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jourd'hui l'Encyclopédie nouvelle, s'écria: « Vous exposez là une doctrine que le collége a unanimement repoussée; je suis venu ici pour vous le dire. Je vais me retirer. » M. Enfantin répondit : « La preuve de la vérité de mes paroles, vous la voyez. Voilà l'homme qui représente le mieux la vertu telle qu'elle a été conçue jusqu'à présent, et la vertu de cet homme ne peut pas comprendre ce qu'il y a d'universel dans mes paroles. >>

Cette discussion entraîna la retraite de plusieurs membres de la famille, parmi lesquels figuraient MM. Leroux, Reynaud, Cazeaux et Péreire: alors M. Enfantin fut déclaré par M. Olinde Rodrigues l'homme le plus sympathique et le plus généralisateur de son temps, le chef suprême de la religion saint-simonienne. M. Olinde Rodrigues se déclara lui-même le père de l'industrie, le chef du culte saint-simonien. Dès lors commença ce que j'appellerai l'orgie saint-simonienne. La chair fut réhabilitée avec pompe. Dans leur fureur de sanctification, les nouveaux prêtres sanctifièrent la table et tous les appétits voluptueux. Bals, festins, fêtes quasi-païennes occupèrent l'hiver de 1832. Mais ces dépenses énormes, jointes à celles du Globe qui se distribuait gratis, épuisèrent bientôt les finances de la société. Les hommes d'argent dont cette époque est pleine, et qui, ne comprenant rien aux idées, n'y voient qu'un moyen de s'enrichir, allaient disant que les saint-simoniens étaient des

fripons. La vérité est que ces prétendus fripons se sont ruinés. Plusieurs d'entre eux, et le Père luimême, ont vu disparaître leur patrimoine. Dans ce désespoir financier, M. Olinde Rodrigues conçut l'étrange projet de l'emprunt saint-simonien.

<«< Rotschild, Aguado, Laffitte, n'ont rien entrepris d'aussi grand que ce que je viens entreprendre. Tous ils sont venus après la guerre donner au vaincu le crédit nécessaire pour satisfaire le vainqueur. Leur mission périt, et la mienne commence. On escompte à la Bourse de Paris, de Londres et de Berlin l'avenir politique et financier de l'association des travailleurs; j'entreprends de fonder le crédit saint-simonien. >>

L'emprunt n'eut aucun succès; l'organisation du travail ne fut pas plus heureuse. Quatre mille ouvriers qui avaient été affiliés à la secte devaient nécessairement se débander au moment de la ruine. Le bien-être matériel est pour les classes pauvres la condition sine quâ non de toute théorie. Le pouvoir vint bientôt compliquer la position de la secte. Des poursuites judiciaires furent entamées; la garde municipale fit évacuer le nouveau temple. Pour comble de malheur, M. Olinde Rodrigues se sépara du chef suprême; la famille de la rue Monsigny fut dissoute.

Alors M. Enfantin se retira à Ménilmontant dans une maison qui lui appartenait. Là, quarante disciples vécurent dans le recueillement, se livrant

aux travaux de l'horticulture, à la contemplation et à la prière. Pour abolir la domesticité, Enfantin fit participer les plus fiers aux travaux les plus pénibles. Le public se porta à Ménilmontant, on l'admettait dans le jardin; les frères faisaient de la musique; on allait voir le père dîner comme un souverain. Il y eut plusieurs fois lutte entre la police qui s'effarouchait de ce concours, et la curiosité parisienne.

C'est à Ménilmontant que fut écrit le livre nouveau, Cathéchisme et genèse du saint-simonisme.

« Cette feuille est conçue sous une inspiration semblable à celle qui présidait au catéchisme chrétien; c'est la conception du Verbe, et, toutefois avec la conquête de l'algèbre, c'est Platon développé à travers Descartes et Leibnitz. »

En donnant à l'algèbre une place dans la vie morale, le livre nouveau ajoute:

« Dieu, que les mathématiciens révolutionnaires ont vainement chassé de leur sanctuaire, et qui toujours pourtant y est demeuré découvert ou caché sous le nom de l'infini ou sous le voile trompeur des limites; Dieu y reparaîtra plus éclatant que jamais pour animer toutes les conceptions. Alors le Verbe suprême, le Verbe infinitésimal se résoudra dans l'art en parole et en symbole; le savant le traduira en formule, et l'industriel en formes limitées. Verbe de poésie et d'amour, il se manifestera par la musique et par l'architecture; inspirateur

divin, il engendrera l'Algorhythmie et l'Esthétique; parole du prêtre, il enfantera la science et l'industrie, le dogme et le culte. >>

Pythagore chez les Grecs, Leibnitz, et quelquefois de Maistre dans le monde moderne, ont cherché à appliquer les mathématiques aux sciences morales. Nous entrevoyons qu'il peut naître des merveilles de là, mais cette prévision est encore trop vague pour que nous nous en occupions ici. Arrivons à la genèse saint-simonienne.

<< Voici la genèse nouvelle historique et prophé tique, annonçant ce qui est détruit et ce qui doit être créé, ce qui doit mourir et ce qui doit naître. >> Écoutez :

>> J'ai vu dans la nuit des temps anciens des choses merveilleuses.

>> La terre disait à Dieu au sein duquel elle circulait Le bien-aimé viendra-t-il bientôt?

:

Dieu lui disait: Je ne le susciterai pas encore, car tu n'as pas un arbre à l'ombre duquel il répose, pas un animal dont la chair ou le lait le nourrissent. L'atmosphère qui te sert de tunique est brûlante.

» Qu'as-tu à lui donner pour le réjouir? Il cherche des sources fraîches où il puisse se désaltérer, et je ne vois que des flaques d'une eau bourbeuse et amère où sont les champs et les trésors qui feraient sa dot?

:

» Et la terre tournait.

Elle amoncela de gigantesques arbrisseaux, des fougères plus grandes que des hautes futaies, et des roseaux semblables à des sapins. Elle se couvrit de bêtes marchantes, volantes, rampantes, aux membres allongés; elle enfanta des millions et millions de mollusques. De son sein tirant des trésors, elle les pressa en filons et en couches jusqu'à la surface du sol, mêlant les plus précieux métaux et les plus magnifiques. Cependant l'atmosphère écrasante se changeait en une pluie vivifiante, et elle allait combler les précipices effroyables et restreindre le domaine de la mer.

>> Sûre alors de son ouvrage, elle se retourna de nouveau vers Dieu et lui dit : Viendra-t-il bientôt?

>> Dieu répondit: Que viendrait-il faire avec sa vie délicate et ambitieuse au milieu de cette vie grossière et pauvre que tu as répandue à la surface?

>> Et la terre patiente enfouit comme en des magasins la végétation dont elle s'était fait une première chevelure; elle retira la vie aux bêtes monstrueuses, aux mollusques informes à qui elle s'était livrée, et la donna à des êtres plus parfaits. La bourbe des eaux forma des montagnes de grès et de schiste, leur sable se changea en couches calcaires, l'atmosphère se tempéra encore. La terre éjaculait de nouveaux métaux, de nouveaux porphyres, de nouveaux marbres, qui se dressaient en

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