement avait produit l'effet ordinaire que la force produit sur les masses; elle les avait paralysées et réduites au silence. Le conseil exécutif était chargé de la douloureuse mission de faire exécuter la sentence. Tous les ministres étaient réunis dans la salle de leur séance et comme frappés de consternation. Le tambour battait dans la capitale; tous ceux qu'aucune obligation n'appelait à figurer dans cette terrible journée se ca

chaient chez eux. Les portes et les fenêtres étaient fermées, et chacun attendait chez soi le triste évènement. A huit heures, le roi partit du Temple. Des officiers de gendarmerie étaient placés sur le devant de la voiture. Ils étaient confondus de la piété et de la résignation de la victime. Une multitude armée formait la haie. La voiture s'avançait lentement au milieu du silence universel. On avait laissé un espace vide autour de l'échafaud. Des canons environnaient cet espace, et la vile populace, toujours prête à outrager le génie, la vertu et le malheur, se pressait derrière les rangs des fédérés et donnait seule quelques signes extérieurs de satisfaction. >>

Les scènes de fureur populaire sont retracées avec une verve bien rare; toutes les passions des foules y hurlent leurs cris de mort. La partie militaire nous a semblé très remarquable; on a dit (et nous répétons ceci sans l'affirmer) que des officiers de l'empire avaient aidé l'habile historien. Le seul reproche grave qui ait été adressé à MM. Thiers et Mignet, c'est celui de leur tendance au fatalisme. Il est impossible de la nier. Les écrivains libéraux (je ne connais pas d'autre terme pour remplacer ce vieux mot) ont été sans doute fatigués de la fougue du parti contraire et sont tombés dans un autre excès. Pour eux, tout ce qui arrive dans l'histoire a une mission à remplir, et s'ils ne disent pas explicitement que les faits arrivés ne pouvaient pas ne pas être, il est certain que

« PreviousContinue »