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Il y a en nous une conviction inébranlable, c'est que tous les grands artistes étaient consciencieux. J'ai entendu encore des hommes frivoles donner pour preuve du peu de foi de Michel-Ange et de Raphaël les désordres de leur vie. Etrange aveuglement! ces désordres ne prouvent que l'inconséquence de l'homme; chacun de nous la sent au fond de son être. Cette inconséquence est moins dans notre intelligence que dans la dualité de notre nature; et après tout, l'œuvre de ces deux grands hommes est aussi essentiellement double, et il est certain que le second surtout était bien moins chrétien dans la dernière partie de sa vie que dans la première.

Shakspeare a cru fermement à l'amour, à la passion de la gloire et à l'ambition; il s'en est guéri comme toutes les âmes élevées, tôt ou tard; mais il a passé par la foi à toutes ces choses. Corneille croyait à l'héroïsme en écrivant Horace, il croyait au Christ en enfantant ses admirables scènes de Polyeucte. La conscience est la grande inspiration de tous les artistes du premier ordre, les autres sont des imitateurs plus ou moins heureux, des comédiens, j'ai presque dit des jongleurs. Le scepticisme aristocratique en faveur aujourd'hui ne peut enfanter des vaudevilles et des tableaux de genre. que Les grandes œuvres naissent de la foi.

HISTOIRE.

XII

Augustin Thierry. - Guizot.

Une des gloires de cette époque sera d'avoir commencé la régénération de l'histoire nationale; il y a peu de temps encore, les Français ignoraient le passé de leur patrie, ou du moins ils n'en avaient qu'une notion bien erronée. L'histoire des peuples anciens était enseignée par les grands écrivains de la Grèce et de Rome, que l'on étudiait en apprenant les deux belles langues antiques qui sont comme le fond de toute éducation littéraire; mais nos annales à nous, il n'en était presque jamais parlé; et quand on s'en occupait, elles étaient vite oubliées, tant elles sont présentées sans art! Nos historiens confondaient les époques et les peuples; n'avaient nul souci de leur origine; semblaient s'attacher à décolorer nos précieuses chroniques, pour ne présenter qu'un pâle et froid récit sans intérêt et sans charme. Tout ce qui s'éloignait d'une certaine élégance de convention leur paraissait barbare; il fallait faire parler les rois francs comme Louis XIV dans les salons de Versailles, et les passions naïves et rudes de nos temps primitifs comme les duchesses du XVIIe siècle. L'histoire manquant ainsi de

vérité était sans pouvoir sur les intelligences. M. Augustin Thierry, dans ses excellentes Lettres sur l'histoire de France, a signalé un des premiers cette incapacité des écrivains français qui ont rédigé nos annales. Il a prouvé jusqu'à la dernière évidence l'insuffisance des travaux de Mézeray, de Daniel, de Vely et d'Anquetil; il a montré qu'ils ont ignoré les choses dont ils parlent, prenant à chaque instant un peuple pour un autre, dédaignant les chroniqueurs, qui étaient cependant l'unique source où ils pussent puiser, négligeant toujours de peindre les passions du peuple, auxquelles ils sont étrangers, et ne connaissant pas plus celles des rois.

Cette ignorance a été, selon nous, un grand malheur pour la nation française; la science du passé calme l'effervescence qui emporte les âmes bouillantes vers l'avenir; elle donne à chacun cette conviction que chaque époque fait faire un pas à la société ; que le bien se fait lentement, et que c'est une chimère de penser que l'on peut dans quelques années changer de fond en comble l'exis tence d'un État. L'ignorance de l'histoire nationale nous expose à prendre pour des nouveautés des idées politiques qui ont été étudiées et essayées maintes fois avec plus ou moins de succès, et de là cette fièvre insensée dont beaucoup d'entre nous sont saisis.

MM. Thierry et Guizot sont les premiers et les plus célèbres réformateurs de notre histoire natio

nale. Les Lettres sur l'Histoire de France sont un ouvrage plein de sens et de hardiesse tout à la fois. M. Augustin Thierry a eu pour but de détruire les erreurs capitales qui avaient faussé l'enseignement historique dans notre patrie si long-temps abusée. Il s'attache d'abord à démontrer que nous n'avions pas avant cette époque d'historiens français dignes de confiance. Il fait voir avec quelle maladresse les hommes qui ont écrit nos annales se sont servis de nos vieux monuments historiques, confondant les peuples de la Gaule et de la Germanie sous le nom de Francs, et ne s'apercevant pas que l'unité administrative n'est venue que bien tard, et qu'une grande partie des populations qui forment aujourd'hui le peuple français étaient dans les premiers siècles des populations ennemies, presque toujours en guerre avec les rois francs.

Voici le début de la troisième lettre :

« Vous avez prononcé le nom de l'abbé Velly, célèbre, dans le siècle dernier, comme le restaurąteur de l'histoire de France, et dont l'ouvrage est loin d'avoir perdu son ancienne popularité. Je vous avoue qu'à l'idée de cette popularité j'ai peine à me défendre d'une sorte de colère; et pourtant je devrais me calmer là-dessus, car faute de bons livres le public est bien obligé de se contenter des mauvais. >>

Ce qu'il y a de plaisant, c'est que ce même Velly avait la prétention de donner non seulement une histoire des rois, mais les annales du peuple; il se

vantait de puiser aux sources, et de reproduire la couleur des historiens primitifs. M. Thierry, en comparant divers passages avec ceux de Grégoire de Tours, ne laisse aucun doute sur l'inhabileté de l'historien moderne, qui ne comprend pas plus les faits qu'il ne sent la poésie rude et un peu sauvage du chroniqueur : « S'agit-il de présenter le tableau » de ces grandes assemblées où tous les hommes de » race germanique se rendaient en armes, où cha>> cun était consulté depuis le premier jusqu'au der» nier, l'abbé Velly nous parle d'une espèce de parlement ambulatoire et de cours plénières, qui » étaient (après la chasse) une partie des amuse» ments de nos rois. Nos rois, ajoute l'aimable abbé, » ne se trouvèrent bientôt plus en état de donner » ces superbes fêtes. On peut dire que le règne des Carlovingiens fut celui des cours plénières..... Il >> y eut cependant toujours des fêtes à la cour; mais » avec plus de galanterie, plus de politesse, plus » de goût, on n'y retrouva ni cette grandeur ni » cette richesse..... >>

>>

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<«< De bonne foi, est-il possible d'entasser plus d'ex» travagances? Ne croirait-on pas lire une page du » roman de Cyrus, ou quelqu'un de ces contes de >> rois et de reines dont on amuse les petits enfants?»

Nous aimons cette indignation, qui nous a valu les belles et primitives peintures de l'histoire de la conquête de l'Angleterre ; mais n'anticipons pas.

De savantes dissertations sur la véritable époque de l'établissement de la monarchie prouvent toute

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